Un peu de fureur dans un monde de brutes
Boum !
Louis Chevrier promène avec son chien. Il n’aime pas
le terme : ‘’promener son chien’’, qui ne
reflète en rien la réalité de sa balade quotidienne
avec Batman, un étrange chien noiraud, court sur pattes, trapu,
baveux et un peu répugnant, bâtard de bouledogue et
de bull-terrier.
D’abord, celui-ci est bien trop costaud pour que Louis, grand
vieillard décharné, puisse lui imposer, s’il
lui en prenait l’envie incongrue, le moindre itinéraire
prémédité; ensuite, la complicité entre
ces deux-la est bien trop grande et leur plaisir de déambuler
ensemble bien trop partagé pour qu’il puisse subsister
la moindre notion de corvée dans cette promenade.
Cela fait bien cinq ans qu’ils se connaissent et qu’ils
ne se quittent plus.
Louis était assis sur un banc du square Jean Jaurès
en ce beau matin agréable de printemps pour mater les cuisses
généreusement découvertes des passantes et surtout
des mamans qui, débordées par leurs progénitures
surexcitées, dévoilaient souvent des points de vue
fascinants sur des dessous minimaux.
Louis pouvait se permettre ce plaisir sans crainte de réactions
courroucées
car vu ses 89 ans bien sonnés, il aurait fallu être
bien suspicieux (se) pour déceler la moindre concupiscence
paillarde dans le regard paisible de ce beau vieillard, si aimable
et si distingué.
Puis ce clébard moche est apparu, reniflant et furetant de-ci,
de-la, soufflant fort, l’air de savoir ce qu’il cherchait
sans parvenir à le trouver.
Louis s’était amusé à suivre son manège,
puis le chien avait fini par se désintéresser de sa
quête infructueuse, s’approchant de Louis.
Après avoir consciencieusement reniflé son pantalon,
Batman avait sauté sur le banc d’un bond étonnamment
leste vu la corpulence de la bête, puis s’était
couché avec un soupir d’aise, son regard confiant tourné vers
Louis.
Quand il quitta son banc, Batman se leva pour le suivre, si naturellement
que Louis n’envisagea même pas de protester.
Depuis ils se tenaient mutuellement compagnie. Louis s’amuse
de penser que Batman dont il ignore l’age exact, doit commencer à se
faire vieux lui aussi, et qu’ils seront bientôt à égalité,
en age équivalent chien/humain, bien que Batman ne donne aucun
signe de sénilité.
De fait, Louis aussi, à 94 ANS, ne semble pas mal en point.
En fait personne ne pourrait deviner son age. Il est assez grand,
1m80, dans ses jeunes années c’était même
exceptionnellement grand, mais la stature générale
des Français a tant augmentée au fil des générations,
surtout après guerre que Louis est aujourd’hui juste
un peu au dessus de la moyenne. Il a particulièrement bien
perçu le phénomène, tout au long des années
passées à enseigner la sociologie à des générations
d’étudiants toujours plus grands en taille mais, hélas,
aussi étroits d’esprit.
Il se tient bien droit, marche d’un pas assuré, il a
conservé une chevelure fournie, impeccablement taillée.
Il est toujours vêtu avec recherche de beaux costumes de luxe,
amples et soyeux, flottants autour de son grand corps décharné encore
solide mais si léger.
Il n’a jamais été bien gras, mais sa minceur
est maintenant extrême, comme si son corps était devenu
une machine à durer, éliminant toute masse superflue,
trop coûteuse en dépenses énergétiques.
Pourtant, il mange avec appétit mais des portions de plus
en plus réduites au fil des années.
Il se sent en forme, sa pensée est vive, sa mémoire
excellente, enfin c’est l’impression qu’il en a,
vu que les visites familiales comme pour tous les vieillards sont
rares, et que les conversations avec Batman sont quand même
limitées.
Il se souvient avec précision des moindres détails
de sa vie bien remplie, de son enfance si lointaine…
Il est né pendant la ‘’grande guerre’’ dans
un petit village du sud-ouest, d’une mère très
jeune, douce et jolie, mariée de force par des parents incultes à un
riche paysan deux fois plus vieux qu’elle, évidemment
alcoolique et brutal, qui la battait et la violait, un être
pervers incapable d’éprouver le moindre désir
sans torture ni humiliation.
La conscription générale l’avait délivrée
temporairement du tyran, Louis croit se souvenir de la joie de sa
mère à chaque report de permission de son mari.
Louis n’a qu’un très vague souvenir de son père,
de son prénom (Fernand, Ferdinand ?) ou de son allure, mais
il se souvient précisément de la haine et du dégoût
que lui procurait cet être abject qui terrorisait sa mère
adorée.
Alors qu’il avait réussi à survivre à l’hécatombe
sans une égratignure, Fernand-dinand s’était
tué comme un con en fêtant la victoire : bourré comme
une outre il avait voulu jongler avec des grenades, l’une d’entre
elles en tombant s’était dégoupillée en
s’accrochant malencontreusement à sa ceinture. Consécutivement,
Fernand-dinant avait retapissé les murs du bordel de campagne
avec ses tripes et divers débris organiques imbibés
d’un mélange de gnole de prunes et d’éthanol
frelaté, éborgnant et démembrant au passage
les deux malchanceux potes qui avaient eu la malencontreuse idée
de l’accompagner.
L’annonce de sa mort avait été vécue comme
une délivrance par sa femme.
Louis ne l’avait jamais vue aussi heureuse. Elle chantait,
dansait en le prenant dans ses bras, le couvrait de câlins. « Tu
vas voir comme on va être heureux juste toi et moi, moi et
toi, que nous deux… »
En plus, le rustre laissait derrière lui un domaine agricole
conséquent dont la vente rapportât une petite fortune à sa
mère, après une période de deuil minimale pour
ne pas trop choquer les mentalités archaïques des campagnards
de l’époque.
Elle réunit son magot et s’évada de cet environnement
rural. Elle s’établit à Bordeaux dans un beau
logement confortable et elle reprit ses études pour devenir
professeur de français. Son statut de veuve de héros
de guerre éplorée lui conférait un vernis de
respectabilité bien commode. En réalité, sa
nouvelle indépendance révéla très vite
une femme au tempérament volontaire, forte et progressiste,
moderne, sensibles au idées les plus libérales de l’époque,
et bien décidée à ne plus jamais dépendre
de personne et surtout pas d’un homme.
Louis bénéficia de toutes les qualités de cette
mère exemplaire puis de la douceur de ses deux petites sœurs
qui naquirent à la suite d’aventures amoureuse de Simone
(sa mère, un joli prénom oublié que j’aime
bien), avec une ribambelle d’amants toujours mariés
pour limiter les risques de trop grandes implications sentimentales,
amants qu’elle sélectionnait avec soin sur des critères
essentiellement esthétiques, n’ayant que l’embarras
du choix car la jolie jeune fille était devenue une femme éblouissante
en mûrissant.
Louis adorait sa mère, adorait ses sœurs qui le lui
rendaient bien. Il avait vécu comme un roi, choyé et
dorloté par ces femelles délicieuses.
Ses études avaient été raisonnablement brillantes,
sans être exceptionnelles.
Il était agrégé de littérature et de
philosophie, socialiste et libertaire, révolté par
la montée des régimes réactionnaires en Europe.
C’est tout naturellement qu’il rejoignit les brigades
internationales qui combattaient les troupes de Franco pendant la
guerre d’Espagne.
Il aima cet engagement, il se découvrit homme d’action
lui qui avait tout les traits de l’intellectuel tranquille.
Il prit plaisir au combat, flingant le fasciste sans remord, l’athéisme
radical inculqué par sa mère et développé pendant
ses études au contact du bouillonnement anar de l’époque
lui permettant de ne pas s’encombrer de remords ou d’interrogations
métaphysiques superflues. Il haïssait les fachos et trouvait
salutaire de contribuer à en faire disparaître le plus
possible de la surface du globe.
Du coup il rempila sans hésiter dans la résistance
en 40, après une courte expérience comme enseignant
de philo à la fac de Bordeaux.
Voilà, lecteur, je pourrais parler encore longtemps de Louis
pour lequel, tu l’as compris, j’éprouve une sympathie
exponentielle.
Je pourrais te narrer sa remarquable carrière de prof à la
Sorbonne, mentionner ses pertinents ouvrages de recherches en sociologie,
philosophie, politique, conter ses voyages, raconter sa vie intime,
ses femmes, parler de ses goûts, de son amour de Paris, de
sa famille, de sa Maman vénérée morte plus que
centenaire il n’y a pas si longtemps, on voit de qui il tient
sa longévité.
Il a eu des enfants le Louis, sans jamais se marier mais sans jamais
abandonner personne non plus, fidèle en amour quand on lui était
fidèle, dévoué pour ses proches, généreux
et tolérant, comme sa mère et ses sœurs d’ailleurs,
des femmes libres et fortes qui ont vécu elles aussi des vies
captivantes.
J’adorerais avoir le temps et la place pour m’attarder
avec cette famille hors du commun et ce personnage remarquable, hélas
ce n’est pas la vie de Louis, mais sa fin et son impact, son
retentissement, ses conséquences qui sont incontournables
pour la suite de cette histoire.
Sa présence au début de ce récit est indispensable
mais malheureusement pour lui anecdotique.
Donc, Batman et Louis se promènent, l’un tirant l’autre
par sa laisse, mais pas trop fort, comme si Batman percevait (et
après tout, pourquoi pas ?) la fragilité de son gentil
compagnon humain.
Batman, comme la plupart de ses congénères est un obsédé sexuel,
mais quasi vierge, va t’en trouver avec une gueule pareille
un maimaitre qui te laisserait niquer sa chienchienne, et les ‘’errantes’’ ont
depuis longtemps disparues de nos rues, des males on en voie parfois
encore, mais des chiennes plus jamais tu l’auras sans doute
noté, lecteur observateur.
Par conséquent, l’itinéraire imposé par
Batman n’est déterminé que par l’intensité des
traces olfactives canines et femelles qu’il découvre,
la truffe calée à cinq millimètres du sol, ceci
est d’une importance capitale pour la suite.
Louis se laisse trimbaler avec plaisir, il n’est pas fixé sur
un trajet, il apprécie tout ce qu’il voit et entend,
le beau et le moche, la quiétude ou le vacarme.
Cette commune de la proche banlieue parisienne a tellement changé depuis
qu’il y demeure. Il y possède un pavillon charmant des
années vingt, jalousement conservé dans son état
d’origine, mal isolé, décrépi mais doté de
la plus belle des tonnelles, couverte d’une antique glycine
qui embaume le quartier au printemps et fait l’admiration des
voisins.
Il l’a acheté à une époque ou les banlieues
avaient encore une âme, petites villes presque provinciales à deux
pas de la capitale, chacune dotée d’un style propre,
plus ou moins industrielles, artisanales ou commerçantes,
ouvrières ou bien bourgeoises. Louis a observé les
changement au fil des générations, la disparition des
métiers, des commerces, la dégradation du tissu social.
Il sait que les façades cachent aujourd’hui tout un
monde de misères diverses, des familles entassées dans
des taudis insalubres, enrichissant des vendeurs de sommeil sans
scrupule, il voit les trafics, la précarité des habitants
nouveaux, rejetés au delà du périphérique
par la spéculation immobilière, qui ne le refranchissent
que pour aller se faire exploiter dans des boulots sans débouchés
pour satisfaire les besoins de services des parisiens aisés…
Mais tout n’est pas moche dans cette ville et Louis jubile
quand, comme aujourd’hui, Batman le traîne en direction
de la magnifique basilique gothique qui trône majestueusement
au centre de la ville et qui abrite les tombeaux de dizaines de rois
et de reines, de princes et autres illustres qui ont fait l’histoire
de France.
Louis n’est pas très sensible à la partie nécropole
de l’édifice mais il adore le gothique et la il est
servi. Quelle splendeur ! Lui pourtant si athée est extrêmement
sensible au mysticisme bien « orienté » qui a
permit à des humains d’exprimer tant de génie,
individuel mais aussi (et surtout, pense Louis) collectif pour réaliser
un tel chef d’œuvre. Il connaît le monument par
cœur, sait tout sur l’histoire de sa construction, des
techniques employées, du sens caché de ses ornements
si peu catholiques.
Maintenant il s’éloigne de l’église, toujours
traîné par Batman qui zigzague sur le large trottoir
de l’avenue principale de la ville.
**********
Léa glandouille sur son banc. Elle s’ennuie ferme.
Elle sent que ce mercredi sera encore à chier. Elle est venue
la, sur l’avenue, pour voir un peu les gens, traîner
devant les boutiques, tout sauf rester à la baraque. Elle
supporte plus l’odeur de son gros porc de père, vautré devant
la télé toute la journée, fumant et rotant,
buvant bière sur bière. Il est tellement crade, ne
se lave jamais et il est violent en plus le connard ! Léa
ne compte plus les coups qu’elle a encaissés dans sa
courte vie, pas autant que sa mère qui, elle, dérouille
quotidiennement, mais quand même, elle ne pourrait se souvenir
d’un jour sans hématome sur son corps frêle. En
plus elle vient d’avoir onze ans, commence à se féminiser
un peu et elle a bien compris la signification des regards concupiscents
qu’il commence à porter sur elle. L’idée
de ce qu’elle risque à la maison la terrifie, alors
elle préfère traîner dans la rue, au moins tu
y voie venir le danger de loin, croie t’elle. Elle espère
qu’une copine ou deux va rappliquer histoire d’aller
piquer un truc quelconque dans une boutique pour s’occuper,
mais elle a nitraté son forfait de portable et ne peut pas
les appeler, marcher pour les chercher n’est même pas
une option car elle est un pur produit de ce nouveau monde étrange
ou le vrai handicapé est dorénavant le ‘’sans
ondes’’, mais ne nous égarons pas.
Donc elle traînera dans la rue jusqu’au soir, la Léa,
pour ne rentrer que quand sa mère terminera sa journée
de travail de « technicienne de surface », c’est à dire
femme de ménage, au supermarché local.
Bref, la petite Léa a une vie de merde, comme tant d’enfants
de ces lieux défavorisés, et ce n’est qu’un
début, soit prévenu lecteur compatissant.
**********
Pamela Watson adore l’Europe, la France, sa cuisine, ses French
Lovers, sa culture, son histoire, ses monuments et tout particulièrement
les églises gothiques qui lui procurent des émotions
misthico-orgasmiques, délicieuses et complexes, provoquées
par la beauté des lieux mais aussi leurs ancienneté,
leur intemporalité, qui fascinent cette femme sensible venue
d’un pays qui se fout de la pérennité comme des
accords de Kyoto.
Pamela est une grande et belle Américaine blonde presque svelte
de 96 kilos (ce qui n’est pas excessif dans ce pays d’obèses)
de Jersey City, dans le New Jersey, dont le grand plaisir est de
dilapider la fortune confortable héritée de son mari
Ronald, gros concessionnaire de voitures européenne de luxe,
mort prématurément à quarante deux ans d’une
cirrhose fulgurante, conséquence prévisible d’un
goût immodéré pour le bourbon et de l’absorption
des poisons variés dont Pamela farcissais son breuvage favori,
histoire de se donner les moyens de réaliser ses envies d’émancipation,
ses rêves de voyages et de combler ses aspirations culturelles.
Pamela adore rapporter de ses périples des heures de films
numériques dont elle fait profiter la petite communauté de
ses amis.
Heureusement pour eux, Pamela qui rêve de devenir une vraie
pro, est plutôt douée et ses filmes sont bons, bien
cadrés, bien montés, pas les insupportables défilés
d’images insipides et tressautantes des habituelles vidéos
de vacance.
A ce moment précis par exemple, elle s’est éloignée
de la cathédrale qu’elle a déjà filmée
sous tous les angles, zoomant sur chaque détail intéressant
signalé par ses guides. Elle a choisi de shooter un large
plan d’ensemble de la rue principale avec le monument en toile
de fond. Elle adore capturer des ambiances, surprendre les habitants
dans leurs activités habituelles, dénicher des personnages
pittoresques pour pimenter ses scènes de vie locales.
Elle filme la totalité de cette avenue semi-pietonne, tranquille
en cette heure creuse de la matinée, au maximum de grossissement
d’un énorme téléobjectif qu’elle
a rajouté à sa camera. Cela écrase la perspective,
les personnages les plus éloignés paraissant presque
aussi grands que les plus proches, leurs mouvements latéraux
devenant beaucoup plus perceptibles que leur éloignement ou
rapprochement.
Au premier plan, assise sur le dossier d’un banc, cette préadolescente à l’air
morose et renfrogné mais au regard intelligent l’a séduite
d’emblée, mais le plus beau de la scène est sans
conteste ce superbe vieillard si digne traîné par ce
chien hideux,truffe collée au sol, qui progresse de manière
erratique vers la camera de Pamela et c’est du plus bel effet
ce binôme improbable donnant l’impression de danser sur
place un espèce de génial ballet comique involontaire,
d’un coté à l’autre de l’écran.
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Batman est heureux, d’un bonheur de chien, bien sur, mais
intense.
Il vient de repérer parmi des centaines de traces olfactives
entremêlées les effluves enivrantes de Rosalie, une épagneule
non stérilisée en pleine maturité sexuelle et
présentement incontestablement en chaleur.
Alors, espère qu’il est hors de question de perdre la
piste de la coquine !
Il lui faut impérativement trouver l’endroit ou elle
aura déposé cette flaque enchantée qui lui garantira
plusieurs heures de réserve d’excitation pour se procurer
de superbes érections longuement léchées d’une
langue experte, affalé sur son tapis préfère
dans un coin du salon.
Son gentil maître vénéré actuel ne se
formalise jamais de ces pratiques onanistes, contrairement aux précédents,
un couple d’humains qui sentaient mauvais (le savon) et qui
le punissaient d’un coup de martinet pour chaque coup de langue
en dehors de sa gamelle.
Le jour ou ils l’ont oublié dans un parc, il n’a
même pas essayé de retrouver ces aseptiques, trop heureux
de pouvoir vivre à sa guise.
C’est juste après le commissariat de quartier, en contrebas
des trois marches qui font office de perron, qu’il trouve la
petite mare de pipi encore fraîche.
Batman se jette le mufle contre le sol, frotte la gueule à droite, à gauche,
léchouille un peu, s’en repasse une couche sur les flancs,
son zizi tout rose darde éperdument, c’est l’extase
!
Louis attend stoïquement, secrètement réjouit
de l’air réprobateur des rares passants
Et le commissariat explose !
Pour décrire la suite de l’action nous allons devoir
décomposer des événements simultanés
ou qui vont se succéder en quelques centièmes de seconde.
Le commissariat était un cube moche de cinq étages
des années soixante-dix en béton de qualité médiocre,
mal construit au rabais par une entreprise incompétente mais
amie du politicien responsable de l’attribution du marché public
du chantier de construction de l’édifice, à l’époque.
La mauvaise qualité du bâtiment va entraîner son
effondrement total ayant pour conséquence d’achever
les victimes encore vivantes de l’explosion.
Mais avant cela la totalité du mobilier est pulvérisée
par la déflagration, et plus particulièrement un bureau
métallique de confection robuste, qui est déchiqueté en
débris irréguliers projetés dans toutes les
directions.
L’une de ces tôles, soufflée et propulsée à 587
km/h par l’expansion des gaz,
franchi la porte du commissariat, ricochant au passage sur un des
montants
qui la fait dévier de sa trajectoire initiale en lui imprimant
un mouvement giratoire de plusieurs dizaines de tours par secondes,
stabilisant son vol à l’horizontale, un peu à la
manière d’un frisbee.
Au même moment, Batman, indemne grâce à la protection
efficace des trois marches du perron qui le masquaient, bondit en
avant, détalant comme un missile de toute sa puissance en
entraînant Louis avec lui, qui, n’étant pas exactement
dans l’axe de la porte au moment de l’explosion, n’était
sur l’instant que victime d’une projection de petits
débris qui venaient de s’incruster dans son dos et d’une
implosion simultanée de ses vieux tympans fatigués.
Hélas pour Louis, sa course derrière son chien lui
fait croiser la trajectoire de la tôle tournoyante, qui le
rattrape exactement à hauteur de son cou délicat sous
l’angle idéal pour le guillotiner proprement et sa pauvre
tête part rouler sur le trottoir avec une expression sidérée.
Léa qui s’est naturellement tournée vers l’explosion
assourdissante, voit surgir, courant dans sa direction et tenant
en laisse un chien immonde, un grand corps sans tête, surmonté d’un
geyser de sang. Elle pousse le plus abominable hurlement de terreur
avant de sombrer dans la folie, dont elle ne ressortira que très
lentement à l’age adulte, réussissant pour un
temps à mener une vie à peu près normale, jusqu’à ce
jour funeste ou on la retrouvera assise à coté d’un
amant violent fraîchement décapité, un sourire
narquois au lèvres et le regard halluciné, répétant
ces mots en boucle :
« Alors, tu vas plus nulle part, maintenant, connard hein ?
Tu vas plus nulle part… »
Le corps de Louis qui courrait par réflexe comme un canard étêté à l’ancienne,
finit par se désynchroniser et choit sur le trottoir, stoppant
net la course de Batman au milieu de la partie non piétonne
de la rue.
**********
Manu Duruisseau dit ‘’Narine’’ vu la quantité de
coke qu’il sniffe pour tenir le coup toutes ses nuit de livraison
de colis urgents succédant aux nuits de techno party de ses
jours de congés, déboule en emplafonnant allégrement
la limitation de vitesse de 30 Km/h de cette section de l’avenue,
105 décibels de musique techno dans les oreilles, ignorant
les évènements extraordinaires qui se déroulent
autour de lui. Tout juste note t’il du coin de l’œil
ce grand vieux qui se casse la gueule, il se détourne pour
mieux voir, ne pas perdre une occase de rigoler un peu, écrabouillant
Batman immobilisé pile devant ses roues, se demandant sur
quoi il a bien pu rouler. Il stoppe, sort de son fourgon et contemple
le spectacle, hébété, d’abord le corps
du chien hideux éventré, agonisant les tripes étalées,
puis le cadavre sans tête, pour finir sur les ruines fumantes,
et se dit qu’il devrait considérer l’éventualité de
diminuer sa consommation de substances psychotropes.
**********
Pamela n’a pas réalisé sur le moment ce qu’elle
filme tranquillement. Elle est presque complètement sourde,
infirmité consécutive à des otites à répétition
dues à la pratique intense de la natation synchronisée
dans sa jeunesse.
Ce n’est qu’en visionnant ses prises sur son écran
géant de retour ‘’at home’’
le soir même, qu’elle réalisera le jackpot qu’elle
a capté. En femme d’affaire avisée, elle négociera
l’exclusivité de ces images extraordinaires avec la
principale chaîne privée d’actualités américaine,
donc mondiale, pour deux millions de dollars qui les repasseront
jusqu’à saturation pour les diffuser ensuite sur Internet,
créant le plus gros buzz de tous les temps avec plus d’un
milliard de visiteurs en 24 heures, faisant du « NoHeadRunningMan » l’inconnu
(de force) le plus célèbre du monde.
Poulets.
Jacques Marchand est plongé dans les journaux du matin, totalement
isolé de son environnement.
Habituellement il utiliserait ce temps passé de bonne heure
dans le métro pour ‘travailler’, c'est-à-dire
repérer, confortablement installé dans un angle de
la rame, les agissements de sa future ‘clientèle’.
Il a l’art de se faire oublier, de passer inaperçu quand
cela est nécessaire, il sait donner l’impression de
somnoler dans son coin pour endormir la méfiance de tout ce
que les transports publics peuvent trimballer comme marginaux, petit
trafiquants, pickpocket, prostituées ou pervers en tout genres…
Il est doué d’une patience de chat, et comme un félin, éprouve
autant de plaisir à guetter ses proies qu’à les
alpaguer en flagrant délit quand ils passeront à l’action.
Jacques Marchand est un flic.
Mais un flic d’un genre particulier et sa motivation n’est
que très rarement de faire respecter la loi. Au contraire
! Car Jacques Marchand est un policier totalement ‘ripoux’ et
son but n’est surtout pas d’empêcher les activités
illicites des délinquants mais au contraire d’en tirer
lui-même quelques profits sous forme d’un petit pourcentage
prélevé sur le chiffre d’affaires de ces auto
entrepreneurs non conventionnels.
Notons pour le coté cocasse de l’anecdote que sa carrière
de policier ripoux a débutée après avoir visionné le
fameux film de Claude Zidi.
La vraisemblance, sans l’aspect comique, de l’histoire
l’inspira juste au moment ou sa vocation de flic s’estompait,
minée par l"instauration des "politiques du rendement" au
détriment du service public pour des raisons électoralistes,
décidées par une succession de gouvernements qui se
foutaient totalement des citoyens et surtout de ses fonctionnaires
les plus exposés aux disfonctionnements d’une société dont
ils étaient en grande partie responsables.
L’idée de tirer profit de sa fonction fit son chemin,
et il commença à accepter quelques arrangements par
ci, une enveloppe par la, des faveurs en échange de sa discrétion…
Jacques fut surpris de la facilité avec laquelle il accepta
ce nouveau mode de vie et le changement moral que cela impliquait.
Son absence de remord, la facilité et la rapidité avec
lesquelles il s’assit sur ses anciens principes lui procurèrent
un sentiment de liberté inouï, de vertige, comme un explorateur
qui découvre une terre inconnue.
Par chance son amoralité révélée se doubla
d’un réveil de son intelligence, assoupie par des années
de routine administrative confortable, de conformisme, d’obéissance à des
hiérarchies sans vision et sans imagination. Il comprit très
vite que le danger de sa nouvelle vie pourrait provenir justement
de cette griserie, de ce sentiment fallacieux d’impunité,
d’invincibilité.
Il s’organisa, utilisa toute sa science du classement pour
cloisonner, compartimenter ses vies.
Il se révéla excellent à ce jeu, brouillant
les pistes, cachant habilement ses revenus nouveaux qui devinrent
rapidement conséquents.
Il utilisa mille ruses, il créa un réseau extrêmement
serré de liens, de connections, de relations, d’obligations.
Il utilisa la menace, le chantage, la violence parfois, mais aussi
le service rendu, le renvoi d’ascenseurs, la confiance pour
se créer une myriade d’obligés dans tous les
domaines du crime organisé.
Ainsi, en plus de ses revenus dissimulés dans des achats immobiliers à la
campagne qu'il appelait ses ‘biens de famille’, il possédait
un réseau d’adresses pour se fringuer (de luxe), se
nourrir, il avait table ouverte dans des dizaines de restos, pour
se loger à l’œil dans ‘ses’ hôtels,
sans oublier les massages, soins de beauté ou prestations
sexuelles à volonté, prodiguées par ‘ses’ professionnelles.
Mais la plus paradoxale des conséquences de sa nouvelle vie
fut d’améliorer sa carrière de flic.
En effet, cette immersion dans le monde marginal le fit passer du
statut d’ennemi à celui de quasi-confrère par
la voyoucratie parisienne. Il fut en quelques sortes coopté par
cette faune interlope dont il devint un interlocuteur acceptable.
Ainsi il n’eut plus besoin de soudoyer des indics douteux pour être
renseigné sur ce qui se tramait en secret, sur les coups en
préparation, sur les arrivages de drogues ou de prostituées,
sur les trafics traditionnels : cigarettes, alcool, paris clandestins,
et sur les nouveaux : arnaques sur Internet, convoyages d’immigrés
sans papiers.
Les informations venaient à lui tout naturellement, il n’avait
plus qu’à trier ce qu’il voulait garder pour toucher
son pourcentage de ce qu’il laissait filtrer vers ses collègues
pour passer pour un flic efficace.
Et il l’était, de fait, ses infos précises menaient
toujours à des arrestations spectaculaires dont sa hiérarchie
tirait le plus grand bénéfice en se faisant mousser
devant les medias.
Au fil des années il avait si bien peaufiné son système
qu’il occupait dorénavant une position unique dans le
monde policier, son simple grade de commissaire n’était
du qu’a son ancienneté, son salaire de fonctionnaire
ne reflétait en rien l’importance de sa vraie fonction
: il était devenu celui à qui l’on confie les
affaires les plus tordues, les plus pourries, dangereuses pour l’avancement,
sensibles politiquement, médiatiquement délicates…
Et cela renforçait sa position car du coup il possédait
des dossiers biens crades sur tellement de personnalités politico-médiatiques
qu’il en était devenu presque intouchable…
De plus, s’il le fallait, il savait utiliser des méthodes
beaucoup plus radicales pour se tirer d’affaire si une situation
l’exigeait, par exemple il réagissait avec brutalité,
promptitude et netteté à toute tentative de chantage.
Il possédait des dizaines d’armes de tout calibre et
de toutes provenances, confisquées au voyous au fil des années,
planquées soigneusement dans des chambres d’hôtel,
des caves d’immeubles, des greniers ou des garages loués
sous un faux nom, qui lui permettaient de supprimer définitivement
toute menace représentée par n’importe quel imprudent
qui allait grossir la liste des victimes de règlements de
compte dont on ne découvrirait jamais les assassins.
Jacques n’utilisait pas ces méthodes expéditives
que pour sa propre protection, il en avait fait ‘’bénéficier’’ certains
de ses protégés en assassinant sans remord tel mac
trop violent ou tel chef de gang trop gourmand ou trop sanguinaire.
Il avait même éprouvé un grand plaisir à mener
certaines croisades à titre personnel à l’occasion,
peut être pour se persuader qu’il possédait encore
une certaine morale, par exemple en exterminant les ‘’cerveaux’’ d’un
réseau pédophile pourvu de protection tellement haut
placées qu’ils étaient pratiquement hors d’atteinte
par les moyens légaux.
Inutile de préciser que les carnets d’adresses impliquant
des personnalités de tous les milieux qu’il avait récupérés à l’occasion étaient
devenus de précieux auxiliaires de sa propre invulnérabilité,
joignant ainsi l’utile à l’agréable.
Bien sur, il n’a pas toujours été un policier
corrompu.
Il est fils unique de petits artisans qui sans être riches
avaient largement de quoi vivre. Ils habitaient dans le vingtième,
un arrondissement populaire de Paris. Son père était
cordonnier, un bon, à une époque ou on pouvait encore
gagner honorablement sa vie avec un vrai métier procuré par
un vrai savoir faire, sa mère était couturière
et tenait en plus une petite boutique de mercerie attenante à l’atelier
de son mari, juste à coté de la Place des Fêtes.
Ses parents, de vrais braves gens respectés et appréciés
de tous, l’avaient élevé en fils unique, c’est à dire
: choyé, protégé et sur nourri. Ils étaient
toujours fiers de lui, non sans raisons car Jacques était
plutôt bon élève, excellent sportif, en bonne
santé et très joli garçon. Ils l’éduquèrent
selon de solides principes conservateurs en fervents gaullistes,
le portrait du Général vénéré protégeait
la famille dans son cadre doré au dessus de la cheminée
du séjour.
Mai 68 fut vécu comme un désastre traumatisant par
ces gens simples et Jacques, par empathie envers ces êtres
qu’il aimait profondément, se prit d’une aversion
profonde pour tout ce qui pouvait être étiqueté comme
politiquement à gauche, dorénavant synonyme pour lui
de désordre, d’anarchie, de volonté de mettre
en péril le monde rassurant des vrais humains.
Ses parents qui rêvaient d’une carrière prestigieuse
pour leur rejeton, pourquoi pas juge ou pour le moins avocat, le
poussèrent à faire son droit.
Hélas, leur 404 sorti de la route N7 des vacances en pleine
ligne droite pour rebondir de platane en platane sur 200 mètres
juste avant le village sans charme de Sénas, dans les Bouches
du Rhône.
Rappelons qu’à cette époque les ceintures de
sécurité n’étaient pas encore obligatoires,
la vitesse non limitée et qu’il était courant
de se descendre son litron de rouge pendant tout repas, plus les
apéros avant et le pousse café après, ce qui
explique pourquoi les puzzles constitués par les morceaux éparpillés
de Marcelle et Antoine Marchand ne furent jamais entièrement
reconstitues et qu’il est même probables que certaines ‘’pièces’’ aient
pu être interverties.
La perte brutale de ses parents adorés traumatisa profondément
Jacques qui se trouva orphelin non seulement de ces êtres chers
mais aussi du monde rassurant de douceur, de confiance et de sécurité qu’ils
avaient créé pour lui. Ses études s’en
ressentirent, il rata une année, puis une autre, incapable
de fournir le niveau de travail requis pour atteindre des objectifs
ambitieux. Il finit par décrocher une licence passable et
décida à défaut de mieux de rentrer à l’école
de police.
Il reprit doucement goût à la vie en se découvrant
une vocation timide pour cette carrière. Il en sortit plutôt
bien noté avec le grade d’inspecteur.
Voila brossés les grand traits du portrait de Jacques Marchand.
Rajoutons qu’il n’a été que brièvement
marié à l’amour de sa vie, Jeanne, sa Jeannette,
hélas morte d’un cancer du sein à trente-deux
ans, quelques années à peine après avoir donné naissance à Juliette,
sa fille unique, l’autre amour de sa vie, la seule personne
pour qui il éprouve de vrais sentiments.
Juliette à maintenant une petite trentaine d’années.
C’est une belle femme, intelligente, bac + 9, docteur en sciences
humaines, brillant maître de conférence qui a déjà publie
plusieurs ouvrages de référence sur les dégâts
de l’acculturation des masses ou le retour des obscurantismes.
Juliette à son importance dans la suite de ce récit,
mais n’anticipons pas.
Revenons à Jacques, absorbé par sa lecture. Il dévore
chaque article consacre à « l’Affaire».
Il faut dire que l'enquête sur l'explosion de ce petit commissariat
de quartier piétine lamentablement et les journalistes s'en
donnent à cœur joie, entre spéculations et critiques
de l'incompétence des autorités, surtout de la cellule
anti-terroriste, des rodomontades de son juge cow-boy et de la prétention
de ses flics de choc!
Jacques se passionne pour cette intrigue, dès le début
il a senti que rien n'est normal dans cette histoire, que la vérité à découvrir
n'est par ordinaire…
Plus l'enquête s'enlise et plus elle l'intéresse.
L'article le plus pertinent est celui publié dans Libération,
posant les bonnes questions, soulignant précisément
les ratées du travail des enquêteurs, les rivalités
entre services de police, on sent que les infos sont collectées
aux meilleures sources, de plus l'article est bien écrit,
vivant, avec un vrai style, peu commun chez les chroniqueurs judiciaires.
La journaliste signe M.R. et ces initiales évoquent irrésistiblement
dans l'esprit de Jacques une crinière sombre et soyeuse, cascadant
sur des épaules larges, une bouche sensuelle, des formes généreuses
et des jambes interminables, comme aurait dit son père dont
il garde quelques vifs souvenirs anecdotiques: "des cuisses
qui montent jusque au cul!" Quarante-cinq ans après,
cette expression imagée, en réalité dénuée
de sens mais si parfaitement évocatrice, le met toujours en
joie.
Rajoutons le visage aux traits doux mais à l'expression dure
(lecteur cinéphile, pense à Vivianne Romance pour me
comprendre) éclairé par un regard vert profond, intelligent
et méprisant, bref la femelle la plus bandante qu'il ai connu
depuis plusieurs années.
Car Jacques la connaît, hélas pas dans le sens biblique
du terme: elle est la maîtresse de Lionel Raymond, jeune commissaire
de l'anti-terrorisme fraîchement formé, rejeton mâle
d’une fratrie de six, d'une famille de riches notables de province,
le genre à qui tout a toujours réussi, sur de lui,
ambitieux, les dents tellement longues qu'elles raclent le parquet,
méprisant évidemment les flics de terrain de l'ancienne
génération au méthodes surannées, convaincu
de la supériorité de la technologie, croyant que toute
affaire peut se résoudre grâce à la généralisation
des fichiers, de la télésurveillance et d'internet.
Il ignore qu’il ne doit sa place qu’au piston de son
papa, excellent chirurgien de la main qui sauva de l’amputation
le plus proche conseiller du ministre de l’intérieur,
grand énarque (1m89), mais chasseur maladroit qui trébuchant
sur une souche lors d’une partie de massacre de gibier d’élevage,
se tira malencontreusement une décharge de petit plomb à bout
portant dans la main droite.
En plus, ce crevard est beau comme un dieu et se tape une merveille
pareille, inutile de préciser que Jacques le hait intensément.
En arrivant au "Quai", Jacques découvre dans la
cour, gardées par des flics surarmés, plusieurs limousines
de fonction, flanquées du macaron tricolore.
Il remarque immédiatement une agitation inhabituelle, une
certaine nervosité dans l'air. Il se dirige nonchalamment
vers son bureau, ignorant volontairement l'ambiance électrique
et tombe justement sur Lionel Raymond et sa journaliste, enlacés,
une trace de rouge rubis sur la bouche du Casanova qui sourit niaisement,
un peu gêné.
-Salut, Jacques, y a réunion au sommet, ça chauffe…
Marion, elle, lui sourit d'un air provoquant et lui lance:
-Mais voila Jacques Marchand, le plus élégant des flics
parisiens…
-Tiens, mais c'est Marion la plus belle charognarde de Paris. Et,
se tournant vers Lionel :
-Que je sache, elle a rien à foutre ici, fais-la dégager,
et ça urge!
-Connard ! - ajoute-t-il en s'éloignant, juste assez haut
pour être entendu…
Il entre dans son confortable bureau avec vue sur la Seine, se sert
un expresso à son percolateur de luxe qu'il laisse allumé en
permanence et contemple les parisiens affairés et les touristes
mal fringués passant sous ses fenêtres.
Il attend que le téléphone sonne, sans impatience…
Quand enfin la sonnerie retentit il laisse passer un peu de temps,
ne jamais décrocher au premier appel, un principe de base.
Toujours se laisser désirer un peu, ne jamais montrer aucun
zèle.
-Allo…
-Marchand, venez dans mon bureau, c'est urgent !
-Bien monsieur le directeur…
Et voila, pense t-il c'est parti, enfin de l'action…
Jacques est quand même surprit de la qualité du gratin
qu'il découvre dans le bureau du chef. Que du beau monde!
-Asseyez-vous, Marchand! Inutile de vous présenter le ministre
de l'intérieur? Vous connaissez aussi le juge Michel Vaqueyras
chargé de la cellule anti-terroriste, Bernard Bourseiller
le préfet de police, Monsieur le Maire de Paris… Plus
des conseillers, des directeurs de cabinet dont Jacques se fout comme
de son premier slip.
-Monsieur le ministre, je vous laisse la parole,
-Monsieur le commissaire, vous n'êtes pas sans savoir, j'imagine,
que nous piétinons lamentablement dans l'enquête sur
l'attentat du commissariat…
La, quelque tentations de protestation des gens de l'anti-terrorisme,
genre : --Monsieur le ministre, ‘’piétiner’’ est
peut être excessif, nous avons quand même établi
que…" sont balayées d'un ton méprisant
par le ministre, surnommé poétiquement "La Salope" par
ses fonctionnaires.
-Ne m'emmerdez pas Vaqueyras, je suis pas d'humeur, tout ce que vous
avez trouvé c'est des évidences: une bombe de forte
puissance de fabrication professionnelle portée pas un kamikaze
dont vous ignorez tout a fait peter un commissariat de quartier!
Et c'est tout! Alors fermez-la! Commissaire… il regarde ses
notes, -Marchand c'est ça? Votre directeur affirme que s'il
y a quelqu'un capable de piger ce micmac c'est vous! Si il n'y avait
pas eu ce con de vieux, courant sans tète sur toute les télés
du monde, nous n'en serions pas la, un bel enterrement pour les malheureux
fonctionnaires lâchement assassinés en faisant leur
devoir, quelque belles déclarations de notre cher Président
(la, Jacques ne peut s'empêcher de glisser un regard vers le
fauteuil du ministre, pour vérifier si une petite tache humide
n'est pas apparue à l'évocation du grand/petit homme)
et nous aurions pu prendre tout notre temps pour enquêter.
Mais la, hélas, cette histoire a maintenant un retentissement
planétaire à cause d'internent, on parle même
de tirer un film de la vie de ce Louis qui parait-il, a été passionnante,
on pouvait pas estropier une bougnoule qui revenait du marché,
non, il a fallut qu'un 'héros' soit décapité… Alors,
oui ou non, vous pouvez trouver les responsables de cet attentat
monsieur Marchand? Répondez!
Jacques ne répond pas tout de suite, il prend tout son temps
pour passer en revue chacun des visages préoccupés
qui l'observent.
Il réalise qu’en dépits de leur maintient composé,
il possède des fiches détaillées sur les pires
turpitudes ou perversions cachées de presque toutes les personnes
présentes.
Son visage impassible donne l'impression d'une intense réflexion,
mais en fait il jubile intérieurement, il les fait juste poiroter
par plaisir. Tu parles qu’il ne risque pas de refuser une enquête
pareille, de fait ça faisait des jours qu'il attendait ce
moment, convaincu de son inéluctabilité.
-Oui, monsieur le ministre, je peux et je vais le faire, mais il
faudra me laisser travailler selon mes méthodes.
-Vous estimez avoir besoin de combien de temps pour obtenir un résultat?
-Une semaine tout au plus, monsieur.
-Vous avez carte blanche, prenez les hommes, les moyens techniques,
tout ce qu'il vous faut et délayez moi ce merdier!’
Le ministre rassemble ses notes puis lève les yeux par dessus
ses lunettes pour examiner ses interlocuteurs :
-on a fini ?
Vaqueyras intervient.
-Monsieur le ministre, je tiens à souligner que nous avons à traiter
une grave affaire de terrorisme et qu’il serait déplorable
médiatiquement parlant de retirer l’enquête aux
services spécialisés, le public a besoin de croire
que la réponse de l’état est à la hauteur
de la menace, que l’enquête est confiée à des
flics d’élite, non pas à un commissaire lambda,
bien que je ne doute pas des compétences exceptionnelles de
Marchand.
Le ministre, qui était sur le point de se lever, les deux
mains posées sur les accoudoirs, s’adosse dans son fauteuil
et réfléchit.
-Vous marquez un point, monsieur le juge, c’est pas le moment
de se mettre à dos l’opinion publique, déjà que
la cote de notre président n’est pas au mieux. Que proposez
vous ?
-Jacques peut mener l’enquête à sa guise puisque
vous y tenez, mais qu’il prenne avec lui un commissaire de
chez nous, Lionel Raymond serait parfait, et s’il devait y
avoir des interventions ou des arrestations, qu’elles soient
dirigées par l’antiterrorisme…
Le ministre se tourne vers Jacques.
-Ca vous convient, monsieur Marchand ?
L’idée de se coltiner cette andouille ne l’enchante
guère mais c’est peut être une occase d’approcher
sa mirobolante gonzesse, alors pourquoi pas…
-C’est vous les grands décideurs, arrangez vous entre
vous, moi je ferai avec.
***************
Jacques observe les trois flics assis en face de lui dans son bureau.
Il a bien du mal à cacher son dégoût.
Au fil des années, il a développé une aversion
profonde envers ses confrères. Déjà il y a l'autre
enflure de Lionel, l'amant de la belle Marion, et ça c'est
déjà bien suffisant pour justifier son animosité.
Mais il y a plus : il est trop beau, de cette beauté arrogante,
magnifiée par la jeunesse, insupportable pour un type de son
age, Non seulement ce Lionel est beau, mais il est sur de l’être
pour longtemps !
Ce n’est pas que Jacques se trouve laid, au contraire il est
la plupart du temps assez content de lui même, à juste
titre : il est svelte, presque trop mince mais cela lui donne une
juvénilité certaine dans son allure, dans sa démarche
légère de danseur de tango, il est élégant
naturellement, il a le rare don de mettre en valeur tout ce qu’il
porte. En plus il a une gueule magnifique, un nez fin légèrement
busqué, une bouche sensuelle qui se prête au sourire
charmeur, des traits taillés à la serpe soulignés
par une fine barbiche qui lui donne un air de pirate ou de gitan,
une mèche de ses cheveux drus à peine parsemés
de gris, coupés à la zazou (tu vois Gabin dans Pépé le
Moko ?... ça !) retombe en permanence dans ses yeux gris bleus,
qu’il remonte d’un geste caressant et précis.
Mais il ne peut s’empêcher de se trouver rance, trop
mur, blet comme il s’amuse à se décrire par auto
dérision. Il le sait bien, lui, que ce n’est pas que
dans la tête, que sa mécanique interne commence à être
usée même s’il entretient l’illusion : le
dos qu’il faut ménager, les yeux devenant mirauds, la
tripe moins performante, l’estomac de plus en plus sélectif… Hors,
il a le sentiment mal défini que son déclin physique
est lié à la plénitude d’un Lionel, comme
si l’énergie vitale n’existait qu’en quantité finie
et qu’un système de perfusion pompait la sienne pour
la déverser dans l’Autre.
Alors il le hait intensément.
Jacques n'est pas du genre à se modérer, il a appris
depuis longtemps à ne surtout pas être zen, il trouve
que la vie ne vaut le coup que si l'on éprouve quelques sentiments,
quelques passions, et qu'on se donne les moyens de les assouvir.
Bref, Jacques n'est pas un bouddhiste.
Mais au moins pour Lionel, sa jalousie est une bonne raison pour
ne pas pouvoir l'encadrer. Par contre, les deux autres poulets qui
lui font face ne lui ont rien fait en particulier.
Leur compétence est reconnue, deux bons flics bien notés,
besogneux, respectueux des procédures, bons fouineurs honnêtes
et presque pas raciste, de la crème de flic: Bernard Blanc
et Gérard Laporte, pères de famille et Sarkozistes…
Mais justement c'est ce qui répugne tant à Jacques,
il se dit que c'est ce qu'il devrait être! Cette réalité l'épouvante,
littéralement, car si l'intérêt qu'il a pour
la vie qu'il s'est choisi reste entier et le plaisir qu'il ressent à la
vivre est incontestable, sa différence, la solitude qu'elle
implique, l'abîme entre celui qu'il devrait être et celui
qu'il est devenu rends tout retour à la normale impossible.
En vieillissant il se rend compte que son mode de vie est dépourvu
d'échappatoire, de suite. Il n'existe pas de ripoux à la
retraite, il ne peut pas aspirer à quelque repos bien mérité,
au farniente après une vie de dur labeur comme le commun des
mortels: tout ça, il l'a déjà!
Quand il ne sera plus flic ripoux, il ne sera tout simplement plus
rien…
Jacques ne se voit pas s'intéresser aux voyages, à la
campagne, aux vielles pierres ou à la pèche à la
ligne. Il ne pourra jamais s'arracher à Paris, à son
monde nocturne, dangereux et subtil, pervers et passionnant, glauque
et épuisant, triste mais hilarant, si différent du
monde du jour, normal et fonctionnel, rassurant et routinier.
Il picolera trop pour combler son désœuvrement et crèvera
probablement prématurément, cirrhotique ou cardiaque,
ou trucidé pas un voyou dans une ruelle sombre…
-Bon, vous savez que nous sommes chargés de résoudre
l'affaire de l'explosion du commissariat. Chacun de vous va me collationner
le maximum d'infos puis nous étudierons ce que vous avez récolté pour
chercher des pistes avec un regard neuf…
Nous allons tout reprendre à zéro. Epluchez ce qui
a déjà été trouvé par nos collègues
de l'anti-terrorisme et creusez la où vous pensez qu'ils n'ont
pas assez fouillé.
Toi, Lionel, puisque tu ‘'en est'’, reprends tout le
volet terrorisme international, les islamistes et les autres, trouve-moi
qui peut avoir confectionné la bombe, les affaires qui peuvent
rappeler celle-la, quels groupuscules emploient ces techniques, etc.… Laporte,
vois tout ce que tu peux trouver sur le kamikaze, age, sexe, ADN,
les fringues qu'il portait, les cameras de vidéo surveillance… Blanc,
tu vas chercher du cote des victimes de l'attentat. J'y crois pas
trop mais sait on jamais? Je veux tout savoir sur eux, qui était-ils?
Qu'ont-ils branlé ces dernier mois? Ces flics, sur quelles
affaires ils bossaient?
C'est parti! Je vous donne deux jours et on fait le point !
Une foi ses collaborateurs partis, Jacques ouvre sa fenêtre
histoire de dissiper les miasmes du mélange écœurant
d'odeurs de cendrier plein (pour les deux poulets) et d'eau de toilette à la
mode (de Lionel) qui traîne derrière eux.
Il s'affale dans son fauteuil et se laisse bercer par la rumeur de
la ville. Il rêvasse, laisse errer ses idées d'un sujet à l'autre
mais sa pensée reviens toujours à l'affaire, comme
un insecte sur la fleur la plus sucrée d'un parterre. Il ne
doute pas de la résoudre sans grande difficulté. Il
sent que l'explication de cet attentat atypique est tout sauf politique
malgré les apparences, que la solution réside probablement
dans les interactions humaines les plus basiques, mais, comme tout
le monde, il bute sur l'aspect professionnel de l'affaire: pourquoi
tant de moyens mis en œuvre pour faire sauter un objectif somme
toute dérisoire ?…
Il va trouver, ce n'est qu'une question de creuser au bon endroit.
En attendant il a un rendez-vous autrement plus important.
Filles.
Marion Rinaldi est en train de prendre quelques notes en sirotant
un citron pressé vendu au prix du caviar à la terrasse
du Café de Flore. Elle aime bien l'ambiance, snobinarde plus
que branchée, typiquement parisienne de l'endroit. Pour elle
ce genre de lieu est précieux, le nombre de rumeurs souvent
fondées quelle peux y récolter est substantiel, il
suffit de tendre l'oreille et les siennes sont aussi fines que joliment
ourlées.
Il fait beau, presque chaud, et elle flemmarde en reluquant les passants.
Elle repère une silhouette familière au milieu de la
foule, costard anthracite impeccable, démarche souple, décidément
ce Jacques Marchand ne manque pas d'allure.
Il lui plait ce mec ! Marion l'observe, son instinct ne la trompe
que rarement et jamais sur les hommes.
Celui-ci n'est pas ordinaire
Elle se sent irrésistiblement attirée par lui mais
elle n'a pas encore su trouver le biais pour aborder le spécimen,
il faut qu'elle découvre la bonne stratégie.
Habituellement elle n'est pas très sensible au charme des "trop
vieux", comme elle ne baise que pour le fun, (comme on disait
jadis: pour l'hygiène) autant se taper de la testostérone
fraîche.
C’est justement pour ça qu’elle couche avec Lionel
Raymond, car pour être frais, beau et viril, il est servi.
Autre ‘’qualité’’, c’est un
benêt, amoureux d’elle comme un toutou dont elle tire
un flux inépuisable de renseignements précieux pour
ses articles.
Mais elle n'est pas bornée et Marchand compense largement
son age par l’indubitable magnétisme qu'il dégage.
De plus, son attrait n’est pas motivé que par le seul
charme de ce Jacques, son flair pour les vrais bon plans professionnels
est en alerte depuis qu’elle l’a repéré,
dans une réception officielle ou il faisait tache, ne faisant
aucun effort pour masquer son profond ennui mais bénéficiant
d’une considération surprenante de la part de toutes
ces ‘’huiles’’ qui défilaient pour
le saluer…
Elle ne doute pas qu’il en aurait à raconter et du raide,
de la matière pour écrire des dizaines d’articles
retentissants…
Elle suppute ses chances de profiter de cette rencontre fortuite
pour l'aborder, quand il s'assoit à la table d'une grande
fille du genre saine et sportive, pas maquillée, les cheveux
drus et blonds en bataille, les yeux bleus et la bouche pleine de
dents éclatantes, l'image parfaite de la viking sure d'elle
qui lui procure illico une poussée d'urticaire, elle qui cache
sous son apparence de femme fatale sophistiquée un mal-être
et une insécurité infinie, provoquée par une
peur de la mort et de la vieillesse qui la terrifie, au point d'en
pleurer, seule et désespérée, malade, se tordant
de douleur en somatisant son angoisse, jusqu'à ce que des
poignées de somnifères la fassent plonger dans une
amnésie comateuse.
De rage elle se lève et fuit en renversant sa tasse, sa journée
gâchée, si ce vieux beau préfère les scandinaves
survitaminées, grand bien lui fasse, qu'il aille se faire
foutre…
*************
Jacques marche d’un pas pressé, s’il osait il
trottinerait en zigzagant entre les passants. Il est content, presque
hilare comme un cancre après l’école.
Elle lui a donné rendez-vous et comme les occasions de la
voir se font rares ces temps-ci, la chérie étant sollicitée
de toutes parts, il est aux anges.
Il la repère de loin, une pareille tignasse n’a pas
d’équivalent, elle bouquine au soleil, indifférente
aux regards admiratifs assis autour d’elle à la terrasse
du café.
Il se glisse souplement entre les tables pour s’asseoir à coté d’elle,
fier comme Artaban, en gratifiant les marlous jaloux et désappointés
de son rictus narquois spécial blaireaux.
Elle lève ses yeux bleus vertigineux et lui prodigue un sourire éclatant.
-Bonjour mon papa !
-Bonjour amour de ma vie !
Embrassades, bisous sonores, comme elle sent bon !
Il la contemple, énamouré. Elle lui rappelle sa mère,
mais en « plus » : plus grande, plus forte, plus dynamique,
de la finesse mais aucune gracilité dans ce grand corps tonique.
Jacques est tellement fier d’elle. Juliette l’a comblé au
delà de toutes ses espérances, il aurait tant aimé que
sa mère soit la pour partager son plaisir.
-On va se balader ? Il fait trop beau !
Sans attendre sa réponse de toutes façons acquise,
elle se lève en lui prenant la main pour l’entraîner…
Elle est un peu plus grande que lui grâce aux talons de ses
bottines, elle porte un jean moulant à taille basse, un mini
blouson de cuir noir par dessus un ‘’truc’’ blanc
plein de dentelles, mélange gracieux entre un sous-vêtement
et un chemisier, décolleté, ultra court qui lui laisse
le ventre à l’air, Jacques se laisse guider en la matant à la
dérobée, vérifiant que tous les hommes se retournent
sur son passage, quel canon il a fait la !
Il se laisse bercer par le bavardage de sa fille, il adore son air
inspiré quand elle discute d’un sujet qui lui tient à cœur…
-Papa, tu m’écoutes pas !
-Je fais que ça, ma chérie !
-Ah ouais, je t’ai dis quoi ?
-Tu m’as dis que…heu…que…
-Bravo, ça fait plaisir de voir comme ce que je raconte t’intéresse
!
-Désolé, j’étais trop occupé à t’admirer
!
La, placement du sourire Grand Charme n7 de chez Marchand Jacques…
Juliette, irritée en apparence par son manque d’attention
mais secrètement ravie par son admiration si sincère,
l’entraîne vers un banc au bord de la Seine, avec vue
imprenable sur les dentelles de pierre des arcs-boutants de Notre-Dame.
-Bon, il faut que tu m’écoutes, c’est important.
-OK, je t’écoute, tout à toi je suis, tout ouis
tu me vois, tout…
-Hhhhrrrrgnffrg ! Arrête de déconner, ok ?
Bon, elle est sérieuse, il faut l’écouter.
-Vas-y.
-Tu t’occupes de l’enquête sur l’explosion
?
-Quelle explosion ?
-Ho, papa, me prends pas pour une conne, je sais que cette histoire
pue, que les keufs pédalent dans le couscous et qu’ ON
va finir par te demander de t’en mêler, si c’est
pas déjà fait, j’en suis certaine …
Au fond, Jacques ne voit pas de raisons pour finasser, surtout que
sa curiosité s’est éveillée, pourquoi ça
l’intéresse ? Il lui pose la question…
-Figures toi que le décapité, tu sais, Louis Chevrier,
je le connaissais bien…
-Ha bon ? Raconte !
-C’était une sommité en sociologie, une vraie
pointure et il fait partie des auteurs qui m’ont le plus inspirée
quand j’ai écris ma thèse, bon, ma première
thèse…
Et oui, ma fille elle écrit plusieurs thèses, quel
cerveau...
-…En fait j’ai tant aimé ses bouquins que je
l’ai contacté quand j’ai découvert qu’il était
toujours vivant, sans trop espérer de réponse, je pensais
qu’il serait complètement désintéressé par
les recherches universitaires, mais il m’a répondu,
il semblait au contraire enchanté qu’on ne l’ai
pas oublié. Je suis allée chez lui des dizaines de
fois, il m’a conseillée, guidée. Il était
adorable ce mec, si gentil, en plus j’ai jamais vu un type
aussi intelligent, incroyablement cultivé, un vrai puits de
science, on aurait dit qu’il avait tout lu. Aussi ; il a eu
une vie passionnante, il a vécu un tas d’aventures et,
crois le ou pas, malgré ses 90 ANS, il était beau,
pas « encore » beau, non, juste beau, la classe absolue…
Jacques commence à ressentir un début de haine envers
ce vieillard si parfait…
-Oui, bon il était parfait ton Louis sans tète, et
alors ?...
Oh le regard meurtrier qu’elle lui décoche ! Jacques
pige illico qu’il aurait mieux valu la fermer…
-Ca y est ? On pique sa petite crise de jalousie mon papa, on supporte
pas qu’il existe des gens mieux que soi de part le monde ?
Des plus cultivés, plus ouverts, plus beaux, plus généreux
et moins obnubilés par leur petite personne ? Qui essayent
de comprendre le monde pour s’efforcer de l’améliorer
plutôt que de se complaire dans ses bas-fonds ?
-Ho ça va, je plaisante…
-Hé bé tu te les gardes tes plaisanteries minables,
je suis en train de te parler d’un sujet qui me tient à cœur
et je te demande de m’écouter, c’est tout !
Elle peut pas s’empêcher de fondre devant sa mine sincèrement
contrite, elle sait qu’elle est bien trop forte pour lui, elle
sourit, lui jette les bras autour du coup, couvre son visage de petits
bisous…
-Tu sais bien que tu es mon papa que j’adore et j’en
ai pas d’autre du coup tu es le meilleur…
-Arrête de te foutre de moi ! Continue ton histoire.
-Bon, voilà ! J’ai commencé à écrire
une biographie de Louis et je veux tout savoir sur les circonstances
de sa mort, par qui a t-il été assassiné. Je
comprends qu’il s’agit d’une sorte d’accident,
mais les circonstances, l’environnement, les conditions initiales
qui ont déterminés la succession d’événements
pour aboutir à cette mort étrange, je veux les inclure
dans son histoire. C’est d’autant plus fascinant qu’une
grande partie des thèmes de recherche de Louis portaient justement
sur la relativité du libre arbitre dans un contexte donné d’un
monde interactif, Je veux pas que l’existence d’un être
aussi subtil soit réduite à un film gore de 3 minutes
sur internet. Fais la lumière sur cette affaire, ne laisse
rien dans l’ombre, si tu veux pas le faire pour Louis, fais
le pour moi. Promis ?
-Promis, ma chérie, tout ce que tu veux, tout, tout pour ma
chérie, ma chérie…
-Paaapaaaa…
Recherches.
Jacques et son équipe sont réunis dans son bureau
pour faire le point. Il a hâte de prendre connaissance de leurs
découvertes.
-Bon, j’espère que vous m’avez trouvé du
substantiel, du croustillant ou au moins du nouveau, restons réalistes…Qui
commence ? Lionel ?
Lionel se racle la gorge et se compose l’attitude qu’il
imagine être celle qu’un grand flic adopterait, genre
dernier coup d’œil sur ses notes, puis regard appuyé à chacune
des personnes présentes pour s’assurer qu’il a
l’attention générale…
-Mais quel con ! pense Jacques.
Lionel commence…
-En préambule, je dois dire que j’ai creusé partout
et mes recherches m’ont emmené à la conclusion
que…
Jacques, excédé, l’interrompt :
-Bon, tu vas pas nous gonfler à raconter ta vie, accouche,
direct à l’essentiel, allez, allez…
L’autre, coupé dans son élan, bafouille, ne sachant
plus trop par où continuer…
-Oui…heu…alors, la bombe…ou plutôt l’explosif
puisque c’était pas vraiment une bombe, évidemment,
donc l’explosif…
-Mais je vais me le faire ce con…
Heureusement, Lionel retrouve le fil de son récit avant que
Jacques pète un câble…
-L’explosif, le type de détonateur, la technique de
confection, tout rappelle les pires attentats en Irak et au Pakistan.
On a la du signé Al Qaida et pas de la petite branche marginale.
En fait tous les éléments en notre possession désignent
Mamoud Benzidine, un de leurs meilleurs artificiers, un Egyptien,
et il a justement été repéré en Belgique
il y a deux mois. Il n’y a pratiquement aucun doute sur son
implication dans cette opération. On a perdu sa trace mais
il semble certain qu’il ait rencontré Omar Fékha,
un leader charismatique extrémiste de Manchester qui prône
ouvertement le Jihad et qui a lui aussi disparu. L’anti-terrorisme était
depuis en alerte maximale (ha bon ? pense Jacques), tout indiquais
un risque majeur d’attentat à Paris, confirmé par
de multiples menaces anti françaises dans les communiqués
d’Al Qaida.
Jacques reprend :
-Donc nous savons qui est derrière tout ça mais toujours
rien sur le pourquoi de la cible. Bernard, à toi, parles-nous
du kamikaze …
-Désolé, Jacques, mais la on a presque rien. Tout ce
dont on est sur c’est qu’il était de sexe masculin,
maghrébin et très jeune, 16, 17 ans tout au plus. Il
est complètement inconnu de nos services, rien dans les fichiers
ADN ou aux empreintes. La seule piste intéressante c’est
qu’il avait le sida, mais il devait l’ignorer car il
ne prenait aucun traitement, du coup pas moyen de l’identifier
dans les hôpitaux. Pour le reste il a été tellement
pulvérise par l’explosion qu’on n’a pu reconstituer
sa tronche qu’en partie et le portrait-robot élaboré par
l’identité est tellement banal qu’il ressemble à des
centaines de jeunes des quartiers. Il a probablement choppé sa
maladie en baisant car il ne se droguait pas, à l’exception
d’un joint occasionnel.
-Ouais, c’est pas lourd, mais c’est pas rien, en tous
cas c’est très intéressant, non ? Gérard,
sur les victimes, tu as trouvé quoi ?
-A part l’étêté…
Jacques le foudroie d’un regard assassin !
-C’est de monsieur Louis Chevrier que tu parles ?
‘’C’est du Louis à fifille que tu parles, connard,’’ se
dit-il in petto, ‘’un peu de respect’’, son courroux
paradoxalement sincère motivé par un genre de : Pas touche aux
amis de mon amour qui sont du coup mes amis !
Gérard, un peu décontenancé quand même
par le Marchand nouveau, style père-la-morale, on aura tout
vu dans cette turne, reprend son récit :
-Monsieur Chevrier, donc, à part lui il n’y avait ce
jour la qu’une Martine Chardon, 62 ans, sdf bien connue dans
le quartier qui cuvait sa dernière cuite en cellule et cinq
flics en service.
On n’a pas grand chose sur la clocharde, je crois qu’elle
s’est trouvée la par hasard, comme le malheureux Louis
Chevrier qui promenait juste son chien au mauvais endroit et au mauvais
moment. (Petite tentative pitoyable pour se faire pardonner la maltraitance
précédente du Louis). Par contre, nos collègues,
dont, en passant trois ont été tués non directement
par l’explosion mais plutôt par l’effondrement
de l’immeuble, n’étaient pas vraiment le nec plus
ultra en matière de flic. C’était bavure land
ce commissariat, ils avaient tous, du plus gradé au plus subalterne,
des dossiers chargés comme des mules. La liste de leurs exactions
est interminable, leur carrière était parsemée
de plaintes suivies de blâmes, mutations, blocage d’avancement,
certains ont échappé de peu à la révocation…
-A ce point ? Mais c’est passionnant tout ça mon petit
Gérard. Bon boulot, reprend Jacques, -hein que c’est
passionnant, vous trouvez pas ?
Il dévisage ses troupes mais il ne décèle aucun
signe d’enthousiasme particulier, juste une vague attention
polie, puisque le chef trouve ça captivant, c’est que ça
doit l’être, alors ils s’efforcent de montrer un
semblant d’intérêt.
Jacques s’isole dans ses pensées, il n’a pas besoin
de ces bourrins pour faire la synthèse de tous ces éléments
en apparence contradictoires, se laisser pénétrer par
leur signification pour en extraire une logique évidente,
aussi limpide et irréfutable qu’un beau théorème…
-Bernard, tu vas demander au labo de faire une nouvelle recherche
ADN…
-Mais, Jacques, s’il n’y a rien à trouver ils
trouveront rien…
-Tu vas leur demander de chercher des ADN proches parmi la racaille
fichée chez nous et qu’ils se concentrent d’abord
sur le secteur local, pour s’éloigner progressivement
si ça donne rien…
-Tu crois que …
-Je crois pas, je sais, tu verras…
Jacques arrive en retard au Quai comme d’habitude, strict
dans le respect de ses principes : jamais de zèle, jamais,
et puis pourquoi se priver du petit plaisir gentiment pervers d’irriter
ses confrères les plus détestés pour qui la
ponctualité est la qualité principale du fonctionnaire
méritant, ça améliore son humeur du matin souvent
morose et du coup tout le monde en profite, non ?
Il découvre la porte de son bureau grand ouvert, Laporte et
Blanc vautrés dans ses beaux fauteuils, des Chesterfield authentiques,
commentant le dernier match du PSG, la clope au bec, au risque d’endommager
le cuir délicat…
-Faut plus vous gêner, les mecs, faites comme chez vous !
Mais ces deux la ne sont pas de l’espèce à se
formaliser de son ton exaspéré, les vexations en tous
genres de supérieurs hargneux sont leur lot quotidien et Jacques
serait plutôt de la catégorie ‘’petit-bras’’ dans
ce domaine. Ils se tournent vers lui, contents de le voir, avec des
sourires affables découvrant des dentitions négligées
qui foutent un début de nausée à Jacques…
-Ca va chef ? Contents de te voir nous aussi !
-Et en plus ils se foutent de ma gueule ! Mais au moins ils ne sont
pas accompagnés par Lionel.
-Il est ou l’autre gland ?
-Vas savoir, il doit glander sur Internet ou niquer sa poufiasse,
il peut pas s’en décoller ! En tous cas, nous on a du
nouveau, je crois que ça va te plaire…
Du coup Jacques se sent tout radouci envers eux, il les trouverait
presque sympas…
-Racontez les mecs, racontez…
Bernard prend la parole :
-Ben voilà, ton idée de chercher des ADN proches a
payée. Figure-toi que notre kamikaze était, avec une
probabilité de 98 pour cent, le frère d’un chef
de bande de la cité ‘’La Martinière’’,
il s’appelait Karim Hatta et il n’avait pas de casier,
rien, même pas une petite interpellation. Par contre son frère
Kader était, lui, un vrai dur et un malin qui s’en est
presque toujours sorti en faisant endosser ses coups ratés
par ses arpètes, on l’a arrêté des dizaines
de fois sans jamais réussir à le coincer durablement,
en plus il terrorisait tout son quartier, une vraie ordure et, bien
sur, personne n’osait porter plainte par peur des représailles.
J’en parles au passé car figure-toi qu’il est
mort il y a quelques mois. On l’a trouvé roué de
coups dans un terrain vague. L’enquête a conclu à un
règlement de compte entre bandes rivales. Mais c’est
du pipeau. En fait c’est pas le passage à tabac qu’il
a subit qui l’a tué, il est mort d’une crise cardiaque,
tiens-toi bien, AVANT d’être tabassé ...
-Une crise cardiaque ?...
-Oui, oui, surprenant, non ? En fait il avait une malformation congénitale
cardiaque en général assez bénigne, il aurait
pu vivre avec sans problème très longtemps…
-Alors ? Jacques est totalement captivé...
-Alors, le Kader, il a été tasé, et pas qu’une
fois, on a relevé les traces de cinq ou six décharges
sur son cadavre, c’est ce qui a provoqué son arrêt
cardiaque.
-Tu me parles d’une bavure, la, c’est ça ?
-Ca m’en a tout l’air ! Par contre, les flics en patrouille
dans le secteur ce jour-la sont morts dans l’attentat, on t’a
apporté leurs dossier, c’est du gratiné tu verras,
surtout le René Castilla, dit ‘’Moustache’’,
un vrai tordu…
‘’Et voilà, se dit Jacques, c’était
pas bien compliqué…’’
Il n’a plus qu’a explorer lui même la vie de ce
Karim pour finir par comprendre comment il a pu finir sa courte vie
transformé en bombe humaine, le pourquoi il l’avait
déjà pressenti, les faits viennent de le confirmer…
-Merci, les gars, ça c’est du boulot, vous avez assuré…
Les deux inspecteurs se lèvent pour sortir, ravis de le voir
si satisfait. En sortant, Gérard se retourne en se tamponnant
le front :
-Au fait, Kader, comme son frère était sero-positif,
c’est peut être important ?...
-Tout est important, mes amis, tout est très important…
Dans les jours suivants, Jacques se plonge dans l’enquête
sur la vie de ce Karim et de son frère Kader. Il va découvrir
un monde stupéfiant fait de violence, de pulsions exacerbées,
d’interactions humaines insoupçonnées.
Il en a pourtant vu, et des raides, au cours de sa longue carrière,
au fil des milliers d’ heures immergé dans les pires
perversions et déviances que la société peut
produire, mais ce qu’il découvre c’est du gratiné !
Banlieusards.
Karim Hattah contemple son frère Kader étendu à côté de
son 4x4 Audi.
Son teint cireux, son regard fixe et déjà vitreux confirme
ce que Karim a déjà compris intuitivement quand il
a vu Kader s’écrouler, foudroyé par les décharges
de Taser décoché par Moustache.
Cette ordure s’est ensuite défoulée sur son corps
inerte, à coups de rangers et de matraque, jusqu’à ce
que ses collègues réalisent qu’il s’acharnait
inutilement sur un cadavre.
Karim fond en larme, tombe à genoux à côté de
son frère et gémit comme une bête blessée,
il étouffe de chagrin et de remords car c’est de sa
faute s’ils ont stoppé à cet endroit, choisi
précisément pour la présence de cette palissade
déglinguée bordant un terrain vague, au milieu de cette ‘’zone
franche’’ d’activité désertée
depuis la crise, malgré les mirobolants avantages fiscaux
accordés à des patrons rapaces qui se sont empressés
de délocaliser leur usine une fois leurs poches remplies d’aides
publiques.
Ils se sont arrêtés là pour la plus banale, la
plus triviale des raisons organique, pour que Karim puisse se soulager,
en proie à des coliques terribles provoquées par un
excès d’harissa douteux sur un kebab consommé la
vieille à la sortie du Krystal, une des boite préférées
de son frère Kader.
Il se vidait, caché derrière la palissade, quand il
a entendu les flics s’arrêter, sortir de leur bagnole
et cogner à la vitre de l’Audi.
Son frère ne les a sûrement ni vu, ni entendu approcher,
yeux clos et 95 décibels de rap dans les oreilles.
Il n’avait plus aucune chance de leur échapper alors
il est sorti du 4x4 sans opposer de résistance.
Mais ça ne leur a pas suffit aux flics, et c’est Moustache
qui l’a apostrophé :
-Tiens, mais c’est Karim-sac-à-merde….il est à toi
ce 4x4 ? Tu l’as payé comment ? Pas en travaillant ?
Tu l’as volé ?
Kader a essayé de protester
-J’ai rien volé, c’est ma caisse, putain, je l’ai
payée, regardez la carte grise… elle est à moi
!
-Oh ! Tu nous parles comment, là, hein ? C’est pas les
bougnoules qui vont faire la loi, non ?
-Vous me traitez pas de bougnoule ! Je vous ai pas insulté moi
!...
Karim a bien vu que Kader faisait tout pour garder son calme.
Il n’osait pas s’approcher, la peur le tétanisait,
mais il ne pouvait pas laisser son frère tout seul non plus,
il était sur le point de se montrer quand Kader l’a
aperçu.
Il l’a regardé et lui a fait des signes de dénégation
brièvement, sans que les flics le remarquent.
Karim s’est figé sur place, restant hors de vue des
keufs.
Puis tout a vraiment dérapé.
Moustache a entrepris de fouiller la voiture pendant que les deux
autres flics épluchaient les papiers de Kader.
-Tiens, regardez moi ça …ça se drogue en conduisant
! A t-il dit en brandissant triomphalement le joint à peine
entamé que Karim avait tout juste allumé quand il avait
ressenti ce besoin irrépressible d’aller chier.
-Putain c’est même pas moi qui l’a fumée
cette merde. Sentez…j’ai pas fumé !
Et Kader exhale un bon coup dans la gueule de Moustache, planté devant
lui.
-Tu te prends pour qui à me cracher ton haleine de porc dans
la gueule, fils de pute ?
Kader n’était pas du genre à se contenir longtemps
:
-C’est moi que tu traite de porc, enculé ? Je vais t’écraser
ta gueule !
Il a tenté de bondir sur Moustache mais les 2 autres flics,
des teigneux, l’ont ceinturé sans ménagement,
pendant que Moustache dégainait son Taser et lui infligeait
décharge après décharge jusqu’à ce
qu’il s’écroule inerte sur le trottoir.
Alors Moustache s’est rué sur lui et a commencé à le
rouer de coups.
***********
Karim reste prostré, incapable de penser autre chose que
: Kader est mort, Kader est mort, gémissant, comme un chien
blessé et abandonné, une plainte aigue et à peine
humaine …
Puis un bruit de voiture, des pinceaux de phares qui balaient la
scène le tirent de sa léthargie. Il se lève
et instinctivement, tel un animal apeuré retourne se blottir
derrière la palissade. Une voiture s’arrête, un
couple banal en descend, découvrant le corps de Kader.
Cri de la fille, le mec, lui, n’a qu’une idée
en tête : se tirer.
-Cassons nous, on peut rien faire, il est mort !
-T’en es sûr ? Comment tu le sais ? T’es même
pas allé voir, il faut appeler les pompiers !
-Il est mort je te dis ! C’est dangereux ici ! Il faut se barrer
!
Mais elle ne l’écoute pas
-J’appelle !
Et elle compose le 15.
-C’est malin, on va y passer la soirée maintenant !
-Oh ! Ta gueule ! Quelle couille molle tu fais !
Karim a bien trop peur des flics, il peut pas rester là, il
disparait dans la nuit.
************
Il erre pendant des heures, sans but, il ne sait où aller,
il n’ose pas rentrer chez eux, dans l’appartement qui
leur sert de base avec Kader, il est sur que ça doit déjà grouiller
de keufs, et avec ce qu’ils vont découvrir là bas,
les armes, la dope, le fric, c’est pas le moment de se montrer…
Au petit matin, il finit par se retrouver devant l’appartement
familial, troisième étage, escalier C, bloc ouest de
la cité ‘’Les Marronniers’’, une des
plus déshéritée de la banlieue nord de Paris.
Sa mère est en train de siroter un thé à la
menthe, l’air encore plus accablé que d’habitude.
-Des policiers sont venus, ils ont dit que Kader il est mort…
Il ne répond pas, à quoi bon, il sait qu’elle
n’écoutera pas, lancée dans son monologue
-Qu’est ce qu’il a fait encore, je le savais que ça
finirait mal, il a toujours été mauvais, il m’a
apporté que du malheur, j’aurais mieux fait de mourir
que de donner naissance à un monstre pareil…
Et ça continue … Véritable litanie de jérémiades,
Karim n’est pas certain qu’elle ait seulement réalisé que
Kader est réellement mort. Elle doit croire que ce n’est
qu’une mauvaise action de plus de la part de son fils qui n’a
séjourné sur terre que pour lui procurer du malheur.
Le radotage maternel dure des heures. Karim n’écoute
plus, assommé de chagrin, plongé dans un demi-sommeil.
Les ronflements de son père, qui dort dans la pièce à côté,
cessent.
Des grincements de sommiers, puis des rafales de divers bruits organiques,
pets, raclements de gorge, toux, crachat, vidange de vessie… Il
fini par apparaître dans l’encadrement de la porte, vacillant
un peu, hirsute, l’air totalement abruti
-Qu’est ce que tu fous là ? Y a quelque chose ?
-Kader est mort ! Répond Aicha
-Ah ouai, ça devait arriver, avec cette vie de con… Puis,
dans un éclair de lucidité :
-Ça va coûter un bras pour l’enterrer …qui
va payer ?
Karim fuit dans l’ancienne chambre qu’il partageait avec
Kader, transformée en débarras.
Il balance par terre le bric-à-brac qui encombre son ancien
lit et s’y jette dessus pour pleurer.
Des heures passent. Il essaie de ne surtout pas penser au futur, à un
futur sans son frère adoré.
En fait il ne peut tout simplement pas concevoir une quelconque vie
sans lui, il a la sensation d’être devant un abîme,
ou plutôt une étendue opaque, une sorte de brouillard
dans lequel il perdra irrémédiablement tout repère
quand il s’y sera engouffré.
Alors il se raccroche au passé, aux souvenirs de sa seule
vie réelle, celle d’avant.
Aussi loin qu’il se souvienne, Kader a toujours été là pour
le protéger, il a toujours épargné à Karim
les agressions du monde extérieur. Ils ont quelques années
d’écart et tout petit déjà, Kader, qui
devait avoir à peine 6 ou 7 ans, servait de rempart entre
Karim encore bambin et la violence de son père qui battait
quotidiennement comme plâtre sa famille , sa femme Aicha et
Kader.
Kader était déjà très malin, et il savait
détecter les signes avant coureurs des crises paternelles,
escamotant préventivement Karim hors de portée des
coups.
Il lui avait aménagé une planque confortable au fond
d’un placard, remplie de jouets avec lesquels Karim n’avait
le droit de s’amuser que quand il était enfermé dans
sa cachette. Ainsi, pendant que son frère dégustait
sa rouste journalière, Karim passait un moment merveilleux,
calfeutré dans son placard magique, ignorant tout du drame
qui se déroulait à l’extérieur.
Leurs parents Mourad et Aicha Hattah, maghrébins français
de la deuxième génération, étaient parfaitement
bien intégrés, surtout le père qui picolait
depuis son adolescence comme n’importe quel prolo français
de souche.
Il avait bien sûr quitté l’école à 15
ans, vu ses résultats médiocres, pour rentrer comme
apprenti dans le bâtiment. C’est là qu’il
avait commencé à se torcher tous les week-end avec
ses potes, débutant ainsi une carrière d’alcoolique
chronique des plus classiques qui se terminera par une splendide
cirrhose mortelle qui l’emportera, après des années
de chômage, juste avant l’âge de la retraite.
Il épousa Aicha, une jolie cousine effacée et inculte,
une pauvre fille née juste au mauvais endroit idéal
pour subir une vie de victime consentante, qui lui donna ses deux
fils à l’époque où il avait encore assez
d’énergie pour subvenir au besoin minimaux d’une
famille standard de travailleur manuel.
Quand Karim fut trop grand pour rester caché dans son placard,
Kader continua à le protéger en trouvant d’autres
tactiques, faisant toujours en sorte que son père s’en
prenne à lui-même de préférence.
Il avait aussi noté une baisse de tonus chez Mourad, aussi
il s’arrangeait pour que Aicha dérouille en premier,
encaissant le gros de l’énergie dont disposait son père,
le reliquat étant absorbé par Kader, puis Mourad s’écroulait,
calmé, sur le canapé du salon, vidé de son énergie
belliqueuse, oubliant Karim qui s’en sortait sans ecchymose.
Ce régime endurci Kader qui devint très vite une teigne,
redoutable dans les bagarres car insensible aux coups et à la
douleur, increvable combattant qui ne s’avouait jamais vaincu,
ne criait jamais grâce.
Bien sûr, la protection de Karim fut évidemment étendue à l’extérieur, à l’école,
mais surtout dans la rue où les deux frères traînèrent
très tard dés leur plus jeune âge.
Ainsi Karim vécu une enfance protégée dans ce
cocon de sécurité conçu par son frère, à l’abri
de tout mauvais coup, ignorant les agressions extérieures.
Mieux, Kader comblait aussi tous les désirs de Karim, quand
celui-ci voulait quelque chose il n’avait qu’à le
demander, son frère s’arrangeait pour le lui procurer,
au besoin en volant, en extorquant, en menaçant de représailles
terribles l’enfant qui aurait eu l’aplomb de ne pas se
laisser dépouiller en silence.
Kader devint très vite le chef incontesté d’une
petite bande de racailles qui terrorisèrent très vite
le quartier.
Mais pour Karim c’était le paradis et Kader était
Dieu !
Il lui devait tout, dépendait totalement de lui et il le vénérait.
Kader était aussi son mentor, son éducateur, il lui
avait fait connaître précocement un tas de choses.
Par exemple il l’initia très tôt au relations
sexuelles en le sodomisant dés l’âge de 6 ans.
Karim depuis toujours aimait dormir blotti contre son frère,
et Kader prit l’habitude de se laisser caresser par Karim qui
ne trouvait, en toute innocence, rien de mal à procurer cette
satisfaction à son frère adoré.
Aussi quand Kader fut instruit précocement sur les diverses
pratiques sexuelles, il trouva tout naturel d’expérimenter
avec son frère ses nouvelles connaissances, mais il n’usa
d’aucune violence pour parvenir à ses fins, Karim fut
même ravi de pouvoir procurer un plaisir d’une telle
intensité à son frère.
L’amour de Kader pour son cadet s’en trouva décuplé et
il en devint encore plus protecteur, redoublant d’attentions
et de prévenances pour Karim…
Karim, lui, comprit très vite tout le parti qu’il pouvait
tirer de cette dépendance en la cultivant, se montrant de
plus en plus docile et consentant pour satisfaire l’appétit
sexuel grandissant de l’adolescent, de toutes les manières
imaginables, devenant expert dans l’art d’utiliser tout
son corps délicat pour le faire jouir chaque jours plus intensément.
Cette relation amoureuse incestueuse et fusionnelle tissa des liens
intenses et indéfectibles entre les deux frères.
Kader et Karim n’étaient toutefois pas dénués
d’intelligence ni d’un certain sens moral, mais ayant
toujours été livrés à eux même
suite à la démission totale du rôle de parents
de leurs géniteurs dés leur plus jeunes âge,
ayant pour cause l’alcoolisme profond de leur père et
l’implosion morale et mentale de leur mère, ils inventèrent
leurs propre règles, leur propre valeurs, basées sur
aucun des préceptes moraux conventionnels.
Pour eux, seul importait leur bien être réciproque.
Plus Kader jouissait de la possession physique de son frère
et plus sa volonté de le protéger, de le placer hors
de portée de toute atteinte de son environnement grandissait.
Au plus Karim satisfaisait son frère et au plus il se blottissait
dans le confort douillet de sa vie exempte de dangers, de heurts,
tous ses désirs comblés par son frère.
Kader cependant était doué d’un solide pragmatisme,
d’une excellente capacité d’analyse, confirmée
par ses seuls résultats scolaires corrects, en mathématiques
et géométrie. Il comprit très vitre que l’école,
justement, constituait un univers précieux, prévisible,
sur, et qu’il fallait s’y maintenir à tout prix.
D’abord c’était un lieu idéal pour étendre
ses petits trafics, pour racketter avec sa bande les fils de bourges,
ensuite la vie au dehors était compliquée car les enfants
esseulés sont très visibles et une bonne âme
finissait toujours par alerter les flics ou les services sociaux.
Le retour à la maison avait systématiquement pour conséquence
de morfler des corrections mémorables de son père encore
en pleine forme pendant la journée, avant sa grande cuite
du soir.
Ainsi il apprit à fournir un service minimum pour pouvoir
se faire oublier des profs et des surgés, veillant à ce
que Karim, naturellement enclin à l’indolence, en fasse
autant.
Les années passèrent ainsi, heureuses, pour les deux
frères.
La bande à Kader s’étendit, pour former bientôt
un vrai gang, tenu d’une main de fer par un Kader toujours
plus brutal, révélant même un sadisme certain
dans les tortures qu’il infligeait en guise de punition à ses
opposants ou à tout manquement de ses troupes.
Karim devait avoir à peine 9 ans quand l’idée
germa dans le cerveau calculateur de son aîné, d’exploiter
le savoir faire de son petit frère.
Il commença à prostituer Karim pour récompenser
les plus méritants des membres de sa bande, les gratifiant
selon l’importance de leur mérite, d’après
un barème précis, qui allait de la moins à la
plus pénétrante des prestations expertes de son frère.
Karim se prêta là aussi de bonne grâce à cette
nouvelle fonction, d’abord parce qu’il y prenait maintenant
un plaisir indéniable, sa collaboration à ces relations
homosexuelles devenant de plus en plus active à l’approche
de la puberté, ensuite parce que sa position d’indispensabilité envers
son frère en ressorti encore grandi.
Une conséquence étrange de cette pratique fut que les
lieutenants de Kader, prenant très vite goût à ces
récompenses sexuelles, les généralisèrent
au reste des troupes et ainsi une hiérarchie de sujétion
s’installa du haut en bas de l’échelle « sociale » de
la bande.
Ces pratiques n’entraînèrent cependant aucun changement
des orientations sexuelles de la plupart de membres qui restèrent ‘’mentalement’’ fondamentalement
hétérosexuelles. Seul leur sexe, plus pragmatique,
se faisait jouir de cette façon bien plus accessible.
Kader veillait farouchement au respect rigoureux des buts de ce système
de récompenses physique. Il officiait comme une sorte de juge
de paix, avalisant telle prestation qu’il trouvait justifiée
mais en interdisant d’autres s’il les estimaient ‘’abusives’’,
contribuant ainsi à empêcher toute dérive affective,
créant une sorte de Sparte moderne de banlieue.
La bande ainsi tenue et organisée devint d’une incroyable
cohésion, soudée, solidaire, différente des
autres groupes de jeunes, plus fermée, plus secrète
et redoutablement efficace.
Kader en grandissant étendit son emprise sur le quartier puis
sur un territoire de plus en plus vaste. Il diversifia ses activités,
dirigeant son entreprise avec méthode et discernement.
Il su éviter le piège des arrestations à répétitions
en faisant tomber si nécessaire tel ou tel membre de la bande, à tour
de rôle, choisi pour son casier judiciaire vierge qui lui garantissait
un minimum de sanction, son sacrifice étant gratifié d’une
montée en faveur et en grade dans l’organisation.
Il se lança très vite dans le deal de toutes les drogues
offrant parfois en bonus au fournisseur les faveurs de son petit
frère dont la réputation d’expertise perverse
dépassait maintenant les limites du quartier.
Karim, en atteignant 13 ou 14 ans, était devenu d’une
beauté stupéfiante, mince et délicat, cheveux
noirs bouclés, une silhouette sportive non dénuée
de masculinité mais avec une façon de bouger ambiguë,
inclassable, incontestablement androgyne sans être véritablement
efféminée. Ses gestes étaient doux, véritablement
gracieux et souples, sans être arrondis, peut-être parce
qu’il faisait tout très lentement ou plutôt sans
brusquerie, délicatement, comme quand on coupe des roses en
les choisissant posément et en glissant doucement la main
qui tient le sécateur entre les épines pour ne pas
se piquer.
Ses manières n’étaient pas celles d’un
gay, encore moins celle d’une « folle », non il était
autre chose : une sorte de chat humain si cette image peut aider à le
faire matérialiser.
C’est sûrement à cette époque qu’il
contracta le virus HIV, au cours d’une de ses prestations avec
un grossiste en héro, contaminé par le virus.
Hélas, ni lui ni Kader n’avait une conscience bien claire
des risques encourus lors de rapports non protégés,
leur inculture générale en dehors de leur monde restreint étant
inversement proportionnelle à leur expertise interne.
Karim fut ainsi à l’origine de la contamination de la
quasi-totalité de la bande, puis par extension d’une
partie conséquente de la banlieue nord de Paris.
Kader en devenant adulte ne se contenta plus des relations homosexuelles
et incestueuses. Il diversifia ses aventures, d’abord avec
les autres garçons de sa bande, puis avec des filles, souvent
non consentantes, copines ou soeurs violées en représailles
d’une tentative de trahison d’un des membres de la bande
ou pour faire pression sur un concurrent ou terroriser un témoin
potentiel…
Karim fut le premier à profiter de ces exactions, son frère
lui cédant souvent volontiers sa place de ‘’premier’’ dans
les tournantes, et ce nouveau plaisir intense qu’il découvrit
renforça encore sa reconnaissance envers son aîné.
Dés que Kader eu 16 ans il laissa tomber le collège
et le domicile familial, abandonnant leur père à ses
beuverie et leur mère, de plus en plus effacée, aux
violences conjugales, de moins en moins fréquentes en vérité,
l’alcoolisme de son mari ayant prit de telles proportions qu’il
passait des jours entiers sans émerger des vapeurs éthyliques.
Kader insista pour que Karim continue ses études, par craintes
de représailles toujours possibles des autorités, il
ne voulait surtout pas risquer la moindre intrusion dans le mode
de vie féodal qu’il avait créé et qui
aurait pu être menacé par une confrontation avec cet
autre monde étranger, régit par des lois inconnues,
qui commençaient au delà des frontières de sa
cité.
Les seuls représentants de ce monde avec lesquels il ne pouvait éviter
d’avoir affaire étaient les flics mais ils n’étaient
pas très dangereux tant que la meute restait soudée,
il n’osait jamais s’aventurer très loin dans le
territoire de non droit qu’était devenu la Martinière, à l’instar
d’autres grands ensembles de banlieue.
Ils ne s’attaquaient, comme des hyènes rodant à la
périphérie d’un troupeau de buffles, qu’aux
plus faibles qui s’égaraient loin de la sécurité de
la bande.
Les deux frères auraient pu vivre ainsi, préservés
par leur univers ‘’inventé’’, très
longtemps encore.
Mais Kader est mort, emportant avec lui le paradis de Karim à tout
jamais.
************
Karim suit le cercueil de son frère en s’efforçant
de cacher son désespoir. Rien n’est normal dans ces
obsèques hors du commun.
D’abord, même si une foule énorme se presse sur
le parcours du cortège, Karim n’arrive pas à découvrir
un seul visage attristé parmi tous ces gens, au contraire,
s’il n’y avait ce corbillard on pourrait croire qu’ils
assistent à quelque défilé joyeux. On commente
en plaisantant le spectacle, personne n’est affecté,
même les parents proches de Kader, père, mère
ou cousins semblent soulagés de sa disparition, le sentiment
de ‘’bon débarras’’ semble faire l’unanimité.
Jusqu’aux membres de sa bande inclus, tout le monde semble
avoir accepté sa mort et son explication officielle sans rechigner.
Pour Kader, nulle manif de soutiens, nulle émeute ou incendie
de voiture, aucune demande d’enquête sur les circonstances étranges
de ce décès suspect.
Tout le quartier s’en désintéresse, pire, s’en
accommode avec désinvolture.
Karim n’a parlé à personne de la scène
dont il a été témoin. A quoi bon ? D’abord
cela ne ressusciterait pas son frère, ensuite il est terrorisé à l’idée
de devoir aller parler à des policiers, à des juges
ou d’autres autorités mystérieuses.
C’était Kader qui savait traiter avec le monde extérieur,
lui se sent tellement perdu, tellement petit.
Alors il se tait farouchement, ne veut pas penser, à rien,
surtout pas à demain. Il se referme sur lui-même pour
essayer de faire abstraction de son environnement, il se laisse guider
par qui daigne lui donner la moindre directive, il se raccroche même à sa
mère qui n’est pourtant quasiment plus une vraie personne, à peine
un être vivant, mais qui sait encore fonctionner par habitude.
*********
Des jours s’écoulent avant qu’il n’ose
s’aventurer à ‘’l’appart’’,
leur ancien refuge, où il a vécu si heureux avec Kader.
Karim est surpris de ne pas découvrir les lieux saccagés
par les flics. En fait, ils se sont bien gardés d’enquêter
après la mort de Kader, préférant ne pas faire
de vagues pour masquer leur bavure.
Une bonne partie des membres de l’ancienne bande s’y
trouve, vautrés sur les canapés.
Une odeur de shit remplie les pièces, des canettes de bières
et des bouteilles d’alcool vides traînent partout, les
poubelles débordent, des mégots jonchent le sol. Ce
spectacle désole Karim, du vivant de son frère jamais
ils n’auraient toléré un tel foutoir.
Il s’emporte :
-C’est le bordel ici, Faudrait voir à se bouger les
mecs, on peut pas laisser l’appart virer au foutoir.
Mais les autres ne semblent pas impressionnés outre mesure
par sa sortie, en fait ils paraissent s’en foutre comme de
leur première branlette.
-Ok, Karim casse pas les couilles…Bois un coup…Fûmes
un pétard…Relaxe…T’es stressé là ou
quoi ?
-Je supporte pas ce bordel, faut nettoyer ce merdier !
-Oh tu nous lâche là OK...Si t’es pas content,
tu nettoies si tu veux mais tu nous lâches, putain quel chieur
ce mec.
C’est Kevin qui lui a répondu mais tous semblent approuver.
-C’est pas moi qui a pourri l’appart, alors vous vous
allez tout nettoyer, toi le premier Kevin !
-Ha ouai et c’est toi qui vas me forcer ?
Karim, qui s’est laissé emporter, réalise soudain
qu’il ne fait pas le poids face à Kevin, l’un
des plus costauds du groupe, bagarreur et vicieux, qu’il ne
peut plus rien contre lui sans son frère pour le protéger.
Il bat en retraite.
-Oh ça va…Si vous préférez vivre dans
une porcherie.
Mais Kevin n’en a pas fini avec lui, une lueur mauvaise brille
dans ses yeux
-Mais non, on aime pas vivre dans une porcherie …Pas vrai
les gars ? Demande-t il à la cantonade…
-Non on aime pas ça, on est pas des porcs !
Toute la bande lui répond en chœur.
-Alors il nous faudrait une femme de ménage pour nettoyer,
non ?
-Oui, oui, bonne idée !
Ils commencent à s’exciter, voyant où Kevin veut
en venir, déjà complices. Allez Karim, fait nous un
beau nettoyage, petite bonniche…
Karim est terrifié devant ces visages agressifs, il ne sait
pas gérer ce genre de situation, il est dépourvu des
outils nécessaires, il n’avait qu’à laisser
agir Kader le spécialiste, avant.
Il commence à ramasser quelques canettes sous les quolibets
de la bande de défoncés qui le harcèlent.
-Quelle jolie Fatma, hein les mecs ? Demande Pierre, elle serait
encore plus sexy en petit tablier non ?
-Ouai ! En tablier la Fatma…
Pierre s’empare d’un grand torchon coloré et s’approche
de Karim
-A poil la bonniche !
-Ouai, Ouai, à poil ! À poil !
Tout le monde est plié de rire devant l’air paniqué de
Karim…
-A poil on te dit !!!
Karim enlève sa chemise, défait son pantalon sous les
sifflets des jeunes déchaînés.
-Le caleçon ! Tombe le caleçon !
Karim se retrouve en chaussettes…Kevin le retourne et lui
noue le tablier improvisé dans le dos, lui laissant les fesses à l’air.
-Quel beau cul la Fatma ! Pierre lui claque sans ménagement
le postérieur.
-Allez, au boulot !
Et Karim recommence à ramasser les détritus, mortifié,
la terreur l’empêche de penser, il se laisse humilier
et chahuter sans réagir.
-J’ai toujours eu envie de me taper une bonniche ! Déclare
Kévin
Il jette Karim à plat ventre sur la table qu’il venait
juste de débarrasser.
-Tenez-le !
Il le prend sauvagement, stimulé par les encouragements de
la bande…..
**********
Karim est recroquevillé en chien de fusil dans un coin de
la pièce, nu et meurtri, il tremble de froid et de douleur.
Son calvaire a duré des heures, ils l’ont violé plusieurs
fois chacun, d’abord avec leur sexe, puis avec divers objets
quand ils n’ont plus pu bander, épuisés par les
drogues et l’alcool. Ils l’ont frappé, torturé, écrasant
leurs mégots sur son ventre, puis ils l’ont abandonné là et
ils sont partis, certains de leur impunité, sachant bien que
Karim ne pourrait jamais aller se plaindre de ses bourreaux à qui
que ce soit.
Karim essaie de bouger. Il n’est que douleur, ses fesses sont
poisseuses d’un mélange innommable de sperme, de déjections
et de sang.
Il s’habille en gémissant et se traîne au dehors.
La nuit est tombée depuis longtemps, la citée est déserte,
Karim disparaît dans l’obscurité.
Scolaires.
Pendant des jours il ne peut rien faire d’autre que se traîner
de son lit à la salle de bain. Il se sent si immonde qu’il
ne pense qu’à se laver pour essayer de faire disparaître
toute cette souillure mais il n’y parvient pas, il sent encore
l’odeur fétide qui montait de son corps quand il a réussi à se
glisser chez ses parents après le viol collectif. Alors il
retourne se prostrer sur son lit, jusqu’à ce qu’il
finisse par sombrer dans un sommeil agité.
Finalement ses plaies guérissent mais il reste encore cloîtré des
semaines avant d’oser s’aventurer brièvement à l’extérieur.
Il ne peut plus retourner à l’appart, il n’a pas
d’ami, il ne connaît personne à qui se confier,
ses zombies de parents réalisent à peine qu’il
dort dans sa chambre.
Sa mère le nourrit, mais comme elle le ferait pour le chien
du voisin, avec une totale indifférence, comme si on lui avait
confié son fils à garder pour quelque temps.
Karim, quand il ne reste pas vautré sur son lit, erre pendant
des heures dans les rues, en évitant les lieux où il
risquerait de croiser des membres de son ancienne bande. Il n’ose
pas non plus trop s’aventurer en territoire inconnu, il a horreur
de la foule, des lieux fréquentés par tous ces visages étrangers.
Alors il cantonne ses errances aux périphéries résidentielles,
dans ces lotissements pavillonnaires aux rues désertées
pendant la journée.
Un matin il aperçoit une vieille connaissance, un membre éphémère
du gang, Ahmed.
Machinalement, il le suit de loin et le voit entrer dans une jolie
maison aux volets clos.
Sa curiosité éveillée, il se poste discrètement
le lendemain pour surveiller l’entrée du pavillon à la
même heure et le manège se répète. Ahmed
sonne, un barbu costaud lui ouvre et balaye la rue d’un coup
d’œil circulaire avant de refermer derrière lui.
Karim continue sa surveillance pendant des jours et il découvre
que d’autres ados viennent régulièrement se faire
ouvrir…Il en compte une bonne dizaine.
Il découvre que d’autres visiteurs se succèdent
dans la journée, des adultes, tous barbus, parfois en costume
traditionnel, affichant tous un air farouche, pas vraiment des têtes
de marrants.
Les ados ressortent eux beaucoup plus tard en fin d’après
midi, toujours les uns après les autres.
Un jour il suit Ahmed à sa sortie et s’arrange pour
le croiser comme par hasard pour l’aborder…
-oh Ahmed, ça va ? Qu’est ce que tu deviens ?
- Oh Karim…ça va ! Désolé pour ton frère,
c’est dur…
- Ouai ! Putain…C’est dur …
Ils se mettent à marcher ensemble. Karim lorgne Ahmed du coin
de l’œil. Il se rappelle bien de cet Ahmed. Il était
un des membres (hahaha) des plus zélés pendant les
séances de ‘’gratifications ‘’ sexuelles.
Il y prenait manifestement un plaisir intense, et, ce qui n’était
pas si courant dans le groupe, tout autant dans les phases actives
que passives.
Karim sait déceler le désir au premier coup d’œil
et il a instantanément perçu qu’Amed n’en
peut plus depuis qu’il s’est approché de lui.
-Viens voir Ahmed, je veux te montrer un truc
Il l’entraîne dans un recoin discret au fond dune allée,
caché derrière une haie.
-Qu’est ce qu’il y a Karim, qu’est ce que tu veux
?
-Qu’est ce que tu veux toi ?
Il envoie la main entre les jambes d’Ahmed, agrippe son sexe
dur comme un bâton.
-Me touche pas Karim ! Fous moi la paix…
Mais il ne fait aucune vraie tentative pour se dégager, de
plus Karim le tient bien trop fermement….
Karim se jette à genoux, réussi l’exploit de
dégager le membre raidi sans le lâcher
-Laisse toi faire, tu en crève d’envie, en tous cas
il en crève d’envie, lui !
Il engouffre le sexe dans sa bouche experte.
Ahmed se laisse aller en gémissant, en quelques secondes il
jouit à longs jets, il avait oublié comme c’était
bon.
-Qu’est ce que tu disais ? Tu voulais pas ?
Mais Ahmed n’a plus qu’une envie maintenant, fuir au
plus vite.
Il fonce, espérant semer Karim, mais celui-ci le rattrape
après quelques mètres.
-Attends, j’ai quelque chose à te montrer ! Regarde
comme tu es beau !
Il lui tend son portable sur lequel défile une vidéo
d’une étonnante qualité, le progrès de
ces appareils est quand même incroyable. On y voit Karim en
train de sucer avidement un sexe de belle taille, puis l’image
remonte en un travelling approximatif pour découvrir un Amed
extasié, lèvres tirées sur un rictus de plaisir,
les yeux clos !
-Enculé de ta mère, efface ça !!!! Je vais te
tuer putain ! …
-Allez calme toi...Je veux juste te parler ! Dis moi ce qui se passe
dans la villa.
-Rien, il se passe rien du tout.
-Allez raconte ! Je suis sur que les barbus que j’ai vu là bas
seraient très intéressés par ce petit film.
-Putain, fais pas ça Karim ! Ils me tueraient !
-Alors, raconte !
-C’est un peu comme une école là bas, on apprend
le Coran toute la journée.
-C’est tout ? Pourquoi ils donnent l’impression de se
cacher.
-Y’a des étrangers, des égyptiens, des algériens,
ils sont clandestins, ils sont ici en secret.
-C’est des terroristes ? Demande Karim, amusé, mais
la réaction d’Ahmed le calme.
- Putain, Karim, ne dis pas ça ! Ils sont dangereux ! Prononce
pas ce mot ! L’affolement d’Ahmed n’est pas feint,
il a manifestement vraiment la trouille.
Une idée vient de germer dans le cerveau de Karim, il entrevoit
un début de commencement de plan, pour la première
fois depuis des semaines ; il a à nouveau un but dans sa vie…
-Je veux que tu me fasses rentrer là bas.
-C’est pas possible, c’est sérieux, il faut apprendre
le Coran, lire l’arabe…
-Tu sais lire l’arabe toi ? Tu le parles même pas…
-J’apprends, c’est dur…
-J’apprendrais aussi ! Démerde toi de m’y faire
rentrer, sinon, la vidéo …
Karim, malin, trouve un argument de poids :
-Et puis si tu fais ça, on sera ensemble, tu pourras me demander
de te faire tout ce que tu veux- Il lui dit, en lui caressant la
queue gentiment.
-Bon je vais dire à Hussein, le mollah qui nous enseigne le
Coran, que tu veux étudier, mais il va falloir que tu assures,
déconne pas …
**********
Cela fait quelques semaines maintenant que Karim suit les cours à ‘’La
Villa’’.
Il a tout de suite adoré l’ambiance et les responsables
qui encadrent l’établissement avec une discipline de
fer.
Enfin il se retrouve dans un lieu où il est protégé,
guidé, où il n’a plus rien à décider
par lui-même.
Son intuition s’est révélée exacte le
jour où il a fait chanter Ahmed pour le forcer à le
coopter dans l’établissement. Il a finalement trouvé un
endroit où il se sent en sécurité.
Il a été surpris par la brutalité des méthodes
d’enseignement, les imams n’hésitant pas à battre
comme plâtre les mauvais élèves. D’ailleurs,
comme il n’y en a pas vraiment de bons, tout le monde déguste.
L’indolence naturelle de Karim lui a valu quelques dérouillées
mémorables au début.
Heureusement il s’est vite adapté, prenant même
goût à cet enseignement irréfutable, simple et
directif, sans aucune contestation envisageable.
Il s’est révélé doué dans l’apprentissage
de l’arabe et il se laisse maintenant endoctriner avec ferveur,
découvrant un plaisir intense à la lecture du livre
sacré. Il est le premier arrivé le matin et le dernier
reparti le soir. Progressivement, il s’impose comme le meilleur
du groupe, les imans lui font l’insigne privilège de
le laisser lire pour les autres élèves les versets
sublimes à haute voix, qu’il déclame en extase.
Au début il a joué le jeu avec Ahmed, le rémunérant
en nature pour lui avoir permis de s’introduire dans ‘’La
Villa’’, mais maintenant il n’a plus la tête à ça,
il ne pense plus guère au sexe et surtout il n’a plus
besoin d’Ahmed. Par contre, celui-ci, maintenant qu’il
y a reprit goût, se console comme il peut à l’extérieur
de ‘’La Villa’’, avec des jeunes junkies
qui tapinent pour se payer leur dose. Un soir, un des professeurs
le surprend en pleine action et son exclusion est immédiate.
Karim est ravi de l’éviction d’Ahmed, d’autant
que c’est lui qui s’est arrangé pour renseigner
l’imam afin de se trouver libéré du seul lien
qui le rattachait à sa vie antérieure et qu’il
traînait comme un boulet.
Un jour, de nouveaux visages apparaissent à ‘’La
Villa’’ : un gros barbu borgne d’une quarantaine
d’années, l’air pas commode, accompagné d’un
moustachu maigrichon à lunettes, effacé et banal, un
peu chauve et presque imberbe. L’imam les présente.
-Voici Omar qui va vous enseigner la politique et Mamoud qui vous
parlera de technique.
A partir de ce jour, l’enseignement se transforme en véritable
endoctrinement.
Il leur faut répéter pendant des heures que l’occident
en général et l’Amérique en particulier,
sont les pires ennemis des arabes et des musulmans, qu’ils
sont aux ordres des juifs qui mènent le monde, que Dieu souhaite
que tous les mécréants soient convertis à la
seule vraie religion par la guerre…
Karim regrette l’enseignement du Coran, les versets psalmodiés,
rythmés et magnifiques, qui permettent de si bien se laisser
porter par leur musique exquise pour oublier le monde extérieur.
Là, il lui faut au contraire ne penser qu’au reste du
monde, et il n’arrive pas à s’y intéresser
vraiment, il s’en fout lui, d’Israël, de la Palestine
ou des américains…
Mais il n’en montre rien, le plaisir de se laisser guider l’emporte,
après tout, s’il le faut, il veut bien haïr les
juifs, les américains ou les esquimaux tant qu’on lui
indique qui haïr…
Après vient l’enseignement technique, pendant lequel
ils apprennent, en fait, les diverses façons d’étriper,
empoisonner, mitrailler, ou faire exploser les ennemis de l’Islam…
Ça dure des jours, ils doivent réciter, répéter
encore et encore, maudire les juifs et les occidentaux.
-Sont-ils prêts à se sacrifier ? Oui, ils sont prêts
!
Karim s’est montré si doué, si dévoué,
qu’il est devenu un résident de la villa qu’il
ne quitte plus que rarement.
Il fait le ménage, la cuisine, quand il sort c’est pour
s’occuper du ravitaillement à l’hypermarché local,
mais il expédie la corvée, pour retourner au plus vite
se réfugier à l’abri dans la communauté.
Un jour, il tombe par hasard sur Moustache en poussant son chariot.
Le souvenir de la mort de son frère, qui s’était
estompé, toujours présent mais moins douloureux, enfoui
quelque part dans ses neurones, remonte brutalement à la surface
et le terrasse. Il vacille, se raccroche à son chariot plein.
Moustache est là, devant lui, content d’être lui,
l’immonde porc, sa moustache ridicule lui masquant la bouche,
des restes douteux accrochés dans ses poils, sa trogne de
dégénéré grêlée de couperose…
Une bouffée de haine incommensurable submerge Karim. Tout
l’enseignement qu’il a reçu depuis des semaines
trouve soudainement son sens, le monde occidental révoltant
décrit par les mollahs vient de s’incarner dans la personne
répugnante de Moustache….
Il court se réfugier à ‘’La Villa’’,
anéanti, tous ces mois de tranquillité d’esprit
réduits presque à néant.
Karim tombe malade, réellement malade, un virus banal le démoli,
n’oublions pas qu’il est séropositif, ça
plus la déprime consécutive à sa rencontre avec
Moustache, et c’est la fête aux microbes dans son corps
fragile.
Il ne quitte plus son lit, il a 40 de fièvre, parfois il délire
dans son sommeil.
Les cadres de la villa le laisse affronter sa crève tout seul,
ils ne veulent pas risquer d’appeler un médecin, ils
s’en remettent à Allah qui est bien assez omniscient
pour pouvoir décider du sort d’un ados fiévreux.
Un soir qu’ils tiennent conseil, Karim, qui dormait dans la
pièce à côté se réveille. Il se
sent un peu mieux, sa fièvre a du tomber.
La porte est mal fermée, il perçoit une conversation
animée. D’abord distrait, le cerveau encore embrumé par
le sommeil, il n’écoute pas vraiment. Puis quelques
mots clefs : explosif, attentat, kamikaze éveillent son attention.
Les chefs sont en train d’essayer de déterminer qui,
parmi les plus fervents des élèves, ferait le meilleur
candidat pour commettre un attentat suicide…Là, pour
le coup, Karim se réveille pour de bon et il n’en perd
plus une miette.
Ils passent tous les élèves en revue, dont lui-même,
qui ne recueille que peu de voix.
Omar à la parole.
-Karim, oui, il serait peut-être bien, mais il est fragile,
il va peut être rester malade, il n’est jamais vraiment
très costaud…trop gentil…trop doux…
Ils finissent par s’accorder sur deux autres élèves,
des vrais fanatiques, un peu bornés.
Karim, le lendemain se fait violence et se force à se lever.
Il se prépare un petit déjeuner. Il doit reprendre
des forces, guérir, il le faut…
En deux jours il est sur pieds, il pourrait pas faire un marathon
mais ça va. Il se lave, se récure de la tête
aux pieds, se purifie la bouche, s’épile l’excès
de sourcils et les quelques poils disgracieux qui poussent sur sa
poitrine…
Il a un plan et il veut être en forme pour l’exécuter.
Rêve d’Omar
Omar comme chaque soir ne trouve pas le sommeil. Les mêmes
pensées, les mêmes visions viennent le tourmenter. Il
se remémore son enfance, dans la banlieue d’Alexandrie,
les heures heureuses passées à vadrouiller loin des
adultes avec son copain Nasser ….
Il connaissait tous les recoins, toutes les planques, pour s’isoler
du reste du monde. Là, bien caché des adultes, il jouaient à des
jeux rigoureusement interdits qui auraient pu leur valoir des punitions
terribles s’ils s’étaient faits attraper.
Il n’a jamais plus éprouvé autant de plaisir
dans sa vie, même après son mariage. Sa femme, Mouna,
n’a jamais pu lui procurer la même extase. Et comment
aurait-elle pu ? Elle n’est qu’une femme, indispensable
pour la reproduction, et encore, infoutue de pondre autre chose que
des filles. Après la naissance de la quatrième, Omar
a perdu toute envie de tenter une nouvelle fécondation pour
enfin obtenir un fils, et il a commencé à la délaisser.
Ses départs en missions à l’étranger pour
le réseau sont devenus dés lors de plus en plus fréquents,
excellente excuse pour s’éloigner de ce nid de moukères.
Omar se rappelle du corps doux de Nasser, de son sexe si prompt à se
durcir à la moindre caresse. Comme il aimait se laisser posséder
longuement, éperdu d’amour et de dévotion pour
son ami si viril.
Omar bande comme un âne à cette évocation…
Depuis cette époque lointaine, il a réussi à contenir
son penchant si contraire aux commandements du prophète, mais
depuis qu’il est à ‘’La villa’’,
son désir s’est brutalement réveillé quand
il a vu Karim pour la première fois.
Sa beauté, sa souplesse de chat ont réactivé toutes
ses pulsions, sa ressemblance avec Nasser a tout fait remonter à la
surface.
Il est obsédé par cette peau si délicatement
halée, par ses yeux de biche et surtout par ce sexe si généreux
qu’il a réussit à entr’apercevoir en rodant
autour de la douche.
Il se tourne sur le ventre, commence à frotter son membre
raidi sur les draps…Ca serait si bon si ce Karim si bien monté venait
l’empaler, là, maintenant…
Il râle doucement, la jouissance n’est plus très
loin. Il entrouvre les paupières….
Karim est là, dans l’encadrement de la porte de la chambre.
Omar sursaute.
-Qu’est ce que tu fais là fils, de pute ?
Karim referme la porte, un doigt posé sur ses lèvres,
souriant gentiment
-Tais toi, tout le monde va t’entendre, qu’est ce que
tu leur diras s’ils viennent ?
Omar réplique à voix plus basse, maté par le
ton tranquille de Karim
-Va t’en, je veux rien à voir à faire avec toi,
tu es le diable tentateur !
-Mais non, je suis pas le Diable, je suis juste ton Karim…
Il pose la main doucement sur le sexe à Omar.
-Tout ce que tu veux, c’est ce que je veux- Il commence à le
caresser
Omar est subjugué, sa bite est si dure qu’elle lui fait
mal. Il ferme les yeux et se laisse emporter.
**********
Omar ne pense plus à rien d’autre qu’au moment
où Karim le rejoindra dans sa chambre. Il est d’excellente
humeur depuis plusieurs jours, il en oublie de battre ses élèves,
d’ailleurs l’enseignement du Jihad lui paraît bien
moins primordial aujourd’hui, il se dit que, finalement, certains
plaisirs terrestres ne sont pas si secondaires.
Un soir, Karim est encore plus cajoleur que d’habitude.
-J’ai quelque chose à te demander.
-Tout ce que tu veux.
-D’abord je veux que tu sois détendu.
Il se glisse sur Omar, l’immobilise en s’essayant à califourchon
sur son ventre
-Je vais te faire le ‘’Karim Spécial’’.
Omar n’en demande pas plus, il pourrait passer sa vie à subir
le ‘’Spécial’’.
Karim enduit longuement son propre sexe, dressé devant les
yeux d’un Omar fasciné, de lubrifiant parfumé,
puis il glisse sa main dégoulinante entre les jambes d’Omar,
progresse encore en écartant les fesses grasses et velues
et introduit ses doigts dans l’anus accueillant.
-Là, tu es prêt…
Maintenant, il descend vers le ventre d’Omar avec sa langue,
mordillant, léchant, jusqu’au sexe qui palpite d’impatience.
Il le prend entièrement dans sa bouche. Ce n’est pas
très difficile, Omar n’a rien de Siffredien, et il commence à le
sucer habilement.
Omar halète de plaisir et d’impatience, tout son corps
tendu dans l’attente de la suite.
Karim écarte les cuisses velues d’Omar tout en le suçant.
Il est incroyablement souple, son corps mince positionné entre
les jambes du barbu se courbe, se courbe encore et l’impensable
se produit : son sexe se glisse entre les fesse d’Omar et le
sodomise sans que Karim interrompe la fellation !
La jouissance d’Omar est indescriptible, il est secoué de
longs spasmes, de grosses larmes de reconnaissance coulent sur ses
joues et se perdent dans sa barbe.
Karim s’allonge sur lui, l’immobilisant de son corps
flexible doté d’une force étonnante.
Omar s’enivre de l’odeur de son amant et sent déjà son
désir renaître.
-Voilà ma demande Omar, je veux être le kamikaze.
Omar tente de repousser Karim sans succès.
-Ca va pas Karim ! ? Pas question ! C’est pas pour toi ! On
a déjà choisi Youssef, bouge toi de là !
-Je veux le faire et tu vas m’aider !
-Pourquoi je ferais ça ? T’es pas bien là avec
moi ? Qu’est-ce que je deviendrais moi ? Tu y as pensé ?
-J’ai surtout pensé à ce que tu deviendras si
c’est pas moi qui suis choisi…
Omar décèle la menace dans le ton de Karim
-Qu’est ce que tu veux dire ?
-Je vais te montrer un film et t’énerve pas...J’en
ai plein de copies…
Karim allume son portable pour faire défiler un best off de
leurs ébats, avec un ‘’Karim Spécial’’ d’anthologie
en apothéose.
-Fils de pute, enculé, je vais te tuer ! Tu sais que je vais
te tuer, non ?
-Non, Omar, JE vais me tuer. Tu seras ainsi débarrassé de
moi à tout jamais, sinon ces images seront diffusées
sur Internet, tout est prévu…Tu sais que c’est
possible…Un simple clic et tu deviens une ‘’pornstar’’ planétaire …Et
au fait, c’est toi l’enculé, non ….. ?
Omar capitule
-Mais on a déjà choisi Youssef…
-Vous avez rien choisi du tout, vous hésitez encore, et puis
c’est toi le chef, non ?…démerde-toi ! Tu es
le chef et tu leur fous la trouille, à tous, alors profites
en !…
On s’éclate !
Omar n’a guère eu de difficultés pour convaincre
son groupuscule de conspirateurs que Karim est le meilleur candidat
kamikaze pour perpétrer l’attentat qu’ils préparent.
Karim a raison, il est le chef incontesté et tout le monde
est prompt à se rallier à son avis, de plus Karim semble
objectivement un bon prétendant. Il a l’age idéal,
un Martyre mineur est toujours médiatiquement plus payant,
il montre une motivation sincère, son fanatisme paraît
inébranlable.
Karim dispose d’un atout supplémentaire, mis habilement
en avant par Omar, il est outrageusement beau !
Il développe cet argument, les force à imaginer l’impact
que cette gueule d’ange aura quand sa photo sera diffusée
par tous les journaux, télévisés ou imprimés,
du monde…
Karim ne quitte donc plus ‘’La Villa’’, tout
contact avec le monde extérieur lui est dorénavant
formellement interdit.
En contrepartie, il est traité avec égard, il est maintenant
dispensé de toute corvée.
Il est constamment pris en charge, de son réveil jusqu’à son
coucher.
On le nourrit, on lui fournit du linge propre chaque jour. On l’accompagne
dans des longues prières et on le prépare pour l’attentat.
Il participe à des interminables séances d’entraînement
ou il doit répéter des dizaines de fois tout le déroulement
de l’opération, les gestes à effectuer, ou se
placer, comme pour une pièce de théâtre mais
tout cela est fait avec douceur, ses instructeur se montrent conciliant,
faisant même montre de compassion, mêlé d’une
certaine forme de respect.
Karim se montre réceptif au delà de toutes espérances
grâce à ces méthode, il s’imprègne
de tout cet enseignement avec avidité, en fait il ne s’est
jamais senti aussi bien depuis la mort de Kader.
Enfin il se retrouve de nouveau enfermé dans un cocon douillet,
isolé du monde, en sécurité, préservé de
tout risque, exempté de toute nécessité de prise
d’initiative. Heureux d’être prisonnier de cette
bulle, ou d’autres, plus compétents, plus savants, plus
instruits des règles, prennent toutes les décisions
pour lui.
Uniquement la nuit, quand Omar réussi à se débarrasser
des témoins dangereux, Karim redevient un être volontaire
et capable d’assurance pour remercier Omar de l’avoir
imposé comme porteur de bombe pendant l’attentat imminent.
Il use de toute sa science érotique avec lui, utilisant la
totalité de son corps souple et lascif, mais dans le même
temps si viril pour affoler Omar, le rendre toujours plus dépendant
sexuellement, recréant un type de relation en somme assez
proche de celle qu’il entretenait avec son frère.
Sauf qu’il n’aime pas Omar, bien au contraire.
Il déteste son gros corps velu, l’odeur fétide
de son haleine, son crâne dégarni qui brille de sueur
huileuse quand il l’encule brutalement en fouettant jusqu’au
sang ses fesses flasques à grands coups de ceinture, ses râles
de plaisir et sa bave dégoulinant de sa gueule entrouverte.
Mais Karim est un vrai pervers intelligent et il jouit intensément
de cette possession, tirant un plaisir extrême de son pouvoir
de vie et de mort sur ce dangereux chef terroriste, recherché par
toutes les meilleures polices du monde et pourtant totalement soumis à sa
merci.
**********
Omar compte les jours qui le séparent de sa délivrance.
Il voudrait tant retrouver le repos, il aspire tant à un peu
de tranquillité d’esprit.
Il n’en peut plus de n’avoir en tête que le corps
de Karim, que l’envie de caresser, d’embrasser cette
peau souple, douce et chaude. Il voudrait se débarrasser de
son obsession du généreux sexe durci de Karim, de son
besoin irrépressible de le toucher, de le sucer, de se laisser
pénétrer au plus profond par lui, de son odeur suave
ou de son goût salé…
Mais il sait qu’il n’aura jamais la volonté nécessaire
pour rompre cette relation de soumission absolue, qu’il ne
pourra jamais se passer de cet amour dévorant…
Alors il attend fiévreusement le jour de l’attentat
suicide pour être enfin délivré de Karim et de
son corps adoré.
Cependant, l’idée de cette chair si parfaite déchiqueté et
disséminé par l’explosion lui arrache des sanglots
de désespoir.
Cette image le hante, elle l’obsède jusque pendant ses
prières, elle se superpose à toute autre pensée.
Il n’arrive à l’estomper qu’en s’absorbant
dans des taches matérielles répétitives, vérifiant
chaque étapes de l’attentat, faisant répéter
encore une fois le rôle de chaque acteurs du drame en préparation.
De plus, Omar sent monter une angoisse incontrôlable, presque
un début de panique à l’approche du jour fatidique.
Il sent bien que la volonté de Karim d’être le
porteur de bombe cache quelque chose, mais quoi ?
Depuis qu’il a été désigné, il
montre une telle détermination farouche, on pourrait penser
que sa motivation est sincère…
Mais Omar sait pertinemment que Karim n’est pas le petit jeune
fanatisé et décervelé qu’il réussit
si bien à incarner, un être aussi calculateur agit nécessairement
pour son propre compte et Omar doit trouver le moyen de priver Karim
de toute possibilité de contrecarrer le plan de l’attaque
programmée. Alors il s’ingénie à multiplier
les précautions.
Le jour ‘’j’’, lui et Mamoud conduiront
en voiture Karim et deux ‘’accompagnateurs’’,
Habib et Mustapha, jusqu’au métro, vers 11h du matin,
l’intention étant de faire exploser la bombe en arrivant
dans une grande station hyper fréquentée du centre
de paris à l’heure de pointe, juste passé midi.
Pas question de s’aventurer en voiture avec la bombe dans Paris,
les chances qu’une patrouille de police croisée par
hasard, résiste à la tentation du contrôle d’une
voiture remplie d’Arabes étant négligeables en
cette période de surenchère sécuritaire préélectorale,
donc les trois jeunes effectuerons tout le voyage en métro,
ou il ne risqueront d’être contrôlés que
par les agents de la RATP, seulement pour vérifier leurs billets.
Les ‘’accompagnateurs’’, en fait les gardes
du corps de Karim, resteront jusqu’au bout pour le soutenir
et pour empêcher celui-ci de se raviser au dernier moment.
C’est Habib qui enclenchera le détonateur de la bombe,
Mustapha, un colosse de presque deux mètres pesant son quintal
pourra, lui, immobiliser Karim s’il tentait de fuir au dernier
moment. Ensuite ils ne disposeront que de trente secondes pour s’éloigner
assez loin de l’explosion pour ne pas être touchés
gravement, mais toutes les répétitions ont montré que
ce laps de temps était probablement suffisant.
Omar a eu une idée de dernière minute pour améliorer
son plan en s’assurant la ‘’collaboration’’ de
Karim : Mustapha pourrait l’attacher au siège ou à une
barre de sécurité du wagon avec un de ces collier ‘’Serflex’’ en
plastique ultra résistant qui servent à relier rapidement
divers matériaux dans l’industrie.
Omar et ses lieutenants préfèrent que le Kamikaze soit
seul, ils espèrent que son geste n’en aura que plus
de poids, que ce sacrifice, symbolisé par un seul visage,
surtout aussi photogénique que celui de Karim, aura encore
plus d’impact dans l’imaginaire collectif.
**********
Karim, Mustapha et Habib marchent dans les couloirs du métro,
Karim encadré par les deux autres.
Ils ressemblent à n’importe quel autre trio de jeunes
de banlieue, tous trois vêtus du même quasi uniforme,
baskets, jeans informes, blousons amples recouvrants des sweats à capuche.
Ils sont tête nue, Omar leur a interdit les casquettes ou les
bandanas pour minimiser leur impact visuel, il sait que le cerveau
rudimentaire mais au cortex visuel surdéveloppé des
vigiles qui patrouillent dans le metro, réagissant à des
stimulis simples, induisant des réflexes pavloviens, sont
d’abord attirés par les têtes couvertes, = provoc,
=voyou, =contrôle, et il ne veut prendre aucun risque.
Karim a perdu son allure souple et légère naturelle,
sa démarche est devenue plus pesante et sa silhouette est
plus enveloppée. Cela n’a rien de surprenant, compte
tenu des 40 kilos d’explosif et de débris tranchants
en ferraille disposés autour de son corps.
Ils discutent vivement entre eux, le thème de la conversation,
le foot, a été fixé d’avance par leur
chef, il faut qu’il puisse les occuper pendant tout le trajet,
pas question de laisser leur esprit libre de développer des
pensées négatives, d’afficher une mine sombre
et suspecte.
Il n’y a pas foule dans cette station de banlieue, la rame
qui revient du terminus est presque vide.
Les trois ados montent et s’assoient, toujours en discutant
des mérites comparés des joueurs du PSG. Ils ont trois
bons quarts d’heure de voyage avant d’atteindre leur
objectif et pour le moment ils sont relaxs, la tension montera plus
tard. Ceci explique pourquoi l’attention de Habib et Mustapha
soit pour l’instant relâchée et qu’ils ne
réagissent pas vraiment quand Karim se lève pour, apparemment,
réajuster ses fringues qui doivent l’empêcher
de s’asseoir confortablement
La sonnerie de départ imminent retentit et Karim franchit
les portes souplement à la seconde ou elles se referment.
Le temps que ses gardiens médusés réagissent
et le métro démarre déjà.
Ils se jettent sur les portes closes et n’ont que le temps
d’apercevoir Karim disparaître tranquillement vers la
sortie. La rame accélère, emportant les deux gardes
du corps catastrophés.
Habib compose le numéro d’Omar sur son portable mais
il n’obtient aucun signal. Ils doivent attendre plusieurs longues
minutes pour arriver à la prochaine station. Ils se ruent
hors du métro pour pouvoir téléphoner.
**********
Omar et Mamoud sont en train de retourner à ‘’la
villa’’ quand le portable d’Omar sonne. Il est
alarmé et furieux de découvrir ‘’qu’ils’’ l’appellent
déjà.
-Vous devez appeler qu’en cas d’urgence, j’espère
que c’est important, parles !
Habib lui répond d’une voix altérée :
-Karim n’a pas pris le métro…
-Quoi ! Il est ou, il est ou ?
-Je sais pas, il nous a semé…
Habib lui conte tout en détail.
Omar est pris de vertige.
-Oh l’enculé de sa mère la chienne, il le savait
que Karim préparait quelque chose, mais il pensait avoir paré à toute éventualité ;
Il ordonne à Mamoud qui conduit la voiture :
-Retourne au métro !
-Quoi ? Mais pourquoi ?
-Karim nous a doublé, il faut retrouver ce fils de pute, fonce
!
Mais Mamoud n’a rien d’un as du volant, il fait demi-tour
posément et repart tranquillement vers le centre ville sous
les exhortations d’un Omar au bord de la crise de nerf.
Ils s’arrêtent devant l’entée du métro.
Ils scrutent la place devant la cathédrale et la rue semi-pietonne
qui s’en éloigne, mais ils ne découvrent pas
l’ombre de Karim.
-Ou peut-il être ce fils de chienne, il a pas pu aller très
loin ?
Ils descendent la rue lentement en observant les passants. Un vieillard
amusé contemple son chien qui se roule parterre, une fille à l’air
provocant, assise sur le dossier d’un banc les cuisses impudiquement
dénudées par sa jupe trop courte, petite salope occidentale
typique, les regarde passer avec désinvolture, une touriste
blonde en tenue colorée, manifestement étrangère,
filme la cathédrale avec application…
-Ou il a pu aller ?...
Omar se retourne pour regarder la perspective de la rue par la glace
arrière et le commissariat explose !
Mamoud pile. Ils se ruent hors de la voiture.
Le vieillard court après son chien en titubant puis trébuche
et tombe sur le trottoir, juste a coté d’une camionnette
blanche qui freine brusquement, son chauffeur sort et contemple le
spectacle, la fille hurle comme une folle…
Puis dans un bruit effroyable l’immeuble du commissariat s’effondre
sur lui même, générant un gigantesque nuage de
poussière qui englouti la rue entière puis se lance à l’assaut
des tours de la basilique.
Mamoud, effaré, se tourne vers Omar.
-Il a fait sauter le commissariat ! Pourquoi ? Pourquoi il a fait ça,
Omar ?
-Je sais pas… Répond Omar d’une voix étonnamment
calme, -je sais pas… --Ne restons pas ici, ça va grouiller
de flics dans dix minutes et il ne fera pas bon être bronzé dans
le secteur.
Ils remontent dans la voiture, Mamoud s’installe au volant
et démarre.
Omar se retourne pour essayer de voir la scène du drame une
dernière fois mais on ne peut plus rien distinguer à travers
le nuage de poussières.
Il se rassoit et se cale confortablement dans son siège.
Tout son corps se détend, sa pensée s’éclaircit,
il recommence à percevoir un paysage mental, comme si le brouillard
qui opacifiait son esprit était en train de se dissiper, réchauffé par
le rayonnement de cet évènement chaleureux :
Karim s’est fait sauter !
Peu lui importe les raisons qui ont poussé l’adolescent à choisir
cette cible minable, seule compte cette certitude : Karim est annihilé !
Peut être aura-t-il du chagrin d’avoir perdu son bel
amant, plus tard, mais pour l’instant, un sentiment de paix
sereine l’envahit…
Il se tourne vers Mamoud.
-Il nous faut quitter le pays au plus vite, la bombe a explosé ou
elle a explosé, personne n’y peut plus rien, telle était
la volonté de Dieu…
Moustache.
Moustache est de très bonne humeur en sortant de chez Dédé.
Comme chaque matin il s’est arrêté pour s’envoyer
un express arrosé, poussé par une petite ‘’fine’’ pour
se donner du cœur à l’ouvrage avant d’aller
bosser !
Tout ça c’est façon de parler puisque son boulot
de flic ne lui pèse en rien, bien au contraire, abuser de
son autorité face à un public désemparé c’est
son plus grand plaisir !
Il est en famille chez Dédé. Le patron, André Laporte,
est comme lui un ancien de la Légion et du PFN. Dans son troquet,
il est sur de ne pas tomber sur un arabe, rien à voir avec
les cafés du centre ville, tous squattés par des cohortes
de bronzés !
La on est en pays ami, tout le monde a toujours voté pour
Jean Marie, colle les affiches du FN à chaque élection
et casse du gaucho en toute impunité, quand ils viennent porter
plainte ils tombent sur ceux-la mêmes qui les ont tabassés
la veille.
Mais si Moustache sifflote, si guilleret en marchant vers le commissariat,
c’est pour une toute autre raison, il est heureux car ce matin
il a tiré un super coup !
Hors, cette âme simple est toujours réjouie par les
plaisirs essentiels de la vie…
Sa femme s’est montrée très coopérative
ce matin, il est vrai qu’hier soir il a bien chargé à l’apéro
avec quelques potes du Front pour arroser les excellents sondages
de ‘’Fifille’’, et quand il est ivre il cogne
encore plus dur en rentrant à la maison, moins longtemps mais
plus fort que d’habitude, comme s’il désirait
se montrer plus ‘’concis’’ mais plus ‘’percutant’’ avant
de s’écrouler dans un quasi-coma éthylique pour
cuver sa cuite…
Monique, sa femme, s’est éclipsée bien avant
l’horaire d’ouverture de la banque ou elle travaille,
sans un mot, sans un regard vers son mari, pour qu’il ne puisse
pas lire la honte et le désespoir dans ses yeux…
Elle lui a laissé le champ libre pour qu’il puisse aller
réveiller leur fille en douceur.
Elle est si jolie Isabelle, il adore quand elle ouvre ses yeux verts
magnifiques.
Il aimerait peut être bien y découvrir un peu d’affection
dans ces beaux yeux mais peu importe, au fond il s’en tamponne
qu’elle l’aime ou pas, il reste pragmatique, tout ce
qu’il lui demande c’est de ne pas regimber et de se laisser
faire en silence.
Au début, il y a quelques mois de ça, elle a protesté,
elle l’a supplié en pleurant de la laisser tranquille,
elle se débattait tellement qu’il devait la gifler
pour la calmer, ça lui gâchait son plaisir, il ne l’avait
jamais frappée avant et il n’aimait pas ça.
Puis il a eu cette idée géniale pour qu’elle
se tienne enfin tranquille :
Elle est douée pour le dessin et elle adore ça, une
vraie vocation…
Alors, il a pris sa main délicate dans ses pattes puissantes,
il lui a immobilisé l’avant bras et il s’est mis à forcer
sur les doigts fragiles pour plier la main à l’envers,
la forçant vers le poignet jusqu’à ce qu’Isabelle
sente ses fines jointures sur le point de céder. ‘’Voilà ce
qui va t’arriver, ma chérie, t’as pigé ?
Terminé le dessein pour toi, et crois pas que tu pourrais
aller te plaindre, personne te croiras, le gentil flic c’est
moi, idiote…’’
Après ça, elle s’est tenue tranquille, il n’a
plus eu qu’à cogner sa mère un peu plus fort
au début pour faire taire ses timides tentatives d’interpositions.
Il entre dans le commissariat, gratifie les fonctionnaires présents
d’un ‘’salut les filles’’ joyeux, lance
quelques plaisanteries graveleuses.
Ruiz, un pied-noir doté d’un tour de taille hypertrophié qui
l’oblige à écarter les jambes en permanence quand
il est assis pour laisser s’étaler sa panse, l’interpelle
:
-Ho, Moustache, t’as vu, t’es à l’accueil
aujourd’hui.
-Hé merde, fais chier, c’était pas le tour de
Jeannot ?
-Il a une gastro, paraît-il, son fils lui a refilé…
Moustache lui réplique perspicacement :
-Gastro tu parles, provoqué par le litron de pastis qu’il
a du s’enfiler hier soir, oui ! Regarde-moi : ça c’est
du pro ! Torché la veille mais toujours frais le matin !
Mais il proteste pour la forme, au fond il s’en fout d’être à l’accueil, ça
lui plairait plutôt, c’est le meilleur poste pour glander
et emmerder le public, envoyer paître ou compliquer la vie
des gens, il adore ça.
Sa grande spécialité à Moustache, celle qui
lui a valu cette notoriété chez tout les flics dignes
de ce nom, c’est la ‘’plaintotrou’’,
en clair : réussir à ce qu’un individu venu pour
déposer une plainte, se retrouve gardé à vue
pour un délit quelconque, passant du statut de plaignant à celui
de suspect !
C’est excellent pour les statistiques sur la délinquance
: une plainte en moins et une affaire élucidée en plus,
mais surtout ça permet d’enrichir la morne routine du
travail de policier d’anecdotes croustillantes.
Cela demande une grande subtilité, un sens développé de
l’observation pour déceler la pauvre victime pas sure
d’elle, craignant les autorités, toute prête à se
laisser déstabiliser par un policier hargneux et sur de son
pouvoir. Mais les cibles potentielles sont légions dans cet
environnement défavorisé ou les voyous côtoient
quotidiennement, parfois sous le même toit, leurs malheureuses
victimes.
Ca promet d’être une belle journée !
**********
Karim se retourne brièvement pour vérifier que ses
gardiens n’ont pas eu le temps de le suivre. Il a juste le
temps de les apercevoir le nez collé à la porte du
métro qui démarre, lui faisant des signes désespérés.
Il se réjouit à la vue de leurs mines catastrophées,
d’imaginer l’intensité de la punition qu’ils
vont subir le remplit de joie.
Mais il n’a pas de temps à perdre, il a rendez-vous
avec son destin…
Il sort à l’air libre et s’éloigne de la
bouche du métro en essayant d’atténuer sa démarche
lourdingue pour se faire le plus discret possible.
La rue est presque déserte, quelques touristes sortent de
la cathédrale, il rattrape et double un vieux monsieur qui
tente de conserver un semblant de dignité pendant qu’il
s’efforce de freiner un chien immonde tirant puissamment sur
sa laisse en haletant comme un asthmatique…
Malgré la charge qui pèse sur ses épaules, Karim
marche d’un bon pas.
Arrivé devant le commissariat il s’immobilise devant
le perron, semblant se recueillir pendant quelques minutes, puis
il entre résolument.
**********
Moustache est affalé derrière le comptoir de l’accueil
du commissariat. Il est plongé dans la lecture de l’Equipe.
Plongé à sa manière, c’est à dire
que toutes les trois lignes d’un article pourtant fort peu
intellectuel parcouru le front plissé par l’effort,
il lève la tète pour commenter en termes péremptoires
ce qu’il est en train de lire, persuadé que son avis
est infiniment plus pertinent que celui du journaliste et désireux
de faire profiter ses collègues de sa science, qui se régalent
d’ailleurs à l’écouter pérorer.
C’est lors d’un de ces intermèdes qu’il
découvre avec déplaisir ce jeune Maghrébin,
debout de l’autre coté du comptoir, qui le fixe d’un
regard fiévreux.
Malgré son aversion viscérale pour tous types de ‘’bronzés’’,
il ne peut s’empêcher d’être frappé par
la beauté frêle, presque surnaturelle, des traits de
l’adolescent, contrastant avec ce corps empâté.
Sa répugnance en est immédiatement multipliée,
(passe encore qu’’ils’’ existent si en plus ‘’ils’’ sont
beaux), il sent une de ces bouffées de haine dont il est coutumier
l’envahir.
Il interpelle l’ado agressivement :
-Ouais, c’est pourquoi ?
-C’est au sujet de Kader, répond Karim d’une voix
douce.
-Kader ? Quel Kader ? Y’en a des wagons de Kader par ici !
Mais une note d’inquiétude transparaît dans sa
voix et son regard, un peu de sueur perle son front…
Karim lui répond toujours aussi tranquillement :
-Mais si tu sais de quel Kader je parles puisque c’est toi
qui la tué, je t’ai vu.
-Espèce de petit connard, qu’est ce que tu raconte ?
Mais son ton est mal assuré, il jette des coups d’œil
furtifs autour de lui pour s’assurer que personne ne l’écoute…
-Tu as tué mon frère Kader, tu l’as tasé et
tu l’as tabassé jusqu’à ce qu’il
en crève, j’étais la, planqué, et j’ai
tout vu…
-Kader avait un frère ? Première nouvelle ! De toutes
façons il est mort d’une crise cardiaque… Il
se donne même plus la peine de nier les faits…
-Et puis c’est bien fait pour lui, c’était une
ordure ton frère, le quartier est bien plus peinard sans lui,
je suis sur que toi aussi il devait te faire morfler, tu devrais être
content qu’on t’en ai débarrassé…
-Moi je l’aimais Kader, c’était mon seul frère
et vous, vous allez crever !
Moustache commence à en avoir sa claque de ce taré,
en plus il lui fout les chocottes…
-Bon ça suffit, tu te tires maintenant, je t’ai assez
vu, c’est pas un ‘’gris’’ qui va faire
la loi, non ? Dégage sinon je te fous en garde a vue et tu
vas pas aimer ça, crois moi !
Mais Karim ne montre aucune crainte face à ces menaces. Il
lui répond calmement :
-Tu vas crever, je te dis, et tous les autres flics avec toi, regarde
!
Il ouvre son blouson et découvre les dizaines de barres d’explosif
qui l’entourent.
La terreur envahit Moustache à la vue de la bombe mais surtout
en découvrant la détermination inébranlable
qui luit dans les yeux de Karim.
Il voudrait se jeter sur lui pour tenter de le maîtriser mais
le comptoir les sépare. Il essaye de le raisonner en bafouillant,
la voix étouffée par la trouille :
-Déconne pas, putain, ho, on va discuter, je l’ai pas
tué ton frère, il avait une maladie de cœur,
il a eu une attaque, c’est tout, c’était un accident…
Mais ses paroles n’ont aucune prise sur Karim qui le regarde
maintenant d’un air absent, alors il se met à hurler
hystériquement :
-Il a une bombe cet enculé, chopez le, vite, vite…
**********
Karim se sent bien.
Il vient de déclencher son détonateur et dans quelques
secondes son frère sera vengé.
La terreur de Moustache se déverse dans son cœur comme
du miel, il sent une infinie douceur l’inonder…
Il ne ressent aucune peur, au contraire, il ne doute pas de rejoindre
bientôt ses frères martyrs au Paradis, d’y être
accueilli en héros comme promis par ses enseignants.
Il est persuadé que Dieu l’Omniscient saura lui pardonner
ce petit changement d’objectif puisque l’explosion va
servir une juste cause, bien supérieure à la suppression
de quelques vies innocentes dans le métro.
Il regarde une dernière fois autour de lui, constate que les
autres flics n’osent pas intervenir, paralysés par la
peur.
Le silence est total, à peine troublé par les gargouillis émis
par Moustache qui est en train de se vidanger les tripes dans son
froc, diffusant une odeur abominable.
Il le regarde et lui sourit
‘’Allah Akbar !’’
Il s’éparpille dans une nuée rougeâtre…
Clôture.
Jacques Marchand est arrivé pour une fois de très
bonne heure au bureau pour relire ses notes et tenter de les classer
dans un ordre compréhensible pour le commun des mortels.
Il a toujours été incorrigiblement bordélique,
aussi perd-il un temps fou à trier ces feuillets disparates, écrits à la
main d’une écriture épouvantable, car il affecte évidemment
une totale aversion de principe envers tout moyen d’écriture
moderne et électronique.
Ses pages sont raturées, tachées, remplies d’annotations
en marge mais aussi en interligne, ou faisant le tour du bord de
la feuille, toujours en sens inverse des aiguilles d’une montre,
va savoir pourquoi…
Il en profite pour relire des passages entiers, se replongeant avidement
dans cette histoire hors du commun.
Il a terminé ses investigations. Il a apprit tout ce qu’il
y avait à apprendre sur les protagonistes, sur l’environnement
dans lequel ils ont vécu, sur leurs motivations…
Cà fait longtemps que lui, d’ordinaire si blasé,
n’a été captivé ainsi par une enquête.
Après qu’ils ont réussi à identifier Karim, ça
n’a pas été très compliqué de démêler
chaque fil qui reliait les nombreux acteurs entre eux…
L’étrange relation amoureuse qui soudait les deux frères
Attah, le véritable catalyseur des réactions en chaînes
qui ont aboutis à l’explosion du commissariat, a fasciné Jacques.
L’absence de hasard du déroulement de l’histoire
est l’autre fait qui l’a interpellé.
L’explosion s’est produite car plusieurs suites d’évènements
non aléatoires, parfaitement interactifs et logiques, ont
créé l’environnement indispensable à sa
genèse puis ont donné les moyens matériels aux
protagonistes pour qu’elle se produise.
Jacques s’efforce de trier ses feuillets en deux tas distincts
: d’un coté celui du concret, les notes concernant le
déroulement des évènements et toutes les personnes
ayant un rapport avec l’affaire, plus les comptes rendus des
surveillances, des filatures ou des interventions tout au long de
l’enquête.
L’autre tas est constitué de toutes les annotations
contenant ses pensées personnelles, avec les idées
parfois saugrenues qui lui viennent pendant une investigation, certaines
se révélant très utiles pour éclairer
les faits sous un angle différant et le lancer sur de nouvelles
pistes ou exposer des détails insoupçonnés,
d’autres n’ayant au contraire aucune utilité mais
ouvrant des champs de réflexions intéressants.
En se relisant, certaines de ses cogitations lui reviennent, par
exemple celles sur l’intégration des immigrés.
Jacques est bien trop cynique et désabusé pour être
pourvu du moindre début de racisme ou de xénophobie,
pour lui la totalité de l’humanité est également
désespérante, veule et moche. Il est persuadé qu’il
trouverait tous les vices, toutes les perversions qu’il côtoient
et qui l’enrichissent, partout ailleurs dans le monde, avec
certes d’infimes variantes locales, s’il lui prenait
l’idée saugrenue de voyager.
Il s’est fait cette réflexion iconoclaste en étudiant
la famille Hattah, que le sacrifice de Karim est l’aboutissement
d’un parfait processus d’intégration réussie.
Les grands parents de Karim, typique couple de travailleurs immigrés
Maghrébins des ‘’Trente Glorieuses’’ qui
ont passé leur vie à trimer dur pour nourrir leur famille,
qui n’ont jamais eu une chance d’apprendre à parler
le français correctement et qui ont passé leur vie à se
sentir perdus dans un pays aux mœurs si différentes
de leur bled natal, sans jamais réussir à s’intégrer
totalement, justement, ont eu un de leur fils, Mourad, le père
de Karim qui s’est lui, complètement intégré,
au point d’adopter un des grands vices bien Français,
l’alcoolisme, comme mode de vie. La conséquence caractéristique
en a été la destruction de la cellule familiale qu’il
avait fondée, entraînant la marginalisation de ses fils.
Cette déstructuration sociale dans de telles circonstances
est rigoureusement la même chez des milliers de prolos alcoolos
Français ‘’de souche’’.
Pourquoi faudrait-il que s’intégrer signifie obligatoirement
d’adopter les vertus d’un pays ? Un pays est aussi fait
de vices spécifiques, ne devrait-on pas considérer
comme une forme tout aussi pertinente d’intégration
le fait de s’y adonner ?
Si le père de Karim était un musulman radical, polygame,
encaissant des tas de prestations sociales grâce à la
myriade d’enfants de ses femmes, mais veillant à donner
une éducation stricte et religieuse à ses fils, négligeant
de leur apprendre à parler Français, en leur enseignant
de surcroît que la seule loi qui compte c’est la Charia
et qu’elle passe avant les lois de la république, bref,
si Mourad avait été aussi peu intégré que
possible mais en échange puritain et rigoureux, jamais ses
enfants n’auraient traînés dans les rues pour
former une bande de voyous, jamais Kader n’aurait été connu
d’un Moustache qui cherchait le moindre prétexte pour
se le faire, Jamais Karim ne se serait fait violer par ses potes,
il n’aurait jamais intégré ‘’La Villa’’ donc
n’aurait jamais pu se faire exploser pour venger son frère.
Jacques est plus du genre Maigret que Rambo et ce qui le captive,
malgré sa misanthropie chronique, c’est le coté humain
d’une enquête, comprendre les motivations des gens, ce
qui les pousse à commettre des actes hors normes, il ne les
aime pas mais ils l’intéressent, comme un entomologiste
qui étudie ses termites.
La, il a été gâté, un microcosme aussi
riche en interactions, peuplé d’une bande de tordus
d’une telle qualité, il n’aurait jamais pensé que
cela pouvait exister.
Un autre aspect de l’affaire qui est très vite ressorti
et qui semble devenir récurant de nos jours, c’est l’importance
du rôle tenu par Internet dans la vie des gens et par conséquent
dans toute enquête policière.
Ses flics, Lionel en tête, ont pu reconstituer la quasi totalité des étapes
de la vie de Karim et de ses faits et gestes, car celui-ci a conservé tous
ses mails, toutes ses idées, ses plans, qu’il dictait
sur son Iphone, toutes les traces des consultations de sites qu’il
effectuait, entre autres pour savoir les horaires d’ouverture
du commissariat, quels étaient les flics en service…Il
conservait toutes les photos et les vidéos pornos compromettantes
des victimes de ses divers chantages sur un tas de mails qu’ils
ont pu ouvrir…
Jacques aime traîner sur le terrain, s’imprégner
des ambiances, marcher dans les pas des personnages clef d’une
histoire, interroger encore et encore leurs proches pour les cerner…
Les arrestations, les interrogatoires des suspects, tout l’aspect
strictement policier d’une enquête l’ennuient.
Il délègue ces corvées à ses arpètes
et surtout à Lionel, comme promis au juge Vacqeyras. Evidemment,
Lionel en a profite pour se mettre outrageusement en valeur, trop
heureux de pouvoir enfin jouer les vedettes.
Jacques reconnaît qu’il est plutôt bon dans ce
rôle, y montrant une compétence certaine.
Il a magistralement organisé la descente à ‘’La
Villa’’, après qu’ils l’aient ‘’logée’’,
avec tous les super flics de l’anti-terrorisme, devant toutes
les télés convoquées pour l’occasion.
Tous les téléspectateurs ont été gratifiés
d’un superbe show spectaculaire plein d’action palpitante
et tellement médiatique. Ils ont même eu la chance qu’un
des terroristes ait la bonne idée de tirer quelques rafales
de kalachnikov sur les policiers, ce qui leur a permit de sortir
le grand jeu : snipper qui flingue le méchant barbu en direct,
descente des flics en rappel d’un hélico, grenades lacrymogènes
qui explosent partout, portes défoncées à coup
de bélier télécommandé, magnifique coordination
des poulets héroïques si télégéniques
dans leurs uniformes moule burnes noirs, leurs visages encagoulés
tels des catcheurs mexicains, y’en a juste un qui s’est
pété la tronche comme un couillon en ratant la fenêtre
du premier étage mais c’est pas grave, on a coupé au
montage…
Lionel en a bien sur profité pour pérorer lors de la
conférence de presse organisée après l’intervention,
il passe bien à la télé avec sa belle allure
sportive et sa gueule d’ange. Il a su habilement faire croire
qu’ils ont effectue un magistral coup de filet et démantelé une
super cellule terroriste, non pas une bande de paumés ignares
endoctrinés par des illuminés. Il a souligné le
fait qu’ils ont identifiés les responsables qui sont
traqués par toutes les polices du monde, leur arrestation
n’étant qu’une question de temps, oubliant de
mentionner qu’ils n’ont pas été foutus
de les garder sous surveillance…
Ila su éviter de mentionner la vraie raison du geste de Karim,
d’ailleurs toute la hiérarchie policière, le
juge Vaqueyras et le ministre ont donné des consignes strictes à ce
sujet : ce Karim était un authentique kamikaze qui agissait
pour le compte d’une cellule locale d’AlQaida, pas question
de laisser transpirer le fait qu’il ne s’agit, au fond,
que de l’acte désespéré d’un pauvre
jeune déboussolé qui a juste voulu venger son frère
adoré, assassiné par des flics ignobles.
Et, par dessus tout, ne jamais laisser la possibilité à la
presse de réaliser que par son geste Karim a probablement
sauvé la vie à des dizaines de victimes innocentes
en détournant la bombe de sa cible initiale, le métro.
Cette censure ne fait pas du tout l’affaire de Jacques, il
a une promesse à tenir, lui !
En temps normal, il pourrait très bien s’accommoder
d’un oubli diplomatique, du genre : c’est pas que je
tiens pas, je diffère…
Seulement, une promesse faite à fifille c’est sacré !
Comment faire pour qu’elle connaisse toute l’histoire
et que surtout elle puisse l’utiliser dans son bouquin si ses
détails les plus intéressants n’en sont jamais
dévoilés ?
Heureusement, la solution de ce casse tête est apparue à Jacques
au cours d’une de ces séances, si irritantes pour l’entourage,
de rêvasserie prolongée dont il a le secret…
Il a un plan, un bon, bien tordu, bien vicieux, nécessitant
de ‘’la jouer fine’’, comme il dit, un plan ‘’Jacquient’’ en
somme, qui devrait lui permettre de faire d’une pierre plusieurs
bons coups.
**********
Jacques s’amuse dans son fauteuil pivotant, tournicote à gauche
bras d’abord écartés puis ramenés prés
du corps pour accentuer la vitesse de giration, recommence à droite
quand il commence à avoir le tournis…
Les deux piles de notes maintenant bien constituées attendent
sagement sur son bureau leur traitement ultérieur.
Il les aime ses notes, elles résument tout un univers qui
est en train de disparaître et qui était celui de Jacques,
un monde où on laissait un espace à l’à peu
prés, au bordélique, à l’improvisation.
Bien sur, il sait en réalité utiliser les outils modernes
comme tout un chacun mais il s’y est adapté avec répugnance.
Il n’aime pas cette époque ou on lit les nouvelles sur
Internet plutôt que dans un journal, installe à la terrasse
d’un troquet en sirotant un café et en levant de temps
en temps les yeux de sa lecture pour mater les passants, ou on roule
les vitres fermées en été comme en hiver dans
une température égale. Il n’aime pas ces maisons
modernes si bien isolées par leur double vitrage que les enfants
y seront à dorénavant privés du plaisir de tracer
avec leurs doigts des dessins dégoulinants sur une buée
inexistante. Il regrette la disparition des commerces d’antan,
les épiceries par exemple, remplacées par des ‘’superettes’’,
quel néologisme ridicule, accoler un diminutif à un
superlatif, cela devrait être un motif suffisant pour avoir
le droit de signer un décret de fermeture immédiate
! Ou la mercerie de sa maman et la cordonnerie de son père,
disparus à tout jamais de nos rues…
Dans son métier aussi, il ne s’est jamais consolé de
la disparition des képis de nos flics en uniforme que les
touristes affectionnaient tant, si typiquement français, tout
un symbole relégué aux oubliettes au nom de quoi, au
fait ?
Qui décide pour nous, un jour, de la transformation de la
silhouette assez débonnaire du flic de chez nous en un pseudo ‘’cop’’ à l’américaine,
au nom de quelle croyance dans une efficacité augmentée
grâce à ce ‘’look’’ banalisé ?
La rêverie de Jacques est interrompue par l’entrée
dans son bureau de ses trois enquêteurs principaux, les deux
compères Gérard et Bernard suivis par un Lionel fringant,
tiré à quatre épingles, bronzé sûrement
pas seulement par le soleil printanier, remonté comme un coucou
depuis qu’il joue les super héros à la télé.
-Salut les mecs asseyez-vous. Je vous sers un café ?
Les trois flics, agréablement surpris par le ton jovial de
Jacques, acceptent son offre…
-Bien, alors trois cafés, vous m’en direz des nouvelles
c’est de l’éthiopien, un pur régal ! Du
sucre ? Longs ou serrés ?
Il sert les tasses fumantes, l’arome du café remplit
agréablement la pièce, un bon moyen pour masquer les
miasmes, se dit Jacques, in petto.
Bon, les gars, je crois qu’on peut considérer que notre
enquête est à peu prés close, je crois pas qu’on
puisse en apprendre beaucoup plus, en tous cas moi je vais remettre
mon rapport final à mon chef, au juge Vaqueyras et au ministre.
Continuer à poursuivre les terroristes pour finir de démanteler
le réseau, essayer de chopper les leaders c’est plus
notre boulot, Lionel va se charger de ça avec ses troupes
et les barbouzes. Je tenais à vous féliciter, je trouve
que nous avons fait un super boulot ensemble, vraiment ! Il se tourne
vers les inspecteurs : Vous, vous êtes incontestablement les
meilleurs fouineurs du Quai, c’était un plaisir de travailler
avec vous, vous avez assuré, vous etes des as ! Comptez sur
moi pour vous passer un super coup de brosse à reluire dans
son rapport.
-Merci, boss, pour nous aussi Ca a été un réel
plaisir, quand vous voulez on recommence…
-Toi aussi Lionel, tu as assuré, mais tu en es déjà persuadé,
j’en rajouterai donc pas ! Comme sa remarque est dite sur un
ton badin, Lionel ne se formalise pas, les deux autres rigolent…
-Merci de t’être coltiné la corvée des
arrestations et des conférences de presses, tu m’as
soulagé d’un grand poids…
C’est rien, Jacques, il fallait bien que quelqu’un s’en
charge… Répond Lionel, incapable de déceler
toute l’ironie contenue dans la phrase.
‘’Ta gueule !’’ Pense Jacques en lui souriant
chaleureusement.
Ils commentent un moment les péripéties de leur enquête,
plaisantent sur tel personnage de l’histoire…
Puis Jacques se lève pour signifier que leur meeting est terminé.
Il remercie encore une fois tout le monde, serre la main des deux
flics qui sortent. Il retient Lionel qui allait les suivre.
-Lionel, attends, j’ai un service à te demander…
-Je t’en prie, Jacques, tout ce que tu veux…
-C’est pas grand chose, tu connais mon aversion envers ces
putains de machines, (il montre l’ordinateur archaïque
couvert de poussière, oublié dans un coin de la pièce), ça
t’emmerde de taper mes notes au propre pour en faire un truc
un peu cohérent ? Tu connais mieux l’affaire que les
deux autres et puis tu es un expert en informatique. Moi il me faudrait
une semaine et jamais je le ferai aussi bien. Pour toi c’est
un jeu d’enfant ou presque. J’ai tout trié et
classé par ordre chronologique, j’ai viré tout
ce qui est sans intérêt, d’ailleurs je t’en
débarrasse…
Il ramasse ses notes personnelles, les fourre dans une sacoche en
cuir.
-Tu peux faire ça pour moi ?
-C’est bon, je vais te le taper ton rapport, file-moi tes notes…Il
jette un coup d’œil sur la liasse.
-Ha ! Quand même, y’en a un paquet, et quelle écriture,
t’as pas honte ?
-Excuse, j’écris mal, je sais. Ceci dit, y’en
a pas tant que ça, une fois tapé ça réduit
un max, et puis si c’est trop long, tu peux résumer
un peu, mais molo, hein ?Je veux que ce soit mon rapport, basé sur
mes notes. Quand tu as fini, tu m’appelles ?
OK, je vais dans un bureau peinard et je m’y mets. A toute.
-A toute, et encore merci.
Accord.
Marion Bartoli déguste un capuccino, confortablement installée
sur une élégante banquette de cuir bordeaux, dans
une alcôve d’un café branché de la rive
gauche, déserté en ce début d’après
midi. Elle fait semblant d’être absorbée par la
lecture d’un article réellement passionnant du Guardian,
excellent quotidien anglais de gauche. Elle trouve la plupart des
journaux français ennuyeux et superficiels, elle a constaté que
souvent, pour lire un article fouillé sur un sujet hexagonal,
mieux vaut lire la presse étrangère, de plus, comme
elle est gentiment poseuse sur les bords, elle trouve ça plutôt
valorisant, probablement à juste titre, les gens sont tellement
simples en vérité, une pareille bombasse plongée
dans un journal anglais, ça doit ‘’le faire’’,
comme ils disent.
Mais pour le moment elle est beaucoup plus intéressée
par le manège du garçon que par sa lecture. Du vrai
beau mec ce serveur, un grand brun pas ténébreux du
tout, au contraire, toutes ses manières démontreraient
plutôt un caractère enjoué et sympathique, des
yeux bleus absolument éblouissants et un sourire éclatant
qui lui rappellent Sacha Distel, un ancien chanteur que sa mère
adorait et dont elle même était un peu amoureuse vers
l’age de six ans…
Ca fait plusieurs fois qu’il trouve un prétexte pour
traîner du coté de la table qu’elle occupe. Faut
dire qu’elle en jette avec son chemisier généreusement
déboutonné et sa jupe fendue, qu’elle a consciencieusement
remontée pour dévoiler un maximum de chair bronzée.
Marion à rendez-vous avec Jacques Marchand.
Elle qui cherchait un moyen pour l’aborder depuis des mois,
a été extrêmement surprise car c’est lui
qui l’a contactée en fin de matinée.
Son étonnement s’est transformé en curiosité quand
il lui a proposé une rencontre pour l’entretenir d’un
sujet qui devrait l’intéresser, mais sans lui donner
aucun détail. Elle s’est, bien sur, empressée
d’accepter, n’essayant de lui soutirer quelques précisions
que pour la forme, ne pas donner l’impression qu’elle était
ravie à l’idée de ce tète à tète.
Si elle a bien appréhendé la personnalité du
spécimen, cette rencontre devrait s’avérer captivante,
elle ne doute pas un seul instant que s’il désire la
rencontrer ce n’est pas que pour ses beaux yeux, quoiqu’elle
soit toute prête pour trouver cette raison suffisante, mais
par intérêt.
Hors, qu’y a t-il d’intéressant chez un journaliste
mis à part sa profession ?
Son radar à scoop s’est mis à clignoter frénétiquement
et elle grille d’impatience.
Marion est dévorée corps et âme par son métier.
Pour elle, c’est beaucoup plus qu’un gagne pain, une
authentique passion, elle l’adore et elle y excelle.
Elle est dotée d’une science de l’investigation,
d’une opiniâtreté hors du commun, elle ne fixe
pratiquement aucune limite à ce qu’elle est prête à faire
pour chasser les meilleures infos.
Elle ne vit que pour découvrir les vérités cachées,
les secrets bien gardés, dévoiler les accointances,
les connexions, montrer les relations de cause à effet.
Elle est mue par une relation d’attraction-répulsion
extrêmement ambiguë avec la société et surtout
ses instances dirigeantes, les puissants, les privilégies
dont elle prend plaisir à dévoiler les magouilles dans
ses articles, mais au milieu desquels elle ne pourrait se passer
d’exister.
Toute petite déjà, dans la ferme familiale, elle ne
rêvait que de vivre dans ce monde mystérieux et lointain
des grandes villes cosmopolites aux noms magiques, New York, Paris,
Londres, Rome, ou les femmes ne pouvaient être qu’élégance
et intelligence, ses héroïnes imaginaires étaient
ces femmes si parfaitement incarnées par son actrice préférée
de tous les temps : Audrey Hepburn.
C’est ainsi qu’elle se voyait, plus tard, libre, indépendante, évoluant
au milieu des gens qui font le monde. Elle a concrétisé son
rêve à force de travail et de persévérance,
en utilisant sans remord tous les atouts qu’elle possède,
son intelligence et, si nécessaire, sa beauté, profitant
avec lucidité des préjugés favorables de la
société envers les physiques attirants, pouvant aller
très loin en utilisant ses charmes pour atteindre ses buts.
Son enfance n’aurait pu être plus heureuse. Ses parents
exploitaient une grande ferme en Provence, dans un pays magnifique.
Ils cultivaient des oliviers et des hectares de foin dans la plaine
de la Crau, au pied des Alpilles, à une époque ou cette
herbe de qualité exceptionnelle se négociait à prix
d’or pour nourrir les pur-sang de course. Ce ne sont pas les
plus exigeantes des cultures et ils avaient du temps à consacrer à leurs
deux filles qui ne manquaient de rien.
En vérité, Marion adorait et adore toujours ses parents,
des êtres d’une générosité et d’une
bonté infinies. Elle retourne les voir aussi souvent que possible
dans le mas familial ou ils coulent des jours paisibles.
De même, elle aime profondément sa sœur Emma,
son aînée si timide et si effacée qui a repris
l’exploitation du domaine.
Chaque fois qu’elle retrouve Emma, Marion a le cœur serré de
voir sa sœur vivre cette vie de vieille fille, à la
vue de ce visage en qui elle reconnaît ses propres traits,
mais prématurément usés par le travail et le
soleil, ce corps mince mais endurci et maltraité recouvert
d’une salopette informe, ces mains calleuses…
Elle a toujours été déchirée entre son
amour sincère pour ses proches et sa répulsion pour
leur mode de vie. Mais elle ne renie en rien ses origines qu’elle
n’a jamais cachées, mieux, elle éprouve une méfiance
totale pour le seul milieu urbanisé et mondain dans lequel
elle évolue et le seul elle peut exister.
Elle a honte de son image superficielle qu’elle découvre
sur toutes les photos ou elle pose avec sa famille, encadrées
soigneusement par sa mère, décorant le salon. Elle
se déteste, maquillée, tirée à quatre épingles,
contrastant violemment avec ces gens simples, sans chichi, comme
ils disent, qui l’entourent. Mais même à la ferme,
elle ne saurait passer un jour sans se maquiller, s’apprêter
méticuleusement, mais elle est accro à son aspect,
une véritable droguée du paraître. Elle a conscience
du ridicule de tout ça, pire, de pouvoir représenter
une sorte de provocation, de tentative de leçon de bon goût
donnée à des rustauds…
Mais eux ne s’en offusquent jamais, ne lui reprochent rien,
ils l’aiment telle qu’elle est, sans condition. Sa mère
s’en moque même avec gentillesse :
-Hè bé, tu t’en donnes du travail pour te préparer,
mais ça valait le coup, la au moins tu es jolie…
Quand elle les accompagne au marché d’Arles le samedi
matin, ils s’arrangent pour prendre leur copieux petit déjeuner
après le début de ses préparatifs pour qu’elle
puisse disposer de tout le temps nécessaire pour se
pomponner.
Ses parents sont fiers d’elle, de sa réussite dans un
milieu si éloigné du leur, mais il ne la place en aucun
cas sur quelque sorte de piédestal, elle n’a droit à aucun
traitement de faveur, ils n’établissent aucune hiérarchie
avec le dur travail d’Emma. Les deux sœur ont souvent
droit à des compliments ou des reproches communs, par exemple
de la part de leur mère, du fait qu’à quarante
ans passés, elles n’ont jamais été capables
de lui pondre les petits enfants dont elle rêve :
-Tè, belle comme vous êtes, vous êtes aussi sèches
du fion l’une que l’autre, c’est quoi votre problème,
ils vous plaisent pas les hommes ? Ou alors vous voulez pas grossir
?
Marion sent un grand coup de spleen dont elle est coutumière
l’envahir à cette évocation. Elle est obsédée
par la fuite du temps, par la futilité de la vie, elle n’a
jamais vraiment cru à grand chose, ou, si elle a cru un jour,
son métier l’a guérie.
Elle est terriblement angoissée par l’avenir. Elle qui
adore sa solitude actuelle trouve terrifiant d’envisager une
vieillesse solitaire…
Plongée dans ses pensées déprimantes, elle a
complètement oublié son serveur qui en est réduit à venir
lui proposer un autre café pour attirer son attention.
Elle lui sait grés de l’extirper de sa rêverie
:
-Oui, s’il vous plait.
-Je vous l’offre ? Propose t-il, tout sourire…
Marion le contemple. ‘’Décidément il est
trop joli.’’ Elle lui demande :
-C’est comment votre prénom ?
-Enzo
-C’est joli, vous serez mon premier Enzo, vous me donnez votre
numéro de portable ?
Mais le minet aussi ouvertement dragué se ferme comme une
huître devant un couteau d’écailler ! Le beau
sourire disparaît, il répète bêtement :
-Mon numéro ? Mais pourquoi ?
‘’Encore un connard qui supporte pas d’être dragué par
une meuf’’, pense Marion, ‘’et merde…’’
-Pour rien, oublie, regarde, j’ai mieux que toi pour me tenir
chaud, andouille !
Elle lui désigne un Jacques Marchand tout souriant qui vient
de s’asseoir en face d’elle.
***********
Jacques Marchand reluque Marion. Il examine sans vergogne chaque
détail de son anatomie d’un œil critique. Décidément
elle est parfaite, il ne trouve rien qui ne soit exactement à son
goût.
La chevelure sombre qui cascade autour du visage sévère
mais sensuel, les yeux noirs, la peau mate…Elle est sûrement
un peu trop arrondie selon les critères actuels qui prétendent
nous faire croire qu’un os est plus joli qu’un jambon,
mais Jacques trouve au contraire qu’une grande partie de son
charme époustouflant provient du contraste entre la dureté de
ses traits et ses formes généreuses, si féminines,
aucune androgynie décelable dans un corps pareil, totalement
sexuée la Marion.
Son corps épanouis incite au contact quand son visage te dis
dégage…
Jacques lui sourit franchement, sans calcul, sans pose, et il s’entend
lui débiter la plus incroyable incongruité, extirpée
d’un recoin inconnu de son cerveau :
-Ca serait un crime contre la nature de pas utiliser un physique
pareil pour faire des petits…
Sa phrase à peine lâchée, déjà il
la regrette : ‘’Mais qu’est ce que tu raconte comme
conneries, ça va pas la tête ? Non mais quel con !…
Il est mortifié, c’est pas son genre de l’ouvrir
sans avoir prémédité ses paroles, il ne comprend
pas ce qui lui a pris, ça va être coton de rattraper
une pareille bourde…
Marion est décontenancée par la remarque de Jacques,
proférée d’un ton affable et accompagnée
d’un sourire aussi sympathique.
Elle se trouble et elle a horreur de ça. Du coup elle lui
répond sèchement, piquée dans son orgueil, furibarde
:
-Tiens donc ! Je croyais que la police ne contrôlait plus le
mode de vie des gens depuis Vichy ! Et au fait, avec qui faudrait
les faire? Vous voyez des males suffisamment qualifiés pour
servir de reproducteurs dans le coin ?
Jacques tente de plaisanter pour minimiser la portée de ses
propos, il embraye sur la réplique acerbe de Marion :
-C’est sur que ça doit pas être facile à dénicher
mais de nos jours, grâce à Internet ?
Marion lui sait gré de ne pas insister sur le sujet car il
vient d’appuyer juste la ou ça fait mal, ce Jacques.
Non qu’elle soit du genre à fantasmer une carrière
de mère poule, mais s’il y a bien un sujet qui la touche
au plus profond, c’est les enfants. Elle adore les bambins,
même si elle se garde de le montrer, elle est toujours émue
aux larmes devant un bébé souriant. Elle jalouse toutes
ses consoeurs pondeuses épanouies mais surtout elle hait intensément
toutes ces mères odieuses, des plus sadiques aux simplement
négligentes qu’elle côtoie si souvent pendant
ses enquêtes criminelles, elle a l’impression qu’elle
pourrait appuyer sur le piston de la seringue de l’injection
fatale qu’elle souhaiterait voir infligée à toute
maltraiteuse d’enfant !
Elle s’est souvent fait elle même cette réflexion
immodeste, si proche de la remarque de Jacques, qu’une femme
aussi belle et intelligente qu’elle, se doit de transmettre
des gènes d’une telle qualité au reste de l’univers,
et puis ça ferait tellement plaisir à sa mère.
Plongé dans ses réflexions elle en oublie complètement
son environnement pendant plusieurs minutes.
Elle finit par reprendre contact avec la réalité et
dévisage Jacques qui l’observait silencieusement, en
respectant son isolement.
-J’imagine que si vous m’avez donné rendez-vous
dans ce café ce n’est pas seulement pour me faire bénéficier
gratuitement d’une consultation en obstétrique ?
‘’Et merde, c’est mal barré !’’ Se
dit Jacques. ‘’Mais quel con, comment je vais rattraper ça,
moi ?’’
-J’ai besoin de vous pour raconter dans votre canard la plus
belle histoire que vous y avez jamais raconté.
-Pourquoi moi ?
-Parce que vous êtes de loin la meilleure plume du moment,
que vous étés intelligente, que vous n’hésitez
jamais à prendre des risques, que vous êtes la seule
qui oserez raconter ça et que vous êtes prête à tout
pour un tel scoop.
-Ouah ! Tout ça ! En plus vous avez l’air de penser
ce que vous dites, je suis flattée.
-Je suis sincère, vous êtes la meilleure et d’ailleurs
vous le savez. Ca vous intéresse ?
- Faut voir, ça dépend du sujet…
Jacques se penche vers elle et baisse le ton :
-L’explosion du commissariat, vous vous en doutiez…
Oui, elle s’en doutait et elle trépigne d’impatience.
-Racontez !
-Y’a pas le feu ! Buvons d’abord un verre pour célébrer
notre collaboration.
Marion se détend.
-Bonne idée, commandez-nous quelque chose de fort et de frais
!
***********
Après quelques caipirinhas bien tassées, l’ambiance
s’est considérablement apaisée. Ils se sont lancés
dans une démolition en règle de relations célèbres
qu’ils ont en commun, comparant leurs connaissances en matière
de petits secrets sordides ou d’histoires croustillantes…
Marion réalise qu’alcool aidant, elle commence à apprécier
un peu trop la présence de Jacques. Elle revient au motif
initial de leur rencontre.
-Si nous revenions à notre affaire, non ?
-OK ! Ecoutez moi bien belle Marion, vous allez adorer ma petite
histoire…
Il lui conte les grandes lignes de l’affaire.
-Alors, ça vous inspire ?
-Tu parles ! D’excitation, elle vient de le tutoyer.
–C’est de la bombe atomique, si j’ose, cette histoire,
raconte, raconte…
-Calme-toi, c’est pas si simple, il y a des conditions pour
obtenir toute l’histoire. Lui aussi passe au tutoiement, ça
pourrait faciliter la suite…
-Des conditions ? Lesquelles ? Explique-toi !
-Il y a trois conditions à remplir et elle vont peut être
te paraître inacceptables.
-Dis toujours.
Euh…Voilà : Premièrement, je veux que tu publies
toute l’histoire, pas un résumé, que tu donnes
un maximum de détails même les plus scabreux,
des noms, les tenants et aboutissants, tout… Il faut que ton
article soit suffisamment complet pour servir de base à d’autres
développements sans que personne ne risque d’être
censuré…
-Ca c’est facile, si vraiment ça vaut le coup, tu as
ma parole, après ?
-Je veux pas qu’on puisse deviner que je suis à l’origine
de la fuite, jamais !
-Je serais muette comme une tombe, après ?
- Non, ce n’est pas assez sur ! Il faut que l’auteur
de la fuite soit identifié sans aucun doute possible, que
ta source semble une évidence pour tout le monde, j’ai
un plan et tu devras le suivre à la lettre !
-Ecoute, je comprend pas comment tu vas t’y prendre et je m’en
tape, je suivrai ton plan, après ?
-Après ? La, Jacques hésite, mais en joueur invétéré de
poker il ne peut résister au plaisir de risquer son va-tout
:
-Tu dois d’abord coucher avec moi !
Alors la, Marion est véritablement estomaquée, comme
dirait sa mère !
Elle n’a qu’une phrase qui lui vient à l’esprit
: ‘’Mais quel connard, mais quel connard…’’ Pourtant
elle ne ressent aucune colère ce coup-ci, d’ailleurs
elle ne sait pas au juste ce qu’elle ressent mais putain, c’est
fort !
D’abord elle a chaud, elle sue, elle doit être rouge
comme un piment. Son cœur bat à 140 pulsations par minutes,
son ventre chauffe comme une bouillotte. Ensuite elle est prise d’une
sorte de vertige, la tête lui tourne, ses oreilles bourdonnent.
Elle réalise qu’elle ne lui en veut pas vraiment, son ‘’mais
quel connard’’ serait plutôt plus admiratif que
révolté, cet enfoiré est la, devant elle, empourpré par
l’émotion et la gène lui aussi, mais rigolant
du bon tour qu’il vient de lui jouer en la laissant se dépatouiller
avec l’obligation de répondre à ça !
Elle ferme les yeux, tente de se contrôler et de penser, en
plus elle est un peu saoule, ça l’aide pas…
Elle entrouvre les paupières, le regarde, réussit à lui
sourire aussi pour tenter bravement de donner le change, d’avoir
l’air pas si choquée que ça, d’assurer…
-Je vois, il nous la joue direct, le Marchand !
-C’est à dire, il faut que l’article paraisse
demain, alors on doit se magner…
Il répond en rigolant faux, essayant d’atténuer
l’abrupteté de sa proposition, pas sur de lui du tout.
-Ouai ouai ouai… Marion prend brusquement sa décision
:
-On va chez moi, j’habite à coté ?
Et elle se lève, maintenant qu’elle s’est décidée,
elle est impatiente, curieuse et pour tout dire diablement excitée
!
Trahison
Jacques contemple le corps dénudé de Marion étendu
en travers du lit.
‘’Mais quel canon !’’ Il ne se lasse pas
de ses courbes, du grain de sa peau mate et bronzée, de sa
poitrine plantureuse, du galbe de ses longues jambes musclées,
de ses pieds, il adore les jolis pieds et ceux la sont parfaits,
fins et cambrés, avec le ‘’détail qui tue’’qui
le fait craquer : des vrais ongles entiers, parfaitement délimités,
impeccablement vernis couleur rubis, sur chaque doigt bien séparés
et agiles…On ne décèle aucun de ces défauts
disgracieux si fréquents sur nos pieds modernes, compressés
et déformés par des décennies de marche dans
des chaussures inadaptées. Il se fait la réflexion
qu’elle a du passer une bonne partie de son enfance à courir
pied nus dans les chemins d’une campagne ensoleillée…Il
est étonné et ravi en découvrant le sentiment
de vrai bonheur qui grandit en lui pendant qu’il étudie
chaque détail de l’anatomie de sa nouvelle maîtresse.
Il envoie sa main pour caresser le ventre soyeux, remonte effleurer
les seins lourds, redescend vers les cuisses si douces à l’intérieur…
Jacques se demande si Marion a trouvé son plaisir dans leur étreinte.
Il a apprit au fil du temps à n’accorder qu’un
crédit limité aux manifestations de jouissance de ses
maîtresses. Il sait maintenant que beaucoup d’orgasmes
de nos compagnes sont simulés. Au début, comme pour
tous les hommes, sont ego était flatté par des manifestations
exubérantes mais avec l’expérience il a fini
par réaliser qu’elles n’avaient souvent rien à voir
avec un plaisir réel et il n’a plus fait aucun effort
pour les provoquer.
Il en est venu à classer ses amantes en deux grandes catégories
: celles qui osent lui faire comprendre clairement, en utilisant
le langage de leur choix, ce dont elles ont besoin ou ce qu’elles
désirent qu’il fasse pour pouvoir jouir, et Jacques
est prêt à répondre à toutes les demandes,
sans aucune limite.
Ensuite, celles qui attendent qu’il le découvre tout
seul car c’est le devoir de l’homme véritable
de procurer du plaisir à sa ‘’conquête’’,
ou bien qui n’attendent en fait rien du tout des hommes puisqu’ils
sont tous nuls…
Jacques a depuis longtemps renoncé à chercher à satisfaire
la deuxième catégorie dans laquelle on trouve la grande
majorité des simulatrices.
Par contre, il a toujours respecté une belle simulation en
y répondant par une satisfaction apparente de coq flatté,
considérant que si l’on se donne du mal pour feindre
le plaisir quand on couche avec lui, c’est avant tout pour
qu’il se sente bien.
Marion appartient incontestablement à la première catégorie
!
Elle a guidé Jacques pour qu’il ne se perde pas en improvisations
stériles et son plaisir ne s’est traduit par aucun cri,
par contre les odeurs, la sueur, les fluides et le pouls à 140
lui laissent espérer que son orgasme n’était
pas simulé.
Marion penche la tête en arrière pour le regarder à l’envers
et lui souris, Jacques fond littéralement, elle est vraiment
trop jolie… Elle ronronne, enfin c’est ainsi qu’il
interprète le petit râle de contentement qu’elle émet…
Il se sent tout doux et chaud à la fois, il sent son désir
renaître et se laisserai bien tenter par une nouvelle étreinte,
cela aussi le rempli de bonheur : il n’a pas eu besoin d’avoir
recours à ses petites pilules habituelles, surtout pas les
bleues bien trop célèbres, Jacques ne veux pas courir
le risque de se faire ridiculiser, par ses partenaires habituelles,
des professionnelles ou des habituées de la nuit, qui ne sont
pour la plupart pas du genre à se priver d’une belle
remarque sarcastique.
Jacques sait qu’il va faire tout son possible pour développer
une relation durable avec Marion, cela fait si longtemps qu’il
n’a pas éprouvé quelque chose d’aussi fort
et agréable pour une femme qu’il n’a pas du tout
l’intention d’en rester la.
********
Marion laisse le bien être l’envahir, elle ressent encore
des ondes de plaisir parcourir son corps… Elle se doutait
qu’elle allait aimer coucher avec ce type mais l’intensité de
ce qu’elle a ressenti l’a surprise. D’abord elle
a jouit et cela ne lui arrive quasiment jamais les premières
fois, et en vérité rarement toutes les fois suivantes,
mais ce Jacques est diabolique, il s’est révèle
un véritable expert de l’anatomie féminine, elle
a eu l’impression d’être un instrument à orgasme
entre ses mains, enfin pas seulement les mains, il est plein d’autres
organes dont il sait se servir à bon escient et sans aucuns
tabous…
Mais il y a plus : elle a envie de lui, ou plus précisément
envie d’être à lui, et ça c’est nouveau
pour elle, jamais elle ne se serait crue capable de ressentir cela
pour un homme. Elle est plutôt du genre à se servir
des males, à s’en nourrir, en les pressant comme des
fruits murs pour en tirer toute la substance et les jeter une fois
vidés…
Elle sent la main de Jacques la caresser. Elle ouvre les yeux, le
regarde à l’envers, s’il ne trouve pas ça
adorable c’est qu’il n’a aucun goût, mais
elle est archi sure d’elle sur ce coup-la, il ne peut que aimer…
Elle roucoule de plaisir, (pour elle c’est un roucoulement
qu’elle produit, à chacun ses bestioles, non ?) Elle
sent le désir renaître en elle, l’inonder, elle
se laisserai bien tenter par une autre séance…
********
Jacques se penche sur elle, lui bisouille le cou, lui mordille l’épaule…Marion
frissonne, gémit de plaisir doucement…
-Bon, si nous parlions de la suite du plan, l’heure tourne
!
-Quel salaud ! On n’est pas si pressés ?
-Si, nous sommes pressés et il faut s’y mettre…
-Bon, je t’écoute… Marion s’assied sur
le lit en remontant les genoux sous son menton. Elle s’allume
une cigarette, complètement dégrisée…
Jacques se lève et s’empare de la liasse de ses notes
personnelles.
-Ca, c’est mes notes perso, les réflexions que je me
suis fait tout au long de l’enquête, tu pourras t’en
servir pour compléter ton article ou t’en inspirer pour
suivre d’autres développements…
Marion s’empare de la liasse, commence à parcourir les
feuillets…
-Putain que tu écris mal ! Mais ça a l’air passionnant,
tu as des idées, ça peut cogiter autant un flic, j’aurai
pas cru !
- Vu le genre d’andouille que tu fréquentes, tu ne risques
pas de savoir !
-Lionel n’est peut être pas le plus futé mais
il est beau, il n’a pas de cheveux gris (elle peigne sa tignasse
hirsute avec ses ongles), il n’a pas les fesses moles, (elle
lui claque le postérieur en riant), et il ne pue pas du bec
! (Elle l’embrasse en lui fourrant sa langue dans la bouche).
-S’il pue pas de la gueule, c’est juste parce qu’il
se pshitte et se gave de pastilles antiseptiques toute la journée,
c’est une vrai pharmacie ambulante ton mec !
- C’est pas mon mec, c’est un amant, et un bon, figure
toi !
-C’est bien dommage car tu vas devoir en parler au passé…
-Comment ça ? Fous lui la paix…Marion réalise
que tout ce petit échange débité sur le ton
de la plaisanterie n’était destiné qu’à l’emmener à ce
point précis de la conversation et elle appréhende
la suite, l’air mauvais et goguenard de Jacques vient d’éveiller
sa méfiance…
-Figure toi que je n’ai pas la moindre intention de risquer
de plonger en te refilant cette histoire, si je te la refile d’ailleurs, ça
va dépendre de toi. Ma hiérarchie est extrêmement
crispée avec cette affaire, ils ne veulent surtout pas de
fuite ! Hors, comme fuite il y aura eu, de fait, il faudra qu’il
trouvent ta source et ton Lionel va être un coupable idéal
!
-Mais c’est dégueulasse, il m’a rien fait à moi,
je l’aime bien mon Lionel, c’est toi qui peux pas le
saquer, tu sais même pas pourquoi je parie !
-Le pourquoi on s’en fout, en tous cas c’est pas ton
problème, il faut quelqu’un pour porter le chapeau et
j’ai pas de plan de rechange, alors a toi de choisir ma chérie,
ou c’est lui ou tu n’as pas d’article, c’est
aussi simple que ça !
Marion est mortifiée. Elle est outrée par le cynisme
de Jacques. Elle qui se croyait impitoyable se découvre presque
innocente comparée à un tel salopard ! Une partie d’elle
même n’a qu’une envie, celle de planter la Jacques
et ses combines répugnantes, de fuir pour se sauver en renonçant à un
scoop si cher payé. Mais une autre voix beaucoup moins vertueuse
lui chuchote qu’on ne peut rater une opportunité pareille
quand on s’appelle Marion Bartoli, qu’à quoi bon
préserver une relation sans avenir et de toutes façons
déjà principalement basée sur l’intérêt.
Certes, elle aime bien la belle gueule de Lionel mais elle a parfaitement
conscience des limitations flagrantes du bonhomme, surtout maintenant
qu’elle peut le comparer pour son malheur à la densité et
au charisme pervers de Jacques, auquel elle est prête à succomber
totalement, malgré son ressentiment présent. En vérité,
elle doit admettre qu’elle se laisse gagner par une pointe
d’amusement malsain à l’idée de jouer un
tel mauvais tour à ce bellâtre prétentieux…
-Allez, Marion, tu sais bien que tu aurais fini par le larguer comme
un caca, tôt ou tard, alors autant que cela soit pour la bonne
cause en quelque sorte, non ? Ne me dis pas que tu y tiens tant que ça à ton
Roméo, pas toi…Je te garanti que tu vas écrire
l’article de ta vie, décide-toi !
Elle capitule :
-Et comment tu comptes t’y prendre ?
Jacques jubile mais n’en laisse rien paraître : ‘’elle
a accepté, yyyèèèsss ! Je l’aime
et je l’aime et je l’aime…’’
-Lionel est en train de taper le rapport final que je dois remettre
aux huiles demain matin, ministre en tête. Je pense qu’il
doit avoir presque fini. Je te laisse quarante minutes d’avance,
tu vas aller lui faire tes adieux a ta manière, profites-en, épuise
le, qu’il se méfie pas, on sait jamais…Ensuite,
je l’appellerai pour récupérer le rapport, il
devra descendre pour le copier car le bureau ou il bosse n’a
pas d’imprimante, tu auras tout le temps de pirater son portable…
-Pourquoi il laisserait son ordi ?
-Parce qu’il va te laisser planquée dans le bureau pour
pas que je risque de te rencontrer, il va utiliser une clef USB,
c’est plus simple que de se le trimbaler avec un tas de fil…
-Il doit utiliser un mot de passe ?
-C’est prévu, je te l’ai noté…
Il glisse un papier plié en quatre dans son mini sac à main.
-Allez c’est parti, prend une douche, fais-toi belle, il faut
qu’il te trouve irrésistible !
**********
Marion se jette dans les bras de Lionel. Elle est absolument éblouissante
et il ne risque pas d’avoir envie de lui résister. Elle
ne lui laisse pas le temps de déceler son état de complet
bouleversement, d’ailleurs il est bien trop surpris et heureux
de se laisser littéralement assaillir par une Marion déchaînée.
Habituellement, elle n’est jamais aussi effrénée,
les étreintes passionnées c’est pas son truc,
en vérité elle est du genre à toujours trouver
quelque chose qui cloche ‘’pendant’’ : il
fait pas assez ceci ou trop longtemps cela, ça c’est
trop fort ou pas assez…Heureusement que rien ne le fait débander
le Lionel, car sa Marion serait plutôt du genre castratrice,
une vraie
‘’tue l’amour’’, comme on dit.
Marion est agrippée à lui, avec les jambes nouées
dans son dos, il ne le voit pas mais des larmes coulent sur ses joues,
elle pleure sur leur relation qui va se terminer, elle pleure car
elle va le trahir, elle pleure sur elle, si salope et si impitoyable
car elle a lu, avant d’entrer dans le bureau, son mot de passe…
Alors elle étreint son bel amant pour la dernière fois
et le laisse jouir en elle comme jamais elle ne l’avait fait.
Hors, les spermatozoïdes de Lionel sont doués d’une
vitalité exceptionnelle. Combinons ce fait avec une réaction
qui n’est pas si rare dans les tréfonds d’un corps
féminin, réaction peut être induite par l’état émotionnel
de Marion, ou par son abandon inhabituel pendant cette somptueuse étreinte,
voire par un ordre inconscient envoyé par son cerveau titillé par
la remarque antérieure de Jacques, toujours est-il que les
substances chimiques adéquates vont être émises
par ses organes, substances qui vont baigner, engluer puis encapsuler
dans une coquille protectrice une goutte isolée de six millions
sept cent vingt trois mille deux cent trente sept spermatozoïdes,
capsule qui va se lover dans un replis de muqueuse. Sept jours après,
Marion produira un œuf superbe, baignant, lui, dans la substance
qui dissoudra la paroi de la capsule, libérant le frétillant
spermato champion qui viendra le féconder.
Ce qui adviendra de cet embryon n’est que spéculations.
Est-ce que Marion succombera à la tentation de le garder ou
le transformera
t-elle, comme disaient nos anciennes avant la loi Veil, en sous-marin
? Et si elle le garde, avec qui l’élèvera t-elle
? Toute seule ? Avec Lionel, le père biologique qu’elle
n’aimera jamais vraiment ? Ou bien choisira t-elle Jacques
le cynique qui serait un père parfait, elle en sera convaincue
quand elle découvrira que la blonde du rendez-vous n’est
autre que sa fille et que tout ce qu’il fait c’est pour
elle, et en plus elle l’aime, lui ?…
Je ne sais pas, mais j’ai ma petite idée sur la question
et je suis sur que toi aussi, lecteur clairvoyant…
************
La sonnerie du téléphone de Lionel retentit.
-Oui ? Ha c’est toi Jacques… Justement, je viens juste
de terminer… O.K., je descends te l’imprimer et je te
l’apporte…
-C’est Jacques, il veut son rapport, attend moi la, surtout
ne te montre pas, tu sais qu’il n’aime pas te voir traîner
par ici, j’en ai pour dix minutes et on pourra aller se faire
un petit resto si tu veux…
-Vas-y, je t’attend, mais bouge-toi, j’ai un super article
pour demain à écrire et je dois rentrer tôt,
en ne pouvant s’empêcher d’apprécier toute
l’ambiguïté cynique de sa phrase…
Article que je vais te piquer mon pauvre chéri et tu pourras
jamais me le pardonner…Vraiment désolée mais
c’est ta faute, fallait pas te laisser avoir par une garce
de mon acabit, tu étais bien trop benêt pour moi…
A peine son amant est-il sortit qu’elle allume son ordinateur
sans prendre le temps de se rhabiller, nue du nombril aux pieds,
dégoulinante et odorante, superbe et impudique…
Une dernière grosse hésitation, comme elle s’en
veut, elle aimerai tant avoir le courage de renoncer tant qu’il
en est encore temps… Des larmes lui viennent à nouveau,
tombent sur ses cuisse nues puis sur le clavier du portable quand
elle tape ce mot de passe qui démontre si simplement à quel
point Lionel tient à elle, enfin tenait car elle peut déjà en
parler au passé…
Elle pleure sur cet amour si sincère qu’elle va perdre,
elle n’ose penser ‘’pur’’, c’est
trop pénible, mais aussi sur elle même, si endurcie
et si arriviste, monstre capable de sacrifier son affection pour
son Lionel innocent afin d’assouvir ses ambitions si triviales…
Elle pleure mais elle tape les six lettres : M A R I O N.
Ministre amer.
Si l’on doute que l’expression ‘’frétiller
comme un gardon’’ aie du sens, il suffit de voir Jacques
le lendemain matin pour comprendre sa signification.
Il marche allégrement, un sourire constant aux lèvres,
parfois il stoppe, acquiesce doucement en se parlant à lui-même, ‘’excellent,
c’est excellent !’’. Quand il s’arrête à un
feu rouge, il dévisage les passants avec sont sourire extasié qui
lui donne sûrement l’air un peu débile, mais il
n’en a absolument pas conscience. ‘’Ha ! C’est
excellent !’’ declare-t’il à une secrétaire
harassée, boudinée dans un ensemble vert, qui prend
illico un air courroucé. Il zigzague entre des bornes de bordure
de trottoir ‘’excellent’’, s’écarte
en virevoltant sur la pointe des pieds pour éviter un éboueur
qui traîne une benne débordante et nauséabonde, ‘’excellent’’,
slalome entre les passants trop lents, ‘’excellent’’ !
Il a particulièrement soigné son look, il porte un
costard gris anthracite, une copie conforme d’un Kenzo, une
chemise en soie gris perle, des ‘’derby’’ noires
anglaises rutilantes au pied, la barbiche est soigneusement taillée
bien ras, il fleure l’eau de toilette de luxe…Comme
aurait dit sa mère : Un vrai gandin !
Chaque détail de sa tenue a été mûrement
réfléchi, il tient à ne pas ‘’faire’’ flic
pendant le meeting d’aujourd’hui, il veut que sa marginalité au
sein de la ‘’maison poulaga’’ saute aux yeux
de tous…
Il atteint finalement le ministère de l’intérieur,
gravit la volée de marche du perron quatre à quatre…Il
marque un temps d’arrêt devant les portes vitrées,
s’examine de la tête aux pieds dans leur reflet, se compose
une attitude adéquate, genre : je m’ennui ferme mais
pour vous je fais un effort mais il m’en coûte.
Il tapote le ‘’Libé’’ plié qui
dépasse de sa poche comme le ferait un ‘’marshal’’ avec
ses ‘’colts’’ dans un western avant de pénétrer
dans le ‘’saloon’’ rempli ‘’d’outlaws’’ redoutables.
Il entre dans le ministère d’un pas nonchalant, montre
sa carte officielle à l’hôtesse d’accueil.
- J’ai été convoqué à une réunion
avec le ministre…Il utiliserait le même ton s’il
avait été convoqué à la sécu,
ne jamais montrer, si ce n’est pas vital, aucune déférence
pour personne, un autre principe de base ‘’Jacquient’’.
Il est pris en charge par un agent de sécurité qui
le fait traverser un détecteur de métaux, le fouille
de la tète aux pieds et lui confisque son téléphone
portable pour le guider ensuite dans une enfilade de couloirs jusqu’à une
salle de réunion décorée luxueusement. Une grande
table ovale en bois précieux signée par un designer
coté est entourée de fauteuils pivotants en cuir rouge
cerise, au mur sont accrochés des tableaux de maîtres
modernes, un Bacon fait face à un abstrait américain
dont Jacques a oublié le nom.
Tous ses supérieurs sont déjà présents
: son chef direct, le directeur de la PJ, un vrai flic de terrain
qui a gravit tous les échelons policiers pendant sa longue
carrière en basant toute sa progression hiérarchique
sur la discrétion et l’avalage de couleuvre élevé au
rang d’art, le juge Vaqueyras et le préfet en charge
de l’anti-terrorisme, le directeur de la DST, le général
qui dirige la DGSE, plus d’autres têtes que Jacques ne
situe pas très bien et Lionel qui accueille Jacques d’un
grand sourire. Il salue, serre les mains à la ronde…
Jacques a horreur de ça, ce contact imposé lui répugne,
non pas tant le contact lui-même, mais à cause de ce
qu’il a l’impression d’apprendre sur la personnalité cachée
du contacté et qui contredit si souvent la première
impression essentiellement visuelle produite par la personne. Il
préférerait pouvoir s’en tenir à ce que
son interlocuteur cherche à montrer de lui-même, cela
lui semble plus honnête, si quelqu’un veut paraître
dynamique par exemple, pourquoi doit-on se donner la possibilité de
le cataloguer ‘’mou du genou’’ sur une simple
poignée de main ? Il envie les Anglais qui se contentent d’un
simple ‘’hello!’’ non invasif…
Il s’assoit dans un des confortables fauteuils et dévisage
les personnages présents d’un air paisible. Il essaye
de deviner parmi eux lesquels ont déjà lu l’article
de Marion dans Libé qui l’a tant réjouit. Probablement
tous ceux qui affichent une mine sévère ou renfrognée,
quoique pour certain cela puisse être une stratégie
pour avoir l’air perpétuellement préoccupé,
donc sérieux.
Sûrement pas les deux qui devisent agréablement, décontractés,
un peu à l’écart des autres, Lionel et Vaqueyras.
Jacques connaît la cause de cette ignorance de l’actualité par
le juge : il est friand de certains jeux de rôle lors de soirées
spéciales, costumées et masquées ou il se retrouve
déguisé en goret, vautré avec délectation
parmi les déjections des autres participants, puis ‘’préparé’’ pour
un simulacre de mise à mort par des bouchères blondes,
plantureuses et délicieusement brutales, ce qui ne lui laisse
que peu de temps au petit matin pour rentrer se laver dans son studio
discret du vingtième arrondissement et se préparer à endosser
son autre rôle, celui de juge austère chargé de
la lutte anti-terroriste. Quant à Lionel, lire un journal
de bon matin (et peut être même à n’importe
quel moment de la journée), n’est pas une option pour
cet accro a l’image et aux flashs d’infos télévisuels.
Quelle andouille ! Jacques est toujours infiniment reconnaissant
envers ses victimes quand elles se complaisent à étaler
une imbécillité crasse, car cela lui permet d’être
déchargé du fardeau du remord. Il remercie sincèrement
Lionel d’être aussi con ! Il ressent pour lui la pointe
d’affection fraternelle que l’on peut éprouver
pour quelqu’un qui se prépare un inéluctable
spectaculaire cassage de gueule bien comique et qu’on ne saurait
empêcher si on ne veut pas être privé d’une
bonne rigolade.
**********
Le ministre de l’intérieur fait une entrée fracassante,
il ne salue personne, se jette dans son fauteuil et ouvre ses dossiers
sans lever la tête. Ses deux plus proches conseillers s’assoient
autour de lui en fusillant du regard l’assistance silencieuse,
l’un d’eux tient un exemplaire de Libé à la
main.
‘’Wouah ! Ça va chauffer !’’ Pense
Jacques.
Le ministre lève les yeux et attaque, absolument furibard
:
-Messieurs, c’est quoi ce bordel ?
Son conseiller vient d’étaler le journal théâtralement
sur l’immense table.
S’y étale à la une l’article de Marion
qui raconte tous les détails de l’histoire de la vengeance
de Karim.
-Une bande d’incapables tels que vous, messieurs, je pensais
pas que ça pouvait exister ! Vous êtes absolument infoutus
de contrôler vos troupes, car la fuite ne peut évidemment
provenir que de vos services ! Je veux savoir d’ou ! Il me
faut des têtes à couper, je veux celle du coupable et
de ses chefs sur mon bureau ! Ils vont me le payer !
Jacques fait le tour de l’assistance pour voir l’effet
produit par les paroles du ministre. Chacun s’efforce de prendre
l’air le moins concerné possible, on dirait une scène
de film. Le plus drôle c’est que Lionel ne semble toujours
pas réaliser ce qui lui pend au nez ! Jacques savoure en expert
le piment de la situation…
Le ministre s’adresse à lui sèchement :
-Marchand, c’est ça ? C’est bien vous qui avez écris
ce rapport final, non ? Vous avez une explication ?
Jacques se racle la gorge avant de répondre, note l’air
soulagé et pas mécontent de la plupart des présents
qu’il soit lui, le marginal, sur la sellette.
-De manière manuscrite, monsieur le ministre, j’écris
tous mes rapports à la main, à l’ancienne, je
suis trop vieux pour apprendre l’informatique, je suis totalement
fâché avec ces machines…
-Alors, qui a tapé votre rapport ?
J’ai demandé à mon collaborateur de l’anti
terrorisme sur cette enquête, le commissaire Raymond (il désigne
Lionel), de le synthétiser et de le mettre au propre à partir
de mes liasses de notes, c’est un vrai pro dans ce domaine.
Le ministre se tourne vers Lionel.
-Alors ?
-Tout ce que j’ai fait c’est taper ce rapport, monsieur,
et puis je vous l’ai fait parvenir directement…
Jacques est sidéré : Lionel n’a toujours pas
compris, ou alors il peut intégrer l’Actor’s Studio…
-N’importe quoi ! J’ose espérer que vous n’insinuez
pas que la fuite puisse venir de chez nous ? La fuite a obligatoirement
eu lieu avant que le rapport ne parvienne au ministère, mes
collaborateurs sont au-dessus de tout soupçon, c’est
chez vous qu’il faut chercher ! Cette journaliste, cette …coup
d’œil à Libé…Marion Bartoli, quelqu’un
la connaît ?
Jacques se tourne vers Lionel histoire d’admirer sa mine enfin
décomposée et être sur de focaliser toute l’attention
sur lui…Il bafouille :
-Ben…heu!…
Le ministre bondit :
-Quoi ? Vous la connaissez ?
-Heu! Oui, c’est une…amie…
La, ricanement et moue appuyée de Jacques pour signifier : ‘’Ben
mon cochon, si c’est ça ta définition de l’amitié…’’
Le ministre capte parfaitement le message.
-De quel genre d’amie on parle au juste ? Hein ?
-Ben…disons…un peu plus qu’une amie…
Le ministre explose dans une crise de fureur intense :
-Putain de merde, mais vous vous la tapez ?! C’est ça
? Vous couchez avec cette journaliste ! Vous êtes complètement
con ou quoi ?
Il s’en prend ensuite au juge Vacqueyras.
-C’est ça vos super cadors de l’anti-terrorisme,
Vaqueyras ? Vous étés allé le pêcher ou,
un abruti pareil ? Vous allez morfler, Vaqueyras, faites-moi confiance,
vous allez finir votre carrière aux affaires familiales à Privas
! Je vais démanteler votre service de nullards ! Quant à vous,
Lionel, préparez vos valises, adieu la vie parisienne, il
y a un poste vacant à Longwy, vous allez pouvoir vous prélasser
sous le soleil lorrain !
Et ça continue encore et plus. Rien ne semble pouvoir apaiser
le courroux ministériel, tout le monde en prend pour son grade,
seul Jacques est relativement épargné par sa vindicte.
Il se calme un peu chaque fois qu’il lui adresse la parole…Pourtant,
Jacques préférerait lui aussi se faire un peu taper
dessus pour ne pas risquer de se faire suspecter de lècheculisme
par ses collègues, mais apparemment il a la cote. Il est même
félicité pour la qualité de son travail…
Puis le ministre change de sujet, sans quitter son ton hargneux.
-A part ça, Vaqueyras, vous avez même pas été foutu,
avec vos cow-boys, d’arrêter cet Omar, il vous a filé entre
les pattes sans aucune difficulté, mais vous etes payés
pour quoi, au juste ? Hein! ? C’est pareil pour la DST, d’ailleurs, à quoi
vous servez ? Il questionne un grand quinquagénaire empâté qui
sue à grosses gouttes…
-La même mention pour votre service, il continue en désignant
un général à la gueule déformée
par une cicatrice effroyable, le patron des services secrets de la
DGSE.
-Pourtant, nous aurions bien eu besoin de mettre la main sur cette
ordure, l’opinion publique ne va pas nous pardonner de l’avoir
laissé filer, et je vous rappelle que les élections
sont dans moins d’un an.
Je me doute que personne ne va proposer une idée intelligente
pour nous permettre de le capturer ?
Un silence pesant lui répond, même s'ils avaient une
idée, ils n’oseraient l’avancer de peur de proférer
une connerie…
Jacques laisse passer quelques secondes et se lance avant qu’il
n’y en ait un qui se décide à l’ouvrir.
-Moi, j’ai peut être une idée…
-Allez-y, vous semblez être le seul doté de neurones
parmi ces débiles…
-Cela ne pourrait marcher que si nous sommes très peu dans
le secret, je préférerais vous en parler en tête-à-tête.
***********
Jacques sort du ministère, marque une pause sur le perron,
respire l’air frais. La température s’est relevée
en cette fin de matinée, le soleil resplendit sur la capitale.
Il est comblé. Il récapitule, ravi, content de lui
et de sa vie…
Il a pourri durablement la vie de Vacqueyras et de Lionel, c’est
déjà un grand motif de satisfaction qui devrait maintenir
son moral au beau fixe pour plusieurs jours.
Il a tenu la promesse faite à Fifille, maintenant que toute
l’histoire est dévoilée, elle va pouvoir écrire
son bouquin sans entraves.
Il a conçu un plan d’enfer, vicieux et pervers, totalement
Jacquient, donc imparable, pour réussir à capturer
Omar. Il en est d’autant plus fier que celui la, il l’avait
pas préparé, il lui est venu spontanément pendant
le meeting, de la pure impro inspirée.
Surtout il a, pense t-il, créé les conditions idéales
pour commencer une aventure passionnante avec Marion. Il a déjà envie
de la revoir, mais il sait qu’il ne doit pas brusquer les choses…Il
va lui laisser quelques heures pour lui laisser le temps de le rappeler
en premier. Il ne doute pas un instant qu’elle le fera…
En attendant il se taperait bien un bon resto tunisien, toute cette
histoire remplie d’Arabes lui a donné des envies de
couscous !
Après ça il ira faire un tour au hammam de Farida,
une grande et belle Kabyle, forte comme un homme, qui sait te masser
le dos d’une poigne de fer…Elle sait aussi, pour quelques
privilégiés dont il fait partie, grâce à quelques
services rendus, finir ses massages plus suavement, son corps géant
et souple étant aussi capable de devenir infiniment doux et
enveloppant…
Il descend les marches avec le sentiment de profonde satisfaction
du travail bien accompli.
Epilogue.
Omar est heureux…
Les chaos de la piste qui secouent le vieux 4x4 le bercent, l’odeur
de la poussière soulevée par les roues emportée
par le vent chaud, le soleil écrasant qui rend la carrosserie
brûlante, tout l’enchante…De retour au pays, enfin…
Cela fait deux bonnes heures qu’ils roulent ainsi dans le désert,
plus très loin de la frontière Soudanaise, dans le
grand sud Egyptien.
Ses compagnons de voyage subissent stoïquement les soubresauts
de la Toyota, ils ne parlent pas ou somnolent, indifférents à la
beauté de ce paysage désolé, qui émeut
pourtant tellement Omar.
Il déguste sa présence en ces lieux comme une récompense,
la juste rémunération du travail accompli.
Cela fait des semaines qu’il voyage, depuis qu’il a pris
la fuite après l’attentat de Paris. Pour arriver jusque
ici il a du suivre un périple fastidieux qui l’a mené par
la Belgique et la Hollande en voiture, façon passeur de drogue,
avec une première auto pour ouvrir la route et prévenir
en cas de contrôle inopiné devant celle transportant
Omar, puis par bateau jusqu’en Pologne. Ensuite il perd le
souvenir de tous les pays de l’Est traversés successivement
avant d’arriver en Turquie, avec seulement une dernière
frontière à franchir à pied, par la montagne
et de nuit pour se retrouver en pays ‘’amis’’ et
voyager plus librement, sans avoir à se terrer de planque
en planque ou caché à l’arrière d’un
camion sous un chargement de légumes.
Omar revient à la piste. Dans le lointain quelques reliefs
apparaissent, pour le moment de simples taches foncées sur
la ligne d’horizon.
Il leur faut encore plus de trois quarts d’heure pour atteindre
la petite oasis nichée au milieu des énormes blocs
de basalte. Quelques constructions s’abritent du soleil implacable
sous les palmiers abreuvés par une source d’eau claire.
Les baraquements sont en bon état, bien entretenus, gardés
par des hommes barbus en costume traditionnel, armés de kalachnikovs.
Pourtant, on ne ressent aucune tension, au contraire, leur allure
est plutôt relâchée, nonchalante, le camp est
si isolé qu’il n’y a aucune nécessité de
grande vigilance.
Omar saute de la voiture, pressé de fouler le sable du ‘’Camp
11’’
d’ Al Quaida, ou il a passé les plus belles années
de sa vie à suivre l’intense entraînement pour
devenir un Soldat de Dieu…
Il se jette à genoux, transporté par un bonheur intense,
enfouit ses mains dans le sable fin, chaud et sec, le laisse couler
entre ses doigts, remercie d’une prière fervente le
Tout Puissant Miséricordieux de lui avoir permis de revenir
sain et sauf dans cet endroit bénit…
-Omar, te voilà enfin, dépêche-toi, le Cheik
veut te voir…
Omar lève les yeux. Yacine, un de ses plus vieux compagnons
d’armes, un ami, un frère, se tient devant lui et l’observe
sans aménité…
-Yacine mon frère, c’est comme ça que tu m’accueille
?
-Nous sommes pressés, Omar, le Cheik veut te voir sans délai,
bouge-toi !
Le ton froid, l’expression dure et distante de son ami alertent
Omar. Quelque chose cloche…L’inquiétude lui déclenche
une pointe de migraine, tout à coup il trouve la chaleur étouffante,
l’air brûlant irrespirable…La sueur envahit son
front, degouline de sous ses aisselles, entre ses cuisses et ses
fesses grasses…Il est sincèrement surpris par cet accueil
glacial, rien ne l’y a préparé. Jusque-la, il
a été au contraire traité avec égards
et respect partout sur son passage et il ne comprend absolument pas
ce qui pourrait justifier un changement aussi brutal d’attitude
envers lui.
Yacine le précède dans un grand bâtiment sombre
qui sert de salle de cours.
Trois personnages barbus à l’air sévère
sont assis au centre des banquettes couvertes de tapis qui entourent
la pièce, deux vieux à barbes blanches et un beaucoup
plus jeune. Des gardes armés à l’air pas commode
referment les lourds vantaux de l’unique porte d’entrée,
empêchant toute retraite. Ils forcent sans ménagement
Omar à s’agenouiller au centre de la pièce. La
seule lumière qui éclaire la pénombre fraîche
est celle dispensée par des petites ouvertures minimales percées
régulièrement dans les murs épais.
Omar ne reconnaît que le vieillard à sa gauche, un de
ses anciens instructeurs quand il faisait ses ‘’classes’’ au
camp. C’est lui qui lui adresse la parole.
-Omar, je te présente Cheik Farouk qui supervise le secteur
Action Europe et le Mollah Ben Ali qui dirige tout nos réseaux
internet. Ecoute-les attentivement.
Le Cheik prend la parole. Omar est terrifié par son regard
haineux et son expression de colère intense.
-Omar, nous sommes un mouvement clandestin pourchassé par
tous les services secrets de la planète. Cela signifie que
nous devons nous cacher, ruser, mais cela ne veut pas dire que nous
ne sommes pas informés de ce qui se passe dans le monde et
que l’on peut nous cacher quelque chose très longtemps,
nous aussi savons utiliser Internet…
En disant cela, il se penche vers son voisin qui acquiesce gravement.
-De plus nous sommes des militants, des soldats, nous nous battons,
nos plus jeunes sacrifient leur vies pour que la vrai foi se répande,
pour que la force morale du Très Haut s’impose dans
le monde, que la corruption et la turpitude en soient chassées à jamais…
Le vieux fulmine maintenant, sa voix vibre de colère, il s’est
dressé, dominant Omar, scandant ses paroles d’un doigt
accusateur…
-…Et toi, Omar, maudit porc lubrique, répugnante raclure
de chiotte, crachat purulent, tu nous a trahi…
-Mais, mais non…j’ai toujours servi…
Un des gardes, sur un geste du cheik, interrompt Omar d’un
coup de crosse sur la bouche. Il gémit de douleur, pompe le
sang qui sourd immédiatement de sa lèvre éclatée
avec sa manche.
Le plus jeune barbu déploie un ordinateur portable et tourne
l’écran vers Omar :
-Regarde, chiasse de cholera…Il appuie sur une touche.
Omar découvre avec horreur sur un film porno, manifestement
amateur mais d’une incroyable netteté, un ‘’acteur’’ flouté mais
dans lequel il se reconnaît immédiatement en train d’engloutir
avec compétence dans sa bouche dilatée à l’extrême
la belle queue surdimensionnée de Karim.
-Voilà ce que les autorités Françaises ont diffusé sur
la toile, tu as quelque chose à rajouter ?
Omar baisse la tète, se courbe vers le sol…Il s’effondre
intérieurement, non il n’a plus rien à rajouter…Il
n’a plus la force ni l’énergie pour réagir
ou protester, à quoi bon ? Il va payer pour expier ses fautes,
c’est dans l’ordre des choses, par avance il accepte
déjà son châtiment. Il vient de descendre un
palier, il sait qu’il va devoir en descendre encore quelques
uns puis ce sera la fin…Cette perspective le calme, il n’est
plus que renoncement, il oscille doucement les yeux clos, il laisse
maintenant son sang couler sur son double menton, goûter sur
son gros ventre, imprégner une tache rouge sur sa chemise
en coton.
-Gardes, relevez-le…
Ils le forcent à se redresser en le lardant de coups secs
du canon de leur pistolet mitrailleur.
Le Cheik reprend.
-Pourtant, Omar, malgré l’abomination de tes actes,
la providence doit veiller sur toi car j’ai deux bonnes nouvelles à t’annoncer…
Omar ne comprend plus rien, ironiser ne semblant pas compatible avec
le style austère de son accusateur…
-Les Français n’ont laissé filtrer qu’une
toute petite partie du film et ils menacent de révéler
en ligne la totalité de tes exploits, sans floutage cette
fois, et ça nous ne pouvons nous le permettre ! Nous perdrions
toute crédibilité si nous laissions ces images épouvantables être
associées au mouvement ou à ses militants, nous ne
pouvons prendre le risque de laisser croire que Al Quaida héberge
en son sein des fornicateurs invertis qui se vautrent dans une telle
débauche !
Il se sert un verre de thé parfumé pour faire une pause
et calmer son dégoût
-Nous avons décidé à contre cœur d’accepter
le marché que les Français nous proposent et de te
livrer à leurs services secrets en échange du film,
donc tu vas sauver ta tète…
Omar panique :
-Non, pas ça, je veux pas finir mes jours en prison, j’ai
fauté et je mérite d’être puni, mais je
préfère mourir ici, dans mon pays, j’ai toujours
servis la cause, je mérite bien ça…
Farouk le coupe.
-Tais-toi, déchet de menstrues de hyène, tu ne mérite
rien ! La deuxième bonne nouvelle pour toi c’est que
tu vas pouvoir assouvir ta passion pour les zobis bien durs ! Les
autorités Françaises nous ont promis de te réserver
un traitement de faveur en regroupant en détention avec toi
tous les pires pervers, les plus grands dépravés psychopathes
des prisons françaises ! Alors, heureux ?
Tu vas partir pour le Soudan qui est un pays spécialiste des
accords tortueux avec l’occident, rappelle-toi de ce qui est
arrivé à Carlos, mais avant tu vas avoir droit à une
petite fête d’adieu !
Il se lève, suivi de ses deux assesseurs. Il s’arrête
devant Omar et lui crache dessus.
-Emmenez cette merde !
Ils sortent…
**********
Omar a conscience d’être traîné sur le
sol puis jeté sans ménagement sur un sol dur et métallique.
Il n’est plus que douleur. Ils l’ont torturé pendant
des heures, n’épargnant aucune partie de son corps.
Pourtant il n’a aucune plaie visible, les barbouzes Français
ont exigé qu’il leur soit livré en bon état
apparent.
Alors ils se sont acharné sur lui avec de l’eau, des
coups de tapis roulé, de bâton sur la plante des pieds,
ils lui ont enfoncé des aiguilles dans toute les parties sensibles
du corps, dans les doigts, les orteils, le sexe, les gencives. Ils
l’ont électrocuté en dessinant des lignes conductrices
sur sa peau avec de la saumure…
Le sol se met à tressauter sous lui, il comprend qu’il
est dans un fourgon qui vient de démarrer. Il sombre dans
le néant.
Il reprend à demi conscience. Le fourgon roule toujours sur
une mauvaise piste, chaque chaos le foudroie de douleur. Il parvient à se
tourner pour essayer d’exposer une autre partie de son corps
aux chocs. Le confort relatif ainsi gagné lui procure pour
un temps une incroyable détente. Sa pensée délirante
erre vers son futur…Des images de viol collectif, certaines
confuses, d’autres au contraires extrêmement précises
défilent dans son cerveau enfiévré . Il voit
des dizaines de sexes dressés prêts pour le pénétrer.
Il commence à bander…
FIN.
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