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Un peu de fureur dans un monde de brutes.

écrit par Georges Quivole

Un peu de fureur dans un monde de brutes

Boum !

Louis Chevrier promène avec son chien. Il n’aime pas le terme : ‘’promener son chien’’, qui ne reflète en rien la réalité de sa balade quotidienne avec Batman, un étrange chien noiraud, court sur pattes, trapu, baveux et un peu répugnant, bâtard de bouledogue et de bull-terrier.
D’abord, celui-ci est bien trop costaud pour que Louis, grand vieillard décharné, puisse lui imposer, s’il lui en prenait l’envie incongrue, le moindre itinéraire prémédité; ensuite, la complicité entre ces deux-la est bien trop grande et leur plaisir de déambuler ensemble bien trop partagé pour qu’il puisse subsister la moindre notion de corvée dans cette promenade.
Cela fait bien cinq ans qu’ils se connaissent et qu’ils ne se quittent plus.
Louis était assis sur un banc du square Jean Jaurès en ce beau matin agréable de printemps pour mater les cuisses généreusement découvertes des passantes et surtout des mamans qui, débordées par leurs progénitures surexcitées, dévoilaient souvent des points de vue fascinants sur des dessous minimaux.
Louis pouvait se permettre ce plaisir sans crainte de réactions courroucées
car vu ses 89 ans bien sonnés, il aurait fallu être bien suspicieux (se) pour déceler la moindre concupiscence paillarde dans le regard paisible de ce beau vieillard, si aimable et si distingué.
Puis ce clébard moche est apparu, reniflant et furetant de-ci, de-la, soufflant fort, l’air de savoir ce qu’il cherchait sans parvenir à le trouver.
Louis s’était amusé à suivre son manège, puis le chien avait fini par se désintéresser de sa quête infructueuse, s’approchant de Louis.
Après avoir consciencieusement reniflé son pantalon, Batman avait sauté sur le banc d’un bond étonnamment leste vu la corpulence de la bête, puis s’était couché avec un soupir d’aise, son regard confiant tourné vers Louis.
Quand il quitta son banc, Batman se leva pour le suivre, si naturellement que Louis n’envisagea même pas de protester.
Depuis ils se tenaient mutuellement compagnie. Louis s’amuse de penser que Batman dont il ignore l’age exact, doit commencer à se faire vieux lui aussi, et qu’ils seront bientôt à égalité, en age équivalent chien/humain, bien que Batman ne donne aucun signe de sénilité.
De fait, Louis aussi, à 94 ANS, ne semble pas mal en point. En fait personne ne pourrait deviner son age. Il est assez grand, 1m80, dans ses jeunes années c’était même exceptionnellement grand, mais la stature générale des Français a tant augmentée au fil des générations, surtout après guerre que Louis est aujourd’hui juste un peu au dessus de la moyenne. Il a particulièrement bien perçu le phénomène, tout au long des années passées à enseigner la sociologie à des générations d’étudiants toujours plus grands en taille mais, hélas, aussi étroits d’esprit.
Il se tient bien droit, marche d’un pas assuré, il a conservé une chevelure fournie, impeccablement taillée.
Il est toujours vêtu avec recherche de beaux costumes de luxe, amples et soyeux, flottants autour de son grand corps décharné encore solide mais si léger.
Il n’a jamais été bien gras, mais sa minceur est maintenant extrême, comme si son corps était devenu une machine à durer, éliminant toute masse superflue, trop coûteuse en dépenses énergétiques. Pourtant, il mange avec appétit mais des portions de plus en plus réduites au fil des années.
Il se sent en forme, sa pensée est vive, sa mémoire excellente, enfin c’est l’impression qu’il en a, vu que les visites familiales comme pour tous les vieillards sont rares, et que les conversations avec Batman sont quand même limitées.
Il se souvient avec précision des moindres détails de sa vie bien remplie, de son enfance si lointaine…
Il est né pendant la ‘’grande guerre’’ dans un petit village du sud-ouest, d’une mère très jeune, douce et jolie, mariée de force par des parents incultes à un riche paysan deux fois plus vieux qu’elle, évidemment alcoolique et brutal, qui la battait et la violait, un être pervers incapable d’éprouver le moindre désir sans torture ni humiliation.
La conscription générale l’avait délivrée temporairement du tyran, Louis croit se souvenir de la joie de sa mère à chaque report de permission de son mari.
Louis n’a qu’un très vague souvenir de son père, de son prénom (Fernand, Ferdinand ?) ou de son allure, mais il se souvient précisément de la haine et du dégoût que lui procurait cet être abject qui terrorisait sa mère adorée.
Alors qu’il avait réussi à survivre à l’hécatombe sans une égratignure, Fernand-dinand s’était tué comme un con en fêtant la victoire : bourré comme une outre il avait voulu jongler avec des grenades, l’une d’entre elles en tombant s’était dégoupillée en s’accrochant malencontreusement à sa ceinture. Consécutivement, Fernand-dinant avait retapissé les murs du bordel de campagne avec ses tripes et divers débris organiques imbibés d’un mélange de gnole de prunes et d’éthanol frelaté, éborgnant et démembrant au passage les deux malchanceux potes qui avaient eu la malencontreuse idée de l’accompagner.
L’annonce de sa mort avait été vécue comme une délivrance par sa femme.
Louis ne l’avait jamais vue aussi heureuse. Elle chantait, dansait en le prenant dans ses bras, le couvrait de câlins. « Tu vas voir comme on va être heureux juste toi et moi, moi et toi, que nous deux… »
En plus, le rustre laissait derrière lui un domaine agricole conséquent dont la vente rapportât une petite fortune à sa mère, après une période de deuil minimale pour ne pas trop choquer les mentalités archaïques des campagnards de l’époque.
Elle réunit son magot et s’évada de cet environnement rural. Elle s’établit à Bordeaux dans un beau logement confortable et elle reprit ses études pour devenir professeur de français. Son statut de veuve de héros de guerre éplorée lui conférait un vernis de respectabilité bien commode. En réalité, sa nouvelle indépendance révéla très vite une femme au tempérament volontaire, forte et progressiste, moderne, sensibles au idées les plus libérales de l’époque, et bien décidée à ne plus jamais dépendre de personne et surtout pas d’un homme.
Louis bénéficia de toutes les qualités de cette mère exemplaire puis de la douceur de ses deux petites sœurs qui naquirent à la suite d’aventures amoureuse de Simone (sa mère, un joli prénom oublié que j’aime bien), avec une ribambelle d’amants toujours mariés pour limiter les risques de trop grandes implications sentimentales, amants qu’elle sélectionnait avec soin sur des critères essentiellement esthétiques, n’ayant que l’embarras du choix car la jolie jeune fille était devenue une femme éblouissante en mûrissant.
Louis adorait sa mère, adorait ses sœurs qui le lui rendaient bien. Il avait vécu comme un roi, choyé et dorloté par ces femelles délicieuses.
Ses études avaient été raisonnablement brillantes, sans être exceptionnelles.
Il était agrégé de littérature et de philosophie, socialiste et libertaire, révolté par la montée des régimes réactionnaires en Europe.
C’est tout naturellement qu’il rejoignit les brigades internationales qui combattaient les troupes de Franco pendant la guerre d’Espagne.
Il aima cet engagement, il se découvrit homme d’action lui qui avait tout les traits de l’intellectuel tranquille. Il prit plaisir au combat, flingant le fasciste sans remord, l’athéisme radical inculqué par sa mère et développé pendant ses études au contact du bouillonnement anar de l’époque lui permettant de ne pas s’encombrer de remords ou d’interrogations métaphysiques superflues. Il haïssait les fachos et trouvait salutaire de contribuer à en faire disparaître le plus possible de la surface du globe.
Du coup il rempila sans hésiter dans la résistance en 40, après une courte expérience comme enseignant de philo à la fac de Bordeaux.
Voilà, lecteur, je pourrais parler encore longtemps de Louis pour lequel, tu l’as compris, j’éprouve une sympathie exponentielle.
Je pourrais te narrer sa remarquable carrière de prof à la Sorbonne, mentionner ses pertinents ouvrages de recherches en sociologie, philosophie, politique, conter ses voyages, raconter sa vie intime, ses femmes, parler de ses goûts, de son amour de Paris, de sa famille, de sa Maman vénérée morte plus que centenaire il n’y a pas si longtemps, on voit de qui il tient sa longévité.
Il a eu des enfants le Louis, sans jamais se marier mais sans jamais abandonner personne non plus, fidèle en amour quand on lui était fidèle, dévoué pour ses proches, généreux et tolérant, comme sa mère et ses sœurs d’ailleurs, des femmes libres et fortes qui ont vécu elles aussi des vies captivantes.
J’adorerais avoir le temps et la place pour m’attarder avec cette famille hors du commun et ce personnage remarquable, hélas ce n’est pas la vie de Louis, mais sa fin et son impact, son retentissement, ses conséquences qui sont incontournables pour la suite de cette histoire.
Sa présence au début de ce récit est indispensable mais malheureusement pour lui anecdotique.

Donc, Batman et Louis se promènent, l’un tirant l’autre par sa laisse, mais pas trop fort, comme si Batman percevait (et après tout, pourquoi pas ?) la fragilité de son gentil compagnon humain.
Batman, comme la plupart de ses congénères est un obsédé sexuel, mais quasi vierge, va t’en trouver avec une gueule pareille un maimaitre qui te laisserait niquer sa chienchienne, et les ‘’errantes’’ ont depuis longtemps disparues de nos rues, des males on en voie parfois encore, mais des chiennes plus jamais tu l’auras sans doute noté, lecteur observateur.
Par conséquent, l’itinéraire imposé par Batman n’est déterminé que par l’intensité des traces olfactives canines et femelles qu’il découvre, la truffe calée à cinq millimètres du sol, ceci est d’une importance capitale pour la suite.
Louis se laisse trimbaler avec plaisir, il n’est pas fixé sur un trajet, il apprécie tout ce qu’il voit et entend, le beau et le moche, la quiétude ou le vacarme.
Cette commune de la proche banlieue parisienne a tellement changé depuis qu’il y demeure. Il y possède un pavillon charmant des années vingt, jalousement conservé dans son état d’origine, mal isolé, décrépi mais doté de la plus belle des tonnelles, couverte d’une antique glycine qui embaume le quartier au printemps et fait l’admiration des voisins.
Il l’a acheté à une époque ou les banlieues avaient encore une âme, petites villes presque provinciales à deux pas de la capitale, chacune dotée d’un style propre, plus ou moins industrielles, artisanales ou commerçantes, ouvrières ou bien bourgeoises. Louis a observé les changement au fil des générations, la disparition des métiers, des commerces, la dégradation du tissu social. Il sait que les façades cachent aujourd’hui tout un monde de misères diverses, des familles entassées dans des taudis insalubres, enrichissant des vendeurs de sommeil sans scrupule, il voit les trafics, la précarité des habitants nouveaux, rejetés au delà du périphérique par la spéculation immobilière, qui ne le refranchissent que pour aller se faire exploiter dans des boulots sans débouchés pour satisfaire les besoins de services des parisiens aisés…
Mais tout n’est pas moche dans cette ville et Louis jubile quand, comme aujourd’hui, Batman le traîne en direction de la magnifique basilique gothique qui trône majestueusement au centre de la ville et qui abrite les tombeaux de dizaines de rois et de reines, de princes et autres illustres qui ont fait l’histoire de France.
Louis n’est pas très sensible à la partie nécropole de l’édifice mais il adore le gothique et la il est servi. Quelle splendeur ! Lui pourtant si athée est extrêmement sensible au mysticisme bien « orienté » qui a permit à des humains d’exprimer tant de génie, individuel mais aussi (et surtout, pense Louis) collectif pour réaliser un tel chef d’œuvre. Il connaît le monument par cœur, sait tout sur l’histoire de sa construction, des techniques employées, du sens caché de ses ornements si peu catholiques.
Maintenant il s’éloigne de l’église, toujours traîné par Batman qui zigzague sur le large trottoir de l’avenue principale de la ville.

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Léa glandouille sur son banc. Elle s’ennuie ferme. Elle sent que ce mercredi sera encore à chier. Elle est venue la, sur l’avenue, pour voir un peu les gens, traîner devant les boutiques, tout sauf rester à la baraque. Elle supporte plus l’odeur de son gros porc de père, vautré devant la télé toute la journée, fumant et rotant, buvant bière sur bière. Il est tellement crade, ne se lave jamais et il est violent en plus le connard ! Léa ne compte plus les coups qu’elle a encaissés dans sa courte vie, pas autant que sa mère qui, elle, dérouille quotidiennement, mais quand même, elle ne pourrait se souvenir d’un jour sans hématome sur son corps frêle. En plus elle vient d’avoir onze ans, commence à se féminiser un peu et elle a bien compris la signification des regards concupiscents qu’il commence à porter sur elle. L’idée de ce qu’elle risque à la maison la terrifie, alors elle préfère traîner dans la rue, au moins tu y voie venir le danger de loin, croie t’elle. Elle espère qu’une copine ou deux va rappliquer histoire d’aller piquer un truc quelconque dans une boutique pour s’occuper, mais elle a nitraté son forfait de portable et ne peut pas les appeler, marcher pour les chercher n’est même pas une option car elle est un pur produit de ce nouveau monde étrange ou le vrai handicapé est dorénavant le ‘’sans ondes’’, mais ne nous égarons pas.
Donc elle traînera dans la rue jusqu’au soir, la Léa, pour ne rentrer que quand sa mère terminera sa journée de travail de « technicienne de surface », c’est à dire femme de ménage, au supermarché local.
Bref, la petite Léa a une vie de merde, comme tant d’enfants de ces lieux défavorisés, et ce n’est qu’un début, soit prévenu lecteur compatissant.

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Pamela Watson adore l’Europe, la France, sa cuisine, ses French Lovers, sa culture, son histoire, ses monuments et tout particulièrement les églises gothiques qui lui procurent des émotions misthico-orgasmiques, délicieuses et complexes, provoquées par la beauté des lieux mais aussi leurs ancienneté, leur intemporalité, qui fascinent cette femme sensible venue d’un pays qui se fout de la pérennité comme des accords de Kyoto.
Pamela est une grande et belle Américaine blonde presque svelte de 96 kilos (ce qui n’est pas excessif dans ce pays d’obèses) de Jersey City, dans le New Jersey, dont le grand plaisir est de dilapider la fortune confortable héritée de son mari Ronald, gros concessionnaire de voitures européenne de luxe, mort prématurément à quarante deux ans d’une cirrhose fulgurante, conséquence prévisible d’un goût immodéré pour le bourbon et de l’absorption des poisons variés dont Pamela farcissais son breuvage favori, histoire de se donner les moyens de réaliser ses envies d’émancipation, ses rêves de voyages et de combler ses aspirations culturelles.
Pamela adore rapporter de ses périples des heures de films numériques dont elle fait profiter la petite communauté de ses amis.
Heureusement pour eux, Pamela qui rêve de devenir une vraie pro, est plutôt douée et ses filmes sont bons, bien cadrés, bien montés, pas les insupportables défilés d’images insipides et tressautantes des habituelles vidéos de vacance.
A ce moment précis par exemple, elle s’est éloignée de la cathédrale qu’elle a déjà filmée sous tous les angles, zoomant sur chaque détail intéressant signalé par ses guides. Elle a choisi de shooter un large plan d’ensemble de la rue principale avec le monument en toile de fond. Elle adore capturer des ambiances, surprendre les habitants dans leurs activités habituelles, dénicher des personnages pittoresques pour pimenter ses scènes de vie locales.
Elle filme la totalité de cette avenue semi-pietonne, tranquille en cette heure creuse de la matinée, au maximum de grossissement d’un énorme téléobjectif qu’elle a rajouté à sa camera. Cela écrase la perspective, les personnages les plus éloignés paraissant presque aussi grands que les plus proches, leurs mouvements latéraux devenant beaucoup plus perceptibles que leur éloignement ou rapprochement.
Au premier plan, assise sur le dossier d’un banc, cette préadolescente à l’air morose et renfrogné mais au regard intelligent l’a séduite d’emblée, mais le plus beau de la scène est sans conteste ce superbe vieillard si digne traîné par ce chien hideux,truffe collée au sol, qui progresse de manière erratique vers la camera de Pamela et c’est du plus bel effet ce binôme improbable donnant l’impression de danser sur place un espèce de génial ballet comique involontaire, d’un coté à l’autre de l’écran.

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Batman est heureux, d’un bonheur de chien, bien sur, mais intense.
Il vient de repérer parmi des centaines de traces olfactives entremêlées les effluves enivrantes de Rosalie, une épagneule non stérilisée en pleine maturité sexuelle et présentement incontestablement en chaleur.
Alors, espère qu’il est hors de question de perdre la piste de la coquine !
Il lui faut impérativement trouver l’endroit ou elle aura déposé cette flaque enchantée qui lui garantira plusieurs heures de réserve d’excitation pour se procurer de superbes érections longuement léchées d’une langue experte, affalé sur son tapis préfère dans un coin du salon.
Son gentil maître vénéré actuel ne se formalise jamais de ces pratiques onanistes, contrairement aux précédents, un couple d’humains qui sentaient mauvais (le savon) et qui le punissaient d’un coup de martinet pour chaque coup de langue en dehors de sa gamelle.
Le jour ou ils l’ont oublié dans un parc, il n’a même pas essayé de retrouver ces aseptiques, trop heureux de pouvoir vivre à sa guise.
C’est juste après le commissariat de quartier, en contrebas des trois marches qui font office de perron, qu’il trouve la petite mare de pipi encore fraîche.
Batman se jette le mufle contre le sol, frotte la gueule à droite, à gauche, léchouille un peu, s’en repasse une couche sur les flancs, son zizi tout rose darde éperdument, c’est l’extase !

Louis attend stoïquement, secrètement réjouit de l’air réprobateur des rares passants

Et le commissariat explose !

Pour décrire la suite de l’action nous allons devoir décomposer des événements simultanés ou qui vont se succéder en quelques centièmes de seconde.
Le commissariat était un cube moche de cinq étages des années soixante-dix en béton de qualité médiocre, mal construit au rabais par une entreprise incompétente mais amie du politicien responsable de l’attribution du marché public du chantier de construction de l’édifice, à l’époque.
La mauvaise qualité du bâtiment va entraîner son effondrement total ayant pour conséquence d’achever les victimes encore vivantes de l’explosion.
Mais avant cela la totalité du mobilier est pulvérisée par la déflagration, et plus particulièrement un bureau métallique de confection robuste, qui est déchiqueté en débris irréguliers projetés dans toutes les directions.
L’une de ces tôles, soufflée et propulsée à 587 km/h par l’expansion des gaz,
franchi la porte du commissariat, ricochant au passage sur un des montants
qui la fait dévier de sa trajectoire initiale en lui imprimant un mouvement giratoire de plusieurs dizaines de tours par secondes, stabilisant son vol à l’horizontale, un peu à la manière d’un frisbee.
Au même moment, Batman, indemne grâce à la protection efficace des trois marches du perron qui le masquaient, bondit en avant, détalant comme un missile de toute sa puissance en entraînant Louis avec lui, qui, n’étant pas exactement dans l’axe de la porte au moment de l’explosion, n’était sur l’instant que victime d’une projection de petits débris qui venaient de s’incruster dans son dos et d’une implosion simultanée de ses vieux tympans fatigués.
Hélas pour Louis, sa course derrière son chien lui fait croiser la trajectoire de la tôle tournoyante, qui le rattrape exactement à hauteur de son cou délicat sous l’angle idéal pour le guillotiner proprement et sa pauvre tête part rouler sur le trottoir avec une expression sidérée.

Léa qui s’est naturellement tournée vers l’explosion assourdissante, voit surgir, courant dans sa direction et tenant en laisse un chien immonde, un grand corps sans tête, surmonté d’un geyser de sang. Elle pousse le plus abominable hurlement de terreur avant de sombrer dans la folie, dont elle ne ressortira que très lentement à l’age adulte, réussissant pour un temps à mener une vie à peu près normale, jusqu’à ce jour funeste ou on la retrouvera assise à coté d’un amant violent fraîchement décapité, un sourire narquois au lèvres et le regard halluciné, répétant ces mots en boucle :
« Alors, tu vas plus nulle part, maintenant, connard hein ? Tu vas plus nulle part… »
Le corps de Louis qui courrait par réflexe comme un canard étêté à l’ancienne, finit par se désynchroniser et choit sur le trottoir, stoppant net la course de Batman au milieu de la partie non piétonne de la rue.

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Manu Duruisseau dit ‘’Narine’’ vu la quantité de coke qu’il sniffe pour tenir le coup toutes ses nuit de livraison de colis urgents succédant aux nuits de techno party de ses jours de congés, déboule en emplafonnant allégrement la limitation de vitesse de 30 Km/h de cette section de l’avenue, 105 décibels de musique techno dans les oreilles, ignorant les évènements extraordinaires qui se déroulent autour de lui. Tout juste note t’il du coin de l’œil ce grand vieux qui se casse la gueule, il se détourne pour mieux voir, ne pas perdre une occase de rigoler un peu, écrabouillant Batman immobilisé pile devant ses roues, se demandant sur quoi il a bien pu rouler. Il stoppe, sort de son fourgon et contemple le spectacle, hébété, d’abord le corps du chien hideux éventré, agonisant les tripes étalées, puis le cadavre sans tête, pour finir sur les ruines fumantes, et se dit qu’il devrait considérer l’éventualité de diminuer sa consommation de substances psychotropes.

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Pamela n’a pas réalisé sur le moment ce qu’elle filme tranquillement. Elle est presque complètement sourde, infirmité consécutive à des otites à répétition dues à la pratique intense de la natation synchronisée dans sa jeunesse.
Ce n’est qu’en visionnant ses prises sur son écran géant de retour ‘’at home’’
le soir même, qu’elle réalisera le jackpot qu’elle a capté. En femme d’affaire avisée, elle négociera l’exclusivité de ces images extraordinaires avec la principale chaîne privée d’actualités américaine, donc mondiale, pour deux millions de dollars qui les repasseront jusqu’à saturation pour les diffuser ensuite sur Internet, créant le plus gros buzz de tous les temps avec plus d’un milliard de visiteurs en 24 heures, faisant du « NoHeadRunningMan » l’inconnu (de force) le plus célèbre du monde.

Poulets.

Jacques Marchand est plongé dans les journaux du matin, totalement isolé de son environnement.
Habituellement il utiliserait ce temps passé de bonne heure dans le métro pour ‘travailler’, c'est-à-dire repérer, confortablement installé dans un angle de la rame, les agissements de sa future ‘clientèle’.
Il a l’art de se faire oublier, de passer inaperçu quand cela est nécessaire, il sait donner l’impression de somnoler dans son coin pour endormir la méfiance de tout ce que les transports publics peuvent trimballer comme marginaux, petit trafiquants, pickpocket, prostituées ou pervers en tout genres…
Il est doué d’une patience de chat, et comme un félin, éprouve autant de plaisir à guetter ses proies qu’à les alpaguer en flagrant délit quand ils passeront à l’action.
Jacques Marchand est un flic.
Mais un flic d’un genre particulier et sa motivation n’est que très rarement de faire respecter la loi. Au contraire ! Car Jacques Marchand est un policier totalement ‘ripoux’ et son but n’est surtout pas d’empêcher les activités illicites des délinquants mais au contraire d’en tirer lui-même quelques profits sous forme d’un petit pourcentage prélevé sur le chiffre d’affaires de ces auto entrepreneurs non conventionnels.
Notons pour le coté cocasse de l’anecdote que sa carrière de policier ripoux a débutée après avoir visionné le fameux film de Claude Zidi.
La vraisemblance, sans l’aspect comique, de l’histoire l’inspira juste au moment ou sa vocation de flic s’estompait, minée par l"instauration des "politiques du rendement" au détriment du service public pour des raisons électoralistes, décidées par une succession de gouvernements qui se foutaient totalement des citoyens et surtout de ses fonctionnaires les plus exposés aux disfonctionnements d’une société dont ils étaient en grande partie responsables.
L’idée de tirer profit de sa fonction fit son chemin, et il commença à accepter quelques arrangements par ci, une enveloppe par la, des faveurs en échange de sa discrétion…
Jacques fut surpris de la facilité avec laquelle il accepta ce nouveau mode de vie et le changement moral que cela impliquait. Son absence de remord, la facilité et la rapidité avec lesquelles il s’assit sur ses anciens principes lui procurèrent un sentiment de liberté inouï, de vertige, comme un explorateur qui découvre une terre inconnue.
Par chance son amoralité révélée se doubla d’un réveil de son intelligence, assoupie par des années de routine administrative confortable, de conformisme, d’obéissance à des hiérarchies sans vision et sans imagination. Il comprit très vite que le danger de sa nouvelle vie pourrait provenir justement de cette griserie, de ce sentiment fallacieux d’impunité, d’invincibilité.
Il s’organisa, utilisa toute sa science du classement pour cloisonner, compartimenter ses vies.
Il se révéla excellent à ce jeu, brouillant les pistes, cachant habilement ses revenus nouveaux qui devinrent rapidement conséquents.
Il utilisa mille ruses, il créa un réseau extrêmement serré de liens, de connections, de relations, d’obligations.
Il utilisa la menace, le chantage, la violence parfois, mais aussi le service rendu, le renvoi d’ascenseurs, la confiance pour se créer une myriade d’obligés dans tous les domaines du crime organisé.
Ainsi, en plus de ses revenus dissimulés dans des achats immobiliers à la campagne qu'il appelait ses ‘biens de famille’, il possédait un réseau d’adresses pour se fringuer (de luxe), se nourrir, il avait table ouverte dans des dizaines de restos, pour se loger à l’œil dans ‘ses’ hôtels, sans oublier les massages, soins de beauté ou prestations sexuelles à volonté, prodiguées par ‘ses’ professionnelles.
Mais la plus paradoxale des conséquences de sa nouvelle vie fut d’améliorer sa carrière de flic.
En effet, cette immersion dans le monde marginal le fit passer du statut d’ennemi à celui de quasi-confrère par la voyoucratie parisienne. Il fut en quelques sortes coopté par cette faune interlope dont il devint un interlocuteur acceptable.
Ainsi il n’eut plus besoin de soudoyer des indics douteux pour être renseigné sur ce qui se tramait en secret, sur les coups en préparation, sur les arrivages de drogues ou de prostituées, sur les trafics traditionnels : cigarettes, alcool, paris clandestins, et sur les nouveaux : arnaques sur Internet, convoyages d’immigrés sans papiers.
Les informations venaient à lui tout naturellement, il n’avait plus qu’à trier ce qu’il voulait garder pour toucher son pourcentage de ce qu’il laissait filtrer vers ses collègues pour passer pour un flic efficace.
Et il l’était, de fait, ses infos précises menaient toujours à des arrestations spectaculaires dont sa hiérarchie tirait le plus grand bénéfice en se faisant mousser devant les medias.
Au fil des années il avait si bien peaufiné son système qu’il occupait dorénavant une position unique dans le monde policier, son simple grade de commissaire n’était du qu’a son ancienneté, son salaire de fonctionnaire ne reflétait en rien l’importance de sa vraie fonction : il était devenu celui à qui l’on confie les affaires les plus tordues, les plus pourries, dangereuses pour l’avancement, sensibles politiquement, médiatiquement délicates…
Et cela renforçait sa position car du coup il possédait des dossiers biens crades sur tellement de personnalités politico-médiatiques qu’il en était devenu presque intouchable…
De plus, s’il le fallait, il savait utiliser des méthodes beaucoup plus radicales pour se tirer d’affaire si une situation l’exigeait, par exemple il réagissait avec brutalité, promptitude et netteté à toute tentative de chantage.
Il possédait des dizaines d’armes de tout calibre et de toutes provenances, confisquées au voyous au fil des années, planquées soigneusement dans des chambres d’hôtel, des caves d’immeubles, des greniers ou des garages loués sous un faux nom, qui lui permettaient de supprimer définitivement toute menace représentée par n’importe quel imprudent qui allait grossir la liste des victimes de règlements de compte dont on ne découvrirait jamais les assassins.
Jacques n’utilisait pas ces méthodes expéditives que pour sa propre protection, il en avait fait ‘’bénéficier’’ certains de ses protégés en assassinant sans remord tel mac trop violent ou tel chef de gang trop gourmand ou trop sanguinaire.
Il avait même éprouvé un grand plaisir à mener certaines croisades à titre personnel à l’occasion, peut être pour se persuader qu’il possédait encore une certaine morale, par exemple en exterminant les ‘’cerveaux’’ d’un réseau pédophile pourvu de protection tellement haut placées qu’ils étaient pratiquement hors d’atteinte par les moyens légaux.
Inutile de préciser que les carnets d’adresses impliquant des personnalités de tous les milieux qu’il avait récupérés à l’occasion étaient devenus de précieux auxiliaires de sa propre invulnérabilité, joignant ainsi l’utile à l’agréable.
Bien sur, il n’a pas toujours été un policier corrompu.
Il est fils unique de petits artisans qui sans être riches avaient largement de quoi vivre. Ils habitaient dans le vingtième, un arrondissement populaire de Paris. Son père était cordonnier, un bon, à une époque ou on pouvait encore gagner honorablement sa vie avec un vrai métier procuré par un vrai savoir faire, sa mère était couturière et tenait en plus une petite boutique de mercerie attenante à l’atelier de son mari, juste à coté de la Place des Fêtes.
Ses parents, de vrais braves gens respectés et appréciés de tous, l’avaient élevé en fils unique, c’est à dire : choyé, protégé et sur nourri. Ils étaient toujours fiers de lui, non sans raisons car Jacques était plutôt bon élève, excellent sportif, en bonne santé et très joli garçon. Ils l’éduquèrent selon de solides principes conservateurs en fervents gaullistes, le portrait du Général vénéré protégeait la famille dans son cadre doré au dessus de la cheminée du séjour.
Mai 68 fut vécu comme un désastre traumatisant par ces gens simples et Jacques, par empathie envers ces êtres qu’il aimait profondément, se prit d’une aversion profonde pour tout ce qui pouvait être étiqueté comme politiquement à gauche, dorénavant synonyme pour lui de désordre, d’anarchie, de volonté de mettre en péril le monde rassurant des vrais humains.
Ses parents qui rêvaient d’une carrière prestigieuse pour leur rejeton, pourquoi pas juge ou pour le moins avocat, le poussèrent à faire son droit.
Hélas, leur 404 sorti de la route N7 des vacances en pleine ligne droite pour rebondir de platane en platane sur 200 mètres juste avant le village sans charme de Sénas, dans les Bouches du Rhône.
Rappelons qu’à cette époque les ceintures de sécurité n’étaient pas encore obligatoires, la vitesse non limitée et qu’il était courant de se descendre son litron de rouge pendant tout repas, plus les apéros avant et le pousse café après, ce qui explique pourquoi les puzzles constitués par les morceaux éparpillés de Marcelle et Antoine Marchand ne furent jamais entièrement reconstitues et qu’il est même probables que certaines ‘’pièces’’ aient pu être interverties.
La perte brutale de ses parents adorés traumatisa profondément Jacques qui se trouva orphelin non seulement de ces êtres chers mais aussi du monde rassurant de douceur, de confiance et de sécurité qu’ils avaient créé pour lui. Ses études s’en ressentirent, il rata une année, puis une autre, incapable de fournir le niveau de travail requis pour atteindre des objectifs ambitieux. Il finit par décrocher une licence passable et décida à défaut de mieux de rentrer à l’école de police.
Il reprit doucement goût à la vie en se découvrant une vocation timide pour cette carrière. Il en sortit plutôt bien noté avec le grade d’inspecteur.
Voila brossés les grand traits du portrait de Jacques Marchand.
Rajoutons qu’il n’a été que brièvement marié à l’amour de sa vie, Jeanne, sa Jeannette, hélas morte d’un cancer du sein à trente-deux ans, quelques années à peine après avoir donné naissance à Juliette, sa fille unique, l’autre amour de sa vie, la seule personne pour qui il éprouve de vrais sentiments.
Juliette à maintenant une petite trentaine d’années. C’est une belle femme, intelligente, bac + 9, docteur en sciences humaines, brillant maître de conférence qui a déjà publie plusieurs ouvrages de référence sur les dégâts de l’acculturation des masses ou le retour des obscurantismes.
Juliette à son importance dans la suite de ce récit, mais n’anticipons pas.
Revenons à Jacques, absorbé par sa lecture. Il dévore chaque article consacre à « l’Affaire».
Il faut dire que l'enquête sur l'explosion de ce petit commissariat de quartier piétine lamentablement et les journalistes s'en donnent à cœur joie, entre spéculations et critiques de l'incompétence des autorités, surtout de la cellule anti-terroriste, des rodomontades de son juge cow-boy et de la prétention de ses flics de choc!
Jacques se passionne pour cette intrigue, dès le début il a senti que rien n'est normal dans cette histoire, que la vérité à découvrir n'est par ordinaire…
Plus l'enquête s'enlise et plus elle l'intéresse.
L'article le plus pertinent est celui publié dans Libération, posant les bonnes questions, soulignant précisément les ratées du travail des enquêteurs, les rivalités entre services de police, on sent que les infos sont collectées aux meilleures sources, de plus l'article est bien écrit, vivant, avec un vrai style, peu commun chez les chroniqueurs judiciaires. La journaliste signe M.R. et ces initiales évoquent irrésistiblement dans l'esprit de Jacques une crinière sombre et soyeuse, cascadant sur des épaules larges, une bouche sensuelle, des formes généreuses et des jambes interminables, comme aurait dit son père dont il garde quelques vifs souvenirs anecdotiques: "des cuisses qui montent jusque au cul!" Quarante-cinq ans après, cette expression imagée, en réalité dénuée de sens mais si parfaitement évocatrice, le met toujours en joie.
Rajoutons le visage aux traits doux mais à l'expression dure (lecteur cinéphile, pense à Vivianne Romance pour me comprendre) éclairé par un regard vert profond, intelligent et méprisant, bref la femelle la plus bandante qu'il ai connu depuis plusieurs années.
Car Jacques la connaît, hélas pas dans le sens biblique du terme: elle est la maîtresse de Lionel Raymond, jeune commissaire de l'anti-terrorisme fraîchement formé, rejeton mâle d’une fratrie de six, d'une famille de riches notables de province, le genre à qui tout a toujours réussi, sur de lui, ambitieux, les dents tellement longues qu'elles raclent le parquet, méprisant évidemment les flics de terrain de l'ancienne génération au méthodes surannées, convaincu de la supériorité de la technologie, croyant que toute affaire peut se résoudre grâce à la généralisation des fichiers, de la télésurveillance et d'internet. Il ignore qu’il ne doit sa place qu’au piston de son papa, excellent chirurgien de la main qui sauva de l’amputation le plus proche conseiller du ministre de l’intérieur, grand énarque (1m89), mais chasseur maladroit qui trébuchant sur une souche lors d’une partie de massacre de gibier d’élevage, se tira malencontreusement une décharge de petit plomb à bout portant dans la main droite.
En plus, ce crevard est beau comme un dieu et se tape une merveille pareille, inutile de préciser que Jacques le hait intensément.
En arrivant au "Quai", Jacques découvre dans la cour, gardées par des flics surarmés, plusieurs limousines de fonction, flanquées du macaron tricolore.
Il remarque immédiatement une agitation inhabituelle, une certaine nervosité dans l'air. Il se dirige nonchalamment vers son bureau, ignorant volontairement l'ambiance électrique et tombe justement sur Lionel Raymond et sa journaliste, enlacés, une trace de rouge rubis sur la bouche du Casanova qui sourit niaisement, un peu gêné.
-Salut, Jacques, y a réunion au sommet, ça chauffe…
Marion, elle, lui sourit d'un air provoquant et lui lance:
-Mais voila Jacques Marchand, le plus élégant des flics parisiens…
-Tiens, mais c'est Marion la plus belle charognarde de Paris. Et, se tournant vers Lionel :
-Que je sache, elle a rien à foutre ici, fais-la dégager, et ça urge!
-Connard ! - ajoute-t-il en s'éloignant, juste assez haut pour être entendu…
Il entre dans son confortable bureau avec vue sur la Seine, se sert un expresso à son percolateur de luxe qu'il laisse allumé en permanence et contemple les parisiens affairés et les touristes mal fringués passant sous ses fenêtres.

Il attend que le téléphone sonne, sans impatience…
Quand enfin la sonnerie retentit il laisse passer un peu de temps, ne jamais décrocher au premier appel, un principe de base.
Toujours se laisser désirer un peu, ne jamais montrer aucun zèle.
-Allo…
-Marchand, venez dans mon bureau, c'est urgent !
-Bien monsieur le directeur…
Et voila, pense t-il c'est parti, enfin de l'action…
Jacques est quand même surprit de la qualité du gratin qu'il découvre dans le bureau du chef. Que du beau monde!
-Asseyez-vous, Marchand! Inutile de vous présenter le ministre de l'intérieur? Vous connaissez aussi le juge Michel Vaqueyras chargé de la cellule anti-terroriste, Bernard Bourseiller le préfet de police, Monsieur le Maire de Paris… Plus des conseillers, des directeurs de cabinet dont Jacques se fout comme de son premier slip.
-Monsieur le ministre, je vous laisse la parole,
-Monsieur le commissaire, vous n'êtes pas sans savoir, j'imagine, que nous piétinons lamentablement dans l'enquête sur l'attentat du commissariat…
La, quelque tentations de protestation des gens de l'anti-terrorisme, genre : --Monsieur le ministre, ‘’piétiner’’ est peut être excessif, nous avons quand même établi que…" sont balayées d'un ton méprisant par le ministre, surnommé poétiquement "La Salope" par ses fonctionnaires.
-Ne m'emmerdez pas Vaqueyras, je suis pas d'humeur, tout ce que vous avez trouvé c'est des évidences: une bombe de forte puissance de fabrication professionnelle portée pas un kamikaze dont vous ignorez tout a fait peter un commissariat de quartier! Et c'est tout! Alors fermez-la! Commissaire… il regarde ses notes, -Marchand c'est ça? Votre directeur affirme que s'il y a quelqu'un capable de piger ce micmac c'est vous! Si il n'y avait pas eu ce con de vieux, courant sans tète sur toute les télés du monde, nous n'en serions pas la, un bel enterrement pour les malheureux fonctionnaires lâchement assassinés en faisant leur devoir, quelque belles déclarations de notre cher Président (la, Jacques ne peut s'empêcher de glisser un regard vers le fauteuil du ministre, pour vérifier si une petite tache humide n'est pas apparue à l'évocation du grand/petit homme) et nous aurions pu prendre tout notre temps pour enquêter. Mais la, hélas, cette histoire a maintenant un retentissement planétaire à cause d'internent, on parle même de tirer un film de la vie de ce Louis qui parait-il, a été passionnante, on pouvait pas estropier une bougnoule qui revenait du marché, non, il a fallut qu'un 'héros' soit décapité… Alors, oui ou non, vous pouvez trouver les responsables de cet attentat monsieur Marchand? Répondez!
Jacques ne répond pas tout de suite, il prend tout son temps pour passer en revue chacun des visages préoccupés qui l'observent.
Il réalise qu’en dépits de leur maintient composé, il possède des fiches détaillées sur les pires turpitudes ou perversions cachées de presque toutes les personnes présentes.
Son visage impassible donne l'impression d'une intense réflexion, mais en fait il jubile intérieurement, il les fait juste poiroter par plaisir. Tu parles qu’il ne risque pas de refuser une enquête pareille, de fait ça faisait des jours qu'il attendait ce moment, convaincu de son inéluctabilité.
-Oui, monsieur le ministre, je peux et je vais le faire, mais il faudra me laisser travailler selon mes méthodes.
-Vous estimez avoir besoin de combien de temps pour obtenir un résultat?
-Une semaine tout au plus, monsieur.
-Vous avez carte blanche, prenez les hommes, les moyens techniques, tout ce qu'il vous faut et délayez moi ce merdier!’
Le ministre rassemble ses notes puis lève les yeux par dessus ses lunettes pour examiner ses interlocuteurs :
-on a fini ?
Vaqueyras intervient.
-Monsieur le ministre, je tiens à souligner que nous avons à traiter une grave affaire de terrorisme et qu’il serait déplorable médiatiquement parlant de retirer l’enquête aux services spécialisés, le public a besoin de croire que la réponse de l’état est à la hauteur de la menace, que l’enquête est confiée à des flics d’élite, non pas à un commissaire lambda, bien que je ne doute pas des compétences exceptionnelles de Marchand.
Le ministre, qui était sur le point de se lever, les deux mains posées sur les accoudoirs, s’adosse dans son fauteuil et réfléchit.
-Vous marquez un point, monsieur le juge, c’est pas le moment de se mettre à dos l’opinion publique, déjà que la cote de notre président n’est pas au mieux. Que proposez vous ?
-Jacques peut mener l’enquête à sa guise puisque vous y tenez, mais qu’il prenne avec lui un commissaire de chez nous, Lionel Raymond serait parfait, et s’il devait y avoir des interventions ou des arrestations, qu’elles soient dirigées par l’antiterrorisme…
Le ministre se tourne vers Jacques.
-Ca vous convient, monsieur Marchand ?
L’idée de se coltiner cette andouille ne l’enchante guère mais c’est peut être une occase d’approcher sa mirobolante gonzesse, alors pourquoi pas…
-C’est vous les grands décideurs, arrangez vous entre vous, moi je ferai avec.

***************

Jacques observe les trois flics assis en face de lui dans son bureau.
Il a bien du mal à cacher son dégoût.
Au fil des années, il a développé une aversion profonde envers ses confrères. Déjà il y a l'autre enflure de Lionel, l'amant de la belle Marion, et ça c'est déjà bien suffisant pour justifier son animosité. Mais il y a plus : il est trop beau, de cette beauté arrogante, magnifiée par la jeunesse, insupportable pour un type de son age, Non seulement ce Lionel est beau, mais il est sur de l’être pour longtemps !
Ce n’est pas que Jacques se trouve laid, au contraire il est la plupart du temps assez content de lui même, à juste titre : il est svelte, presque trop mince mais cela lui donne une juvénilité certaine dans son allure, dans sa démarche légère de danseur de tango, il est élégant naturellement, il a le rare don de mettre en valeur tout ce qu’il porte. En plus il a une gueule magnifique, un nez fin légèrement busqué, une bouche sensuelle qui se prête au sourire charmeur, des traits taillés à la serpe soulignés par une fine barbiche qui lui donne un air de pirate ou de gitan, une mèche de ses cheveux drus à peine parsemés de gris, coupés à la zazou (tu vois Gabin dans Pépé le Moko ?... ça !) retombe en permanence dans ses yeux gris bleus, qu’il remonte d’un geste caressant et précis. Mais il ne peut s’empêcher de se trouver rance, trop mur, blet comme il s’amuse à se décrire par auto dérision. Il le sait bien, lui, que ce n’est pas que dans la tête, que sa mécanique interne commence à être usée même s’il entretient l’illusion : le dos qu’il faut ménager, les yeux devenant mirauds, la tripe moins performante, l’estomac de plus en plus sélectif… Hors, il a le sentiment mal défini que son déclin physique est lié à la plénitude d’un Lionel, comme si l’énergie vitale n’existait qu’en quantité finie et qu’un système de perfusion pompait la sienne pour la déverser dans l’Autre.
Alors il le hait intensément.
Jacques n'est pas du genre à se modérer, il a appris depuis longtemps à ne surtout pas être zen, il trouve que la vie ne vaut le coup que si l'on éprouve quelques sentiments, quelques passions, et qu'on se donne les moyens de les assouvir.
Bref, Jacques n'est pas un bouddhiste.
Mais au moins pour Lionel, sa jalousie est une bonne raison pour ne pas pouvoir l'encadrer. Par contre, les deux autres poulets qui lui font face ne lui ont rien fait en particulier.
Leur compétence est reconnue, deux bons flics bien notés, besogneux, respectueux des procédures, bons fouineurs honnêtes et presque pas raciste, de la crème de flic: Bernard Blanc et Gérard Laporte, pères de famille et Sarkozistes…
Mais justement c'est ce qui répugne tant à Jacques, il se dit que c'est ce qu'il devrait être! Cette réalité l'épouvante, littéralement, car si l'intérêt qu'il a pour la vie qu'il s'est choisi reste entier et le plaisir qu'il ressent à la vivre est incontestable, sa différence, la solitude qu'elle implique, l'abîme entre celui qu'il devrait être et celui qu'il est devenu rends tout retour à la normale impossible.
En vieillissant il se rend compte que son mode de vie est dépourvu d'échappatoire, de suite. Il n'existe pas de ripoux à la retraite, il ne peut pas aspirer à quelque repos bien mérité, au farniente après une vie de dur labeur comme le commun des mortels: tout ça, il l'a déjà!
Quand il ne sera plus flic ripoux, il ne sera tout simplement plus rien…
Jacques ne se voit pas s'intéresser aux voyages, à la campagne, aux vielles pierres ou à la pèche à la ligne. Il ne pourra jamais s'arracher à Paris, à son monde nocturne, dangereux et subtil, pervers et passionnant, glauque et épuisant, triste mais hilarant, si différent du monde du jour, normal et fonctionnel, rassurant et routinier.
Il picolera trop pour combler son désœuvrement et crèvera probablement prématurément, cirrhotique ou cardiaque, ou trucidé pas un voyou dans une ruelle sombre…
-Bon, vous savez que nous sommes chargés de résoudre l'affaire de l'explosion du commissariat. Chacun de vous va me collationner le maximum d'infos puis nous étudierons ce que vous avez récolté pour chercher des pistes avec un regard neuf…
Nous allons tout reprendre à zéro. Epluchez ce qui a déjà été trouvé par nos collègues de l'anti-terrorisme et creusez la où vous pensez qu'ils n'ont pas assez fouillé.
Toi, Lionel, puisque tu ‘'en est'’, reprends tout le volet terrorisme international, les islamistes et les autres, trouve-moi qui peut avoir confectionné la bombe, les affaires qui peuvent rappeler celle-la, quels groupuscules emploient ces techniques, etc.… Laporte, vois tout ce que tu peux trouver sur le kamikaze, age, sexe, ADN, les fringues qu'il portait, les cameras de vidéo surveillance… Blanc, tu vas chercher du cote des victimes de l'attentat. J'y crois pas trop mais sait on jamais? Je veux tout savoir sur eux, qui était-ils? Qu'ont-ils branlé ces dernier mois? Ces flics, sur quelles affaires ils bossaient?
C'est parti! Je vous donne deux jours et on fait le point !

Une foi ses collaborateurs partis, Jacques ouvre sa fenêtre histoire de dissiper les miasmes du mélange écœurant d'odeurs de cendrier plein (pour les deux poulets) et d'eau de toilette à la mode (de Lionel) qui traîne derrière eux.
Il s'affale dans son fauteuil et se laisse bercer par la rumeur de la ville. Il rêvasse, laisse errer ses idées d'un sujet à l'autre mais sa pensée reviens toujours à l'affaire, comme un insecte sur la fleur la plus sucrée d'un parterre. Il ne doute pas de la résoudre sans grande difficulté. Il sent que l'explication de cet attentat atypique est tout sauf politique malgré les apparences, que la solution réside probablement dans les interactions humaines les plus basiques, mais, comme tout le monde, il bute sur l'aspect professionnel de l'affaire: pourquoi tant de moyens mis en œuvre pour faire sauter un objectif somme toute dérisoire ?…
Il va trouver, ce n'est qu'une question de creuser au bon endroit. En attendant il a un rendez-vous autrement plus important.

Filles.

Marion Rinaldi est en train de prendre quelques notes en sirotant un citron pressé vendu au prix du caviar à la terrasse du Café de Flore. Elle aime bien l'ambiance, snobinarde plus que branchée, typiquement parisienne de l'endroit. Pour elle ce genre de lieu est précieux, le nombre de rumeurs souvent fondées quelle peux y récolter est substantiel, il suffit de tendre l'oreille et les siennes sont aussi fines que joliment ourlées.
Il fait beau, presque chaud, et elle flemmarde en reluquant les passants. Elle repère une silhouette familière au milieu de la foule, costard anthracite impeccable, démarche souple, décidément ce Jacques Marchand ne manque pas d'allure.
Il lui plait ce mec ! Marion l'observe, son instinct ne la trompe que rarement et jamais sur les hommes.
Celui-ci n'est pas ordinaire
Elle se sent irrésistiblement attirée par lui mais elle n'a pas encore su trouver le biais pour aborder le spécimen, il faut qu'elle découvre la bonne stratégie.
Habituellement elle n'est pas très sensible au charme des "trop vieux", comme elle ne baise que pour le fun, (comme on disait jadis: pour l'hygiène) autant se taper de la testostérone fraîche.
C’est justement pour ça qu’elle couche avec Lionel Raymond, car pour être frais, beau et viril, il est servi. Autre ‘’qualité’’, c’est un benêt, amoureux d’elle comme un toutou dont elle tire un flux inépuisable de renseignements précieux pour ses articles.
Mais elle n'est pas bornée et Marchand compense largement son age par l’indubitable magnétisme qu'il dégage.
De plus, son attrait n’est pas motivé que par le seul charme de ce Jacques, son flair pour les vrais bon plans professionnels est en alerte depuis qu’elle l’a repéré, dans une réception officielle ou il faisait tache, ne faisant aucun effort pour masquer son profond ennui mais bénéficiant d’une considération surprenante de la part de toutes ces ‘’huiles’’ qui défilaient pour le saluer…
Elle ne doute pas qu’il en aurait à raconter et du raide, de la matière pour écrire des dizaines d’articles retentissants…
Elle suppute ses chances de profiter de cette rencontre fortuite pour l'aborder, quand il s'assoit à la table d'une grande fille du genre saine et sportive, pas maquillée, les cheveux drus et blonds en bataille, les yeux bleus et la bouche pleine de dents éclatantes, l'image parfaite de la viking sure d'elle qui lui procure illico une poussée d'urticaire, elle qui cache sous son apparence de femme fatale sophistiquée un mal-être et une insécurité infinie, provoquée par une peur de la mort et de la vieillesse qui la terrifie, au point d'en pleurer, seule et désespérée, malade, se tordant de douleur en somatisant son angoisse, jusqu'à ce que des poignées de somnifères la fassent plonger dans une amnésie comateuse.
De rage elle se lève et fuit en renversant sa tasse, sa journée gâchée, si ce vieux beau préfère les scandinaves survitaminées, grand bien lui fasse, qu'il aille se faire foutre…

*************

Jacques marche d’un pas pressé, s’il osait il trottinerait en zigzagant entre les passants. Il est content, presque hilare comme un cancre après l’école.
Elle lui a donné rendez-vous et comme les occasions de la voir se font rares ces temps-ci, la chérie étant sollicitée de toutes parts, il est aux anges.
Il la repère de loin, une pareille tignasse n’a pas d’équivalent, elle bouquine au soleil, indifférente aux regards admiratifs assis autour d’elle à la terrasse du café.
Il se glisse souplement entre les tables pour s’asseoir à coté d’elle, fier comme Artaban, en gratifiant les marlous jaloux et désappointés de son rictus narquois spécial blaireaux.
Elle lève ses yeux bleus vertigineux et lui prodigue un sourire éclatant.
-Bonjour mon papa !
-Bonjour amour de ma vie !
Embrassades, bisous sonores, comme elle sent bon !
Il la contemple, énamouré. Elle lui rappelle sa mère, mais en « plus » : plus grande, plus forte, plus dynamique, de la finesse mais aucune gracilité dans ce grand corps tonique.
Jacques est tellement fier d’elle. Juliette l’a comblé au delà de toutes ses espérances, il aurait tant aimé que sa mère soit la pour partager son plaisir.
-On va se balader ? Il fait trop beau !
Sans attendre sa réponse de toutes façons acquise, elle se lève en lui prenant la main pour l’entraîner…
Elle est un peu plus grande que lui grâce aux talons de ses bottines, elle porte un jean moulant à taille basse, un mini blouson de cuir noir par dessus un ‘’truc’’ blanc plein de dentelles, mélange gracieux entre un sous-vêtement et un chemisier, décolleté, ultra court qui lui laisse le ventre à l’air, Jacques se laisse guider en la matant à la dérobée, vérifiant que tous les hommes se retournent sur son passage, quel canon il a fait la !
Il se laisse bercer par le bavardage de sa fille, il adore son air inspiré quand elle discute d’un sujet qui lui tient à cœur…
-Papa, tu m’écoutes pas !
-Je fais que ça, ma chérie !
-Ah ouais, je t’ai dis quoi ?
-Tu m’as dis que…heu…que…
-Bravo, ça fait plaisir de voir comme ce que je raconte t’intéresse !
-Désolé, j’étais trop occupé à t’admirer !
La, placement du sourire Grand Charme n7 de chez Marchand Jacques…
Juliette, irritée en apparence par son manque d’attention mais secrètement ravie par son admiration si sincère, l’entraîne vers un banc au bord de la Seine, avec vue imprenable sur les dentelles de pierre des arcs-boutants de Notre-Dame.
-Bon, il faut que tu m’écoutes, c’est important.
-OK, je t’écoute, tout à toi je suis, tout ouis tu me vois, tout…
-Hhhhrrrrgnffrg ! Arrête de déconner, ok ?
Bon, elle est sérieuse, il faut l’écouter.
-Vas-y.
-Tu t’occupes de l’enquête sur l’explosion ?
-Quelle explosion ?
-Ho, papa, me prends pas pour une conne, je sais que cette histoire pue, que les keufs pédalent dans le couscous et qu’ ON va finir par te demander de t’en mêler, si c’est pas déjà fait, j’en suis certaine …
Au fond, Jacques ne voit pas de raisons pour finasser, surtout que sa curiosité s’est éveillée, pourquoi ça l’intéresse ? Il lui pose la question…
-Figures toi que le décapité, tu sais, Louis Chevrier, je le connaissais bien…
-Ha bon ? Raconte !
-C’était une sommité en sociologie, une vraie pointure et il fait partie des auteurs qui m’ont le plus inspirée quand j’ai écris ma thèse, bon, ma première thèse…
Et oui, ma fille elle écrit plusieurs thèses, quel cerveau...
-…En fait j’ai tant aimé ses bouquins que je l’ai contacté quand j’ai découvert qu’il était toujours vivant, sans trop espérer de réponse, je pensais qu’il serait complètement désintéressé par les recherches universitaires, mais il m’a répondu, il semblait au contraire enchanté qu’on ne l’ai pas oublié. Je suis allée chez lui des dizaines de fois, il m’a conseillée, guidée. Il était adorable ce mec, si gentil, en plus j’ai jamais vu un type aussi intelligent, incroyablement cultivé, un vrai puits de science, on aurait dit qu’il avait tout lu. Aussi ; il a eu une vie passionnante, il a vécu un tas d’aventures et, crois le ou pas, malgré ses 90 ANS, il était beau, pas « encore » beau, non, juste beau, la classe absolue…
Jacques commence à ressentir un début de haine envers ce vieillard si parfait…
-Oui, bon il était parfait ton Louis sans tète, et alors ?...
Oh le regard meurtrier qu’elle lui décoche ! Jacques pige illico qu’il aurait mieux valu la fermer…
-Ca y est ? On pique sa petite crise de jalousie mon papa, on supporte pas qu’il existe des gens mieux que soi de part le monde ? Des plus cultivés, plus ouverts, plus beaux, plus généreux et moins obnubilés par leur petite personne ? Qui essayent de comprendre le monde pour s’efforcer de l’améliorer plutôt que de se complaire dans ses bas-fonds ?
-Ho ça va, je plaisante…
-Hé bé tu te les gardes tes plaisanteries minables, je suis en train de te parler d’un sujet qui me tient à cœur et je te demande de m’écouter, c’est tout !
Elle peut pas s’empêcher de fondre devant sa mine sincèrement contrite, elle sait qu’elle est bien trop forte pour lui, elle sourit, lui jette les bras autour du coup, couvre son visage de petits bisous…
-Tu sais bien que tu es mon papa que j’adore et j’en ai pas d’autre du coup tu es le meilleur…
-Arrête de te foutre de moi ! Continue ton histoire.
-Bon, voilà ! J’ai commencé à écrire une biographie de Louis et je veux tout savoir sur les circonstances de sa mort, par qui a t-il été assassiné. Je comprends qu’il s’agit d’une sorte d’accident, mais les circonstances, l’environnement, les conditions initiales qui ont déterminés la succession d’événements pour aboutir à cette mort étrange, je veux les inclure dans son histoire. C’est d’autant plus fascinant qu’une grande partie des thèmes de recherche de Louis portaient justement sur la relativité du libre arbitre dans un contexte donné d’un monde interactif, Je veux pas que l’existence d’un être aussi subtil soit réduite à un film gore de 3 minutes sur internet. Fais la lumière sur cette affaire, ne laisse rien dans l’ombre, si tu veux pas le faire pour Louis, fais le pour moi. Promis ?
-Promis, ma chérie, tout ce que tu veux, tout, tout pour ma chérie, ma chérie…
-Paaapaaaa…

Recherches.

Jacques et son équipe sont réunis dans son bureau pour faire le point. Il a hâte de prendre connaissance de leurs découvertes.
-Bon, j’espère que vous m’avez trouvé du substantiel, du croustillant ou au moins du nouveau, restons réalistes…Qui commence ? Lionel ?
Lionel se racle la gorge et se compose l’attitude qu’il imagine être celle qu’un grand flic adopterait, genre dernier coup d’œil sur ses notes, puis regard appuyé à chacune des personnes présentes pour s’assurer qu’il a l’attention générale…
-Mais quel con ! pense Jacques.
Lionel commence…
-En préambule, je dois dire que j’ai creusé partout et mes recherches m’ont emmené à la conclusion que…
Jacques, excédé, l’interrompt :
-Bon, tu vas pas nous gonfler à raconter ta vie, accouche, direct à l’essentiel, allez, allez…
L’autre, coupé dans son élan, bafouille, ne sachant plus trop par où continuer…
-Oui…heu…alors, la bombe…ou plutôt l’explosif puisque c’était pas vraiment une bombe, évidemment, donc l’explosif…
-Mais je vais me le faire ce con…
Heureusement, Lionel retrouve le fil de son récit avant que Jacques pète un câble…
-L’explosif, le type de détonateur, la technique de confection, tout rappelle les pires attentats en Irak et au Pakistan. On a la du signé Al Qaida et pas de la petite branche marginale. En fait tous les éléments en notre possession désignent Mamoud Benzidine, un de leurs meilleurs artificiers, un Egyptien, et il a justement été repéré en Belgique il y a deux mois. Il n’y a pratiquement aucun doute sur son implication dans cette opération. On a perdu sa trace mais il semble certain qu’il ait rencontré Omar Fékha, un leader charismatique extrémiste de Manchester qui prône ouvertement le Jihad et qui a lui aussi disparu. L’anti-terrorisme était depuis en alerte maximale (ha bon ? pense Jacques), tout indiquais un risque majeur d’attentat à Paris, confirmé par de multiples menaces anti françaises dans les communiqués d’Al Qaida.
Jacques reprend :
-Donc nous savons qui est derrière tout ça mais toujours rien sur le pourquoi de la cible. Bernard, à toi, parles-nous du kamikaze …
-Désolé, Jacques, mais la on a presque rien. Tout ce dont on est sur c’est qu’il était de sexe masculin, maghrébin et très jeune, 16, 17 ans tout au plus. Il est complètement inconnu de nos services, rien dans les fichiers ADN ou aux empreintes. La seule piste intéressante c’est qu’il avait le sida, mais il devait l’ignorer car il ne prenait aucun traitement, du coup pas moyen de l’identifier dans les hôpitaux. Pour le reste il a été tellement pulvérise par l’explosion qu’on n’a pu reconstituer sa tronche qu’en partie et le portrait-robot élaboré par l’identité est tellement banal qu’il ressemble à des centaines de jeunes des quartiers. Il a probablement choppé sa maladie en baisant car il ne se droguait pas, à l’exception d’un joint occasionnel.
-Ouais, c’est pas lourd, mais c’est pas rien, en tous cas c’est très intéressant, non ? Gérard, sur les victimes, tu as trouvé quoi ?
-A part l’étêté…
Jacques le foudroie d’un regard assassin !
-C’est de monsieur Louis Chevrier que tu parles ?
‘’C’est du Louis à fifille que tu parles, connard,’’ se dit-il in petto, ‘’un peu de respect’’, son courroux paradoxalement sincère motivé par un genre de : Pas touche aux amis de mon amour qui sont du coup mes amis !
Gérard, un peu décontenancé quand même par le Marchand nouveau, style père-la-morale, on aura tout vu dans cette turne, reprend son récit :
-Monsieur Chevrier, donc, à part lui il n’y avait ce jour la qu’une Martine Chardon, 62 ans, sdf bien connue dans le quartier qui cuvait sa dernière cuite en cellule et cinq flics en service.
On n’a pas grand chose sur la clocharde, je crois qu’elle s’est trouvée la par hasard, comme le malheureux Louis Chevrier qui promenait juste son chien au mauvais endroit et au mauvais moment. (Petite tentative pitoyable pour se faire pardonner la maltraitance précédente du Louis). Par contre, nos collègues, dont, en passant trois ont été tués non directement par l’explosion mais plutôt par l’effondrement de l’immeuble, n’étaient pas vraiment le nec plus ultra en matière de flic. C’était bavure land ce commissariat, ils avaient tous, du plus gradé au plus subalterne, des dossiers chargés comme des mules. La liste de leurs exactions est interminable, leur carrière était parsemée de plaintes suivies de blâmes, mutations, blocage d’avancement, certains ont échappé de peu à la révocation…
-A ce point ? Mais c’est passionnant tout ça mon petit Gérard. Bon boulot, reprend Jacques, -hein que c’est passionnant, vous trouvez pas ?
Il dévisage ses troupes mais il ne décèle aucun signe d’enthousiasme particulier, juste une vague attention polie, puisque le chef trouve ça captivant, c’est que ça doit l’être, alors ils s’efforcent de montrer un semblant d’intérêt.
Jacques s’isole dans ses pensées, il n’a pas besoin de ces bourrins pour faire la synthèse de tous ces éléments en apparence contradictoires, se laisser pénétrer par leur signification pour en extraire une logique évidente, aussi limpide et irréfutable qu’un beau théorème…
-Bernard, tu vas demander au labo de faire une nouvelle recherche ADN…
-Mais, Jacques, s’il n’y a rien à trouver ils trouveront rien…
-Tu vas leur demander de chercher des ADN proches parmi la racaille fichée chez nous et qu’ils se concentrent d’abord sur le secteur local, pour s’éloigner progressivement si ça donne rien…
-Tu crois que …
-Je crois pas, je sais, tu verras…

Jacques arrive en retard au Quai comme d’habitude, strict dans le respect de ses principes : jamais de zèle, jamais, et puis pourquoi se priver du petit plaisir gentiment pervers d’irriter ses confrères les plus détestés pour qui la ponctualité est la qualité principale du fonctionnaire méritant, ça améliore son humeur du matin souvent morose et du coup tout le monde en profite, non ?
Il découvre la porte de son bureau grand ouvert, Laporte et Blanc vautrés dans ses beaux fauteuils, des Chesterfield authentiques, commentant le dernier match du PSG, la clope au bec, au risque d’endommager le cuir délicat…
-Faut plus vous gêner, les mecs, faites comme chez vous !
Mais ces deux la ne sont pas de l’espèce à se formaliser de son ton exaspéré, les vexations en tous genres de supérieurs hargneux sont leur lot quotidien et Jacques serait plutôt de la catégorie ‘’petit-bras’’ dans ce domaine. Ils se tournent vers lui, contents de le voir, avec des sourires affables découvrant des dentitions négligées qui foutent un début de nausée à Jacques…
-Ca va chef ? Contents de te voir nous aussi !
-Et en plus ils se foutent de ma gueule ! Mais au moins ils ne sont pas accompagnés par Lionel.
-Il est ou l’autre gland ?
-Vas savoir, il doit glander sur Internet ou niquer sa poufiasse, il peut pas s’en décoller ! En tous cas, nous on a du nouveau, je crois que ça va te plaire…
Du coup Jacques se sent tout radouci envers eux, il les trouverait presque sympas…
-Racontez les mecs, racontez…
Bernard prend la parole :
-Ben voilà, ton idée de chercher des ADN proches a payée. Figure-toi que notre kamikaze était, avec une probabilité de 98 pour cent, le frère d’un chef de bande de la cité ‘’La Martinière’’, il s’appelait Karim Hatta et il n’avait pas de casier, rien, même pas une petite interpellation. Par contre son frère Kader était, lui, un vrai dur et un malin qui s’en est presque toujours sorti en faisant endosser ses coups ratés par ses arpètes, on l’a arrêté des dizaines de fois sans jamais réussir à le coincer durablement, en plus il terrorisait tout son quartier, une vraie ordure et, bien sur, personne n’osait porter plainte par peur des représailles. J’en parles au passé car figure-toi qu’il est mort il y a quelques mois. On l’a trouvé roué de coups dans un terrain vague. L’enquête a conclu à un règlement de compte entre bandes rivales. Mais c’est du pipeau. En fait c’est pas le passage à tabac qu’il a subit qui l’a tué, il est mort d’une crise cardiaque, tiens-toi bien, AVANT d’être tabassé ...
-Une crise cardiaque ?...
-Oui, oui, surprenant, non ? En fait il avait une malformation congénitale cardiaque en général assez bénigne, il aurait pu vivre avec sans problème très longtemps…
-Alors ? Jacques est totalement captivé...
-Alors, le Kader, il a été tasé, et pas qu’une fois, on a relevé les traces de cinq ou six décharges sur son cadavre, c’est ce qui a provoqué son arrêt cardiaque.
-Tu me parles d’une bavure, la, c’est ça ?
-Ca m’en a tout l’air ! Par contre, les flics en patrouille dans le secteur ce jour-la sont morts dans l’attentat, on t’a apporté leurs dossier, c’est du gratiné tu verras, surtout le René Castilla, dit ‘’Moustache’’, un vrai tordu…
‘’Et voilà, se dit Jacques, c’était pas bien compliqué…’’
Il n’a plus qu’a explorer lui même la vie de ce Karim pour finir par comprendre comment il a pu finir sa courte vie transformé en bombe humaine, le pourquoi il l’avait déjà pressenti, les faits viennent de le confirmer…
-Merci, les gars, ça c’est du boulot, vous avez assuré…
Les deux inspecteurs se lèvent pour sortir, ravis de le voir si satisfait. En sortant, Gérard se retourne en se tamponnant le front :
-Au fait, Kader, comme son frère était sero-positif, c’est peut être important ?...
-Tout est important, mes amis, tout est très important…
Dans les jours suivants, Jacques se plonge dans l’enquête sur la vie de ce Karim et de son frère Kader. Il va découvrir un monde stupéfiant fait de violence, de pulsions exacerbées, d’interactions humaines insoupçonnées.
Il en a pourtant vu, et des raides, au cours de sa longue carrière, au fil des milliers d’ heures immergé dans les pires perversions et déviances que la société peut produire, mais ce qu’il découvre c’est du gratiné !

Banlieusards.

Karim Hattah contemple son frère Kader étendu à côté de son 4x4 Audi.
Son teint cireux, son regard fixe et déjà vitreux confirme ce que Karim a déjà compris intuitivement quand il a vu Kader s’écrouler, foudroyé par les décharges de Taser décoché par Moustache.
Cette ordure s’est ensuite défoulée sur son corps inerte, à coups de rangers et de matraque, jusqu’à ce que ses collègues réalisent qu’il s’acharnait inutilement sur un cadavre.
Karim fond en larme, tombe à genoux à côté de son frère et gémit comme une bête blessée, il étouffe de chagrin et de remords car c’est de sa faute s’ils ont stoppé à cet endroit, choisi précisément pour la présence de cette palissade déglinguée bordant un terrain vague, au milieu de cette ‘’zone franche’’ d’activité désertée depuis la crise, malgré les mirobolants avantages fiscaux accordés à des patrons rapaces qui se sont empressés de délocaliser leur usine une fois leurs poches remplies d’aides publiques.
Ils se sont arrêtés là pour la plus banale, la plus triviale des raisons organique, pour que Karim puisse se soulager, en proie à des coliques terribles provoquées par un excès d’harissa douteux sur un kebab consommé la vieille à la sortie du Krystal, une des boite préférées de son frère Kader.
Il se vidait, caché derrière la palissade, quand il a entendu les flics s’arrêter, sortir de leur bagnole et cogner à la vitre de l’Audi.
Son frère ne les a sûrement ni vu, ni entendu approcher, yeux clos et 95 décibels de rap dans les oreilles.
Il n’avait plus aucune chance de leur échapper alors il est sorti du 4x4 sans opposer de résistance.
Mais ça ne leur a pas suffit aux flics, et c’est Moustache qui l’a apostrophé :
-Tiens, mais c’est Karim-sac-à-merde….il est à toi ce 4x4 ? Tu l’as payé comment ? Pas en travaillant ? Tu l’as volé ?
Kader a essayé de protester
-J’ai rien volé, c’est ma caisse, putain, je l’ai payée, regardez la carte grise… elle est à moi !
-Oh ! Tu nous parles comment, là, hein ? C’est pas les bougnoules qui vont faire la loi, non ?
-Vous me traitez pas de bougnoule ! Je vous ai pas insulté moi !...
Karim a bien vu que Kader faisait tout pour garder son calme.
Il n’osait pas s’approcher, la peur le tétanisait, mais il ne pouvait pas laisser son frère tout seul non plus, il était sur le point de se montrer quand Kader l’a aperçu.
Il l’a regardé et lui a fait des signes de dénégation brièvement, sans que les flics le remarquent.
Karim s’est figé sur place, restant hors de vue des keufs.
Puis tout a vraiment dérapé.
Moustache a entrepris de fouiller la voiture pendant que les deux autres flics épluchaient les papiers de Kader.
-Tiens, regardez moi ça …ça se drogue en conduisant ! A t-il dit en brandissant triomphalement le joint à peine entamé que Karim avait tout juste allumé quand il avait ressenti ce besoin irrépressible d’aller chier.
-Putain c’est même pas moi qui l’a fumée cette merde. Sentez…j’ai pas fumé !
Et Kader exhale un bon coup dans la gueule de Moustache, planté devant lui.
-Tu te prends pour qui à me cracher ton haleine de porc dans la gueule, fils de pute ?
Kader n’était pas du genre à se contenir longtemps :
-C’est moi que tu traite de porc, enculé ? Je vais t’écraser ta gueule !
Il a tenté de bondir sur Moustache mais les 2 autres flics, des teigneux, l’ont ceinturé sans ménagement, pendant que Moustache dégainait son Taser et lui infligeait décharge après décharge jusqu’à ce qu’il s’écroule inerte sur le trottoir.
Alors Moustache s’est rué sur lui et a commencé à le rouer de coups.

***********

Karim reste prostré, incapable de penser autre chose que : Kader est mort, Kader est mort, gémissant, comme un chien blessé et abandonné, une plainte aigue et à peine humaine …
Puis un bruit de voiture, des pinceaux de phares qui balaient la scène le tirent de sa léthargie. Il se lève et instinctivement, tel un animal apeuré retourne se blottir derrière la palissade. Une voiture s’arrête, un couple banal en descend, découvrant le corps de Kader.
Cri de la fille, le mec, lui, n’a qu’une idée en tête : se tirer.
-Cassons nous, on peut rien faire, il est mort !
-T’en es sûr ? Comment tu le sais ? T’es même pas allé voir, il faut appeler les pompiers !
-Il est mort je te dis ! C’est dangereux ici ! Il faut se barrer !
Mais elle ne l’écoute pas
-J’appelle !
Et elle compose le 15.
-C’est malin, on va y passer la soirée maintenant !
-Oh ! Ta gueule ! Quelle couille molle tu fais !
Karim a bien trop peur des flics, il peut pas rester là, il disparait dans la nuit.

************

Il erre pendant des heures, sans but, il ne sait où aller, il n’ose pas rentrer chez eux, dans l’appartement qui leur sert de base avec Kader, il est sur que ça doit déjà grouiller de keufs, et avec ce qu’ils vont découvrir là bas, les armes, la dope, le fric, c’est pas le moment de se montrer…
Au petit matin, il finit par se retrouver devant l’appartement familial, troisième étage, escalier C, bloc ouest de la cité ‘’Les Marronniers’’, une des plus déshéritée de la banlieue nord de Paris.
Sa mère est en train de siroter un thé à la menthe, l’air encore plus accablé que d’habitude.
-Des policiers sont venus, ils ont dit que Kader il est mort…
Il ne répond pas, à quoi bon, il sait qu’elle n’écoutera pas, lancée dans son monologue
-Qu’est ce qu’il a fait encore, je le savais que ça finirait mal, il a toujours été mauvais, il m’a apporté que du malheur, j’aurais mieux fait de mourir que de donner naissance à un monstre pareil…
Et ça continue … Véritable litanie de jérémiades, Karim n’est pas certain qu’elle ait seulement réalisé que Kader est réellement mort. Elle doit croire que ce n’est qu’une mauvaise action de plus de la part de son fils qui n’a séjourné sur terre que pour lui procurer du malheur.
Le radotage maternel dure des heures. Karim n’écoute plus, assommé de chagrin, plongé dans un demi-sommeil.
Les ronflements de son père, qui dort dans la pièce à côté, cessent.
Des grincements de sommiers, puis des rafales de divers bruits organiques, pets, raclements de gorge, toux, crachat, vidange de vessie… Il fini par apparaître dans l’encadrement de la porte, vacillant un peu, hirsute, l’air totalement abruti
-Qu’est ce que tu fous là ? Y a quelque chose ?
-Kader est mort ! Répond Aicha
-Ah ouai, ça devait arriver, avec cette vie de con… Puis, dans un éclair de lucidité :
-Ça va coûter un bras pour l’enterrer …qui va payer ?
Karim fuit dans l’ancienne chambre qu’il partageait avec Kader, transformée en débarras.
Il balance par terre le bric-à-brac qui encombre son ancien lit et s’y jette dessus pour pleurer.
Des heures passent. Il essaie de ne surtout pas penser au futur, à un futur sans son frère adoré.
En fait il ne peut tout simplement pas concevoir une quelconque vie sans lui, il a la sensation d’être devant un abîme, ou plutôt une étendue opaque, une sorte de brouillard dans lequel il perdra irrémédiablement tout repère quand il s’y sera engouffré.
Alors il se raccroche au passé, aux souvenirs de sa seule vie réelle, celle d’avant.
Aussi loin qu’il se souvienne, Kader a toujours été là pour le protéger, il a toujours épargné à Karim les agressions du monde extérieur. Ils ont quelques années d’écart et tout petit déjà, Kader, qui devait avoir à peine 6 ou 7 ans, servait de rempart entre Karim encore bambin et la violence de son père qui battait quotidiennement comme plâtre sa famille , sa femme Aicha et Kader.
Kader était déjà très malin, et il savait détecter les signes avant coureurs des crises paternelles, escamotant préventivement Karim hors de portée des coups.
Il lui avait aménagé une planque confortable au fond d’un placard, remplie de jouets avec lesquels Karim n’avait le droit de s’amuser que quand il était enfermé dans sa cachette. Ainsi, pendant que son frère dégustait sa rouste journalière, Karim passait un moment merveilleux, calfeutré dans son placard magique, ignorant tout du drame qui se déroulait à l’extérieur.
Leurs parents Mourad et Aicha Hattah, maghrébins français de la deuxième génération, étaient parfaitement bien intégrés, surtout le père qui picolait depuis son adolescence comme n’importe quel prolo français de souche.
Il avait bien sûr quitté l’école à 15 ans, vu ses résultats médiocres, pour rentrer comme apprenti dans le bâtiment. C’est là qu’il avait commencé à se torcher tous les week-end avec ses potes, débutant ainsi une carrière d’alcoolique chronique des plus classiques qui se terminera par une splendide cirrhose mortelle qui l’emportera, après des années de chômage, juste avant l’âge de la retraite.
Il épousa Aicha, une jolie cousine effacée et inculte, une pauvre fille née juste au mauvais endroit idéal pour subir une vie de victime consentante, qui lui donna ses deux fils à l’époque où il avait encore assez d’énergie pour subvenir au besoin minimaux d’une famille standard de travailleur manuel.
Quand Karim fut trop grand pour rester caché dans son placard, Kader continua à le protéger en trouvant d’autres tactiques, faisant toujours en sorte que son père s’en prenne à lui-même de préférence.
Il avait aussi noté une baisse de tonus chez Mourad, aussi il s’arrangeait pour que Aicha dérouille en premier, encaissant le gros de l’énergie dont disposait son père, le reliquat étant absorbé par Kader, puis Mourad s’écroulait, calmé, sur le canapé du salon, vidé de son énergie belliqueuse, oubliant Karim qui s’en sortait sans ecchymose.
Ce régime endurci Kader qui devint très vite une teigne, redoutable dans les bagarres car insensible aux coups et à la douleur, increvable combattant qui ne s’avouait jamais vaincu, ne criait jamais grâce.
Bien sûr, la protection de Karim fut évidemment étendue à l’extérieur, à l’école, mais surtout dans la rue où les deux frères traînèrent très tard dés leur plus jeune âge.
Ainsi Karim vécu une enfance protégée dans ce cocon de sécurité conçu par son frère, à l’abri de tout mauvais coup, ignorant les agressions extérieures. Mieux, Kader comblait aussi tous les désirs de Karim, quand celui-ci voulait quelque chose il n’avait qu’à le demander, son frère s’arrangeait pour le lui procurer, au besoin en volant, en extorquant, en menaçant de représailles terribles l’enfant qui aurait eu l’aplomb de ne pas se laisser dépouiller en silence.
Kader devint très vite le chef incontesté d’une petite bande de racailles qui terrorisèrent très vite le quartier.
Mais pour Karim c’était le paradis et Kader était Dieu !
Il lui devait tout, dépendait totalement de lui et il le vénérait.
Kader était aussi son mentor, son éducateur, il lui avait fait connaître précocement un tas de choses.
Par exemple il l’initia très tôt au relations sexuelles en le sodomisant dés l’âge de 6 ans.
Karim depuis toujours aimait dormir blotti contre son frère, et Kader prit l’habitude de se laisser caresser par Karim qui ne trouvait, en toute innocence, rien de mal à procurer cette satisfaction à son frère adoré.
Aussi quand Kader fut instruit précocement sur les diverses pratiques sexuelles, il trouva tout naturel d’expérimenter avec son frère ses nouvelles connaissances, mais il n’usa d’aucune violence pour parvenir à ses fins, Karim fut même ravi de pouvoir procurer un plaisir d’une telle intensité à son frère.
L’amour de Kader pour son cadet s’en trouva décuplé et il en devint encore plus protecteur, redoublant d’attentions et de prévenances pour Karim…
Karim, lui, comprit très vite tout le parti qu’il pouvait tirer de cette dépendance en la cultivant, se montrant de plus en plus docile et consentant pour satisfaire l’appétit sexuel grandissant de l’adolescent, de toutes les manières imaginables, devenant expert dans l’art d’utiliser tout son corps délicat pour le faire jouir chaque jours plus intensément.
Cette relation amoureuse incestueuse et fusionnelle tissa des liens intenses et indéfectibles entre les deux frères.
Kader et Karim n’étaient toutefois pas dénués d’intelligence ni d’un certain sens moral, mais ayant toujours été livrés à eux même suite à la démission totale du rôle de parents de leurs géniteurs dés leur plus jeunes âge, ayant pour cause l’alcoolisme profond de leur père et l’implosion morale et mentale de leur mère, ils inventèrent leurs propre règles, leur propre valeurs, basées sur aucun des préceptes moraux conventionnels.
Pour eux, seul importait leur bien être réciproque.
Plus Kader jouissait de la possession physique de son frère et plus sa volonté de le protéger, de le placer hors de portée de toute atteinte de son environnement grandissait.
Au plus Karim satisfaisait son frère et au plus il se blottissait dans le confort douillet de sa vie exempte de dangers, de heurts, tous ses désirs comblés par son frère.
Kader cependant était doué d’un solide pragmatisme, d’une excellente capacité d’analyse, confirmée par ses seuls résultats scolaires corrects, en mathématiques et géométrie. Il comprit très vitre que l’école, justement, constituait un univers précieux, prévisible, sur, et qu’il fallait s’y maintenir à tout prix. D’abord c’était un lieu idéal pour étendre ses petits trafics, pour racketter avec sa bande les fils de bourges, ensuite la vie au dehors était compliquée car les enfants esseulés sont très visibles et une bonne âme finissait toujours par alerter les flics ou les services sociaux. Le retour à la maison avait systématiquement pour conséquence de morfler des corrections mémorables de son père encore en pleine forme pendant la journée, avant sa grande cuite du soir.
Ainsi il apprit à fournir un service minimum pour pouvoir se faire oublier des profs et des surgés, veillant à ce que Karim, naturellement enclin à l’indolence, en fasse autant.
Les années passèrent ainsi, heureuses, pour les deux frères.
La bande à Kader s’étendit, pour former bientôt un vrai gang, tenu d’une main de fer par un Kader toujours plus brutal, révélant même un sadisme certain dans les tortures qu’il infligeait en guise de punition à ses opposants ou à tout manquement de ses troupes.
Karim devait avoir à peine 9 ans quand l’idée germa dans le cerveau calculateur de son aîné, d’exploiter le savoir faire de son petit frère.
Il commença à prostituer Karim pour récompenser les plus méritants des membres de sa bande, les gratifiant selon l’importance de leur mérite, d’après un barème précis, qui allait de la moins à la plus pénétrante des prestations expertes de son frère.
Karim se prêta là aussi de bonne grâce à cette nouvelle fonction, d’abord parce qu’il y prenait maintenant un plaisir indéniable, sa collaboration à ces relations homosexuelles devenant de plus en plus active à l’approche de la puberté, ensuite parce que sa position d’indispensabilité envers son frère en ressorti encore grandi.
Une conséquence étrange de cette pratique fut que les lieutenants de Kader, prenant très vite goût à ces récompenses sexuelles, les généralisèrent au reste des troupes et ainsi une hiérarchie de sujétion s’installa du haut en bas de l’échelle « sociale » de la bande.
Ces pratiques n’entraînèrent cependant aucun changement des orientations sexuelles de la plupart de membres qui restèrent ‘’mentalement’’ fondamentalement hétérosexuelles. Seul leur sexe, plus pragmatique, se faisait jouir de cette façon bien plus accessible.
Kader veillait farouchement au respect rigoureux des buts de ce système de récompenses physique. Il officiait comme une sorte de juge de paix, avalisant telle prestation qu’il trouvait justifiée mais en interdisant d’autres s’il les estimaient ‘’abusives’’, contribuant ainsi à empêcher toute dérive affective, créant une sorte de Sparte moderne de banlieue.

La bande ainsi tenue et organisée devint d’une incroyable cohésion, soudée, solidaire, différente des autres groupes de jeunes, plus fermée, plus secrète et redoutablement efficace.
Kader en grandissant étendit son emprise sur le quartier puis sur un territoire de plus en plus vaste. Il diversifia ses activités, dirigeant son entreprise avec méthode et discernement.
Il su éviter le piège des arrestations à répétitions en faisant tomber si nécessaire tel ou tel membre de la bande, à tour de rôle, choisi pour son casier judiciaire vierge qui lui garantissait un minimum de sanction, son sacrifice étant gratifié d’une montée en faveur et en grade dans l’organisation.
Il se lança très vite dans le deal de toutes les drogues offrant parfois en bonus au fournisseur les faveurs de son petit frère dont la réputation d’expertise perverse dépassait maintenant les limites du quartier.
Karim, en atteignant 13 ou 14 ans, était devenu d’une beauté stupéfiante, mince et délicat, cheveux noirs bouclés, une silhouette sportive non dénuée de masculinité mais avec une façon de bouger ambiguë, inclassable, incontestablement androgyne sans être véritablement efféminée. Ses gestes étaient doux, véritablement gracieux et souples, sans être arrondis, peut-être parce qu’il faisait tout très lentement ou plutôt sans brusquerie, délicatement, comme quand on coupe des roses en les choisissant posément et en glissant doucement la main qui tient le sécateur entre les épines pour ne pas se piquer.
Ses manières n’étaient pas celles d’un gay, encore moins celle d’une « folle », non il était autre chose : une sorte de chat humain si cette image peut aider à le faire matérialiser.
C’est sûrement à cette époque qu’il contracta le virus HIV, au cours d’une de ses prestations avec un grossiste en héro, contaminé par le virus.
Hélas, ni lui ni Kader n’avait une conscience bien claire des risques encourus lors de rapports non protégés, leur inculture générale en dehors de leur monde restreint étant inversement proportionnelle à leur expertise interne.
Karim fut ainsi à l’origine de la contamination de la quasi-totalité de la bande, puis par extension d’une partie conséquente de la banlieue nord de Paris.
Kader en devenant adulte ne se contenta plus des relations homosexuelles et incestueuses. Il diversifia ses aventures, d’abord avec les autres garçons de sa bande, puis avec des filles, souvent non consentantes, copines ou soeurs violées en représailles d’une tentative de trahison d’un des membres de la bande ou pour faire pression sur un concurrent ou terroriser un témoin potentiel…
Karim fut le premier à profiter de ces exactions, son frère lui cédant souvent volontiers sa place de ‘’premier’’ dans les tournantes, et ce nouveau plaisir intense qu’il découvrit renforça encore sa reconnaissance envers son aîné.
Dés que Kader eu 16 ans il laissa tomber le collège et le domicile familial, abandonnant leur père à ses beuverie et leur mère, de plus en plus effacée, aux violences conjugales, de moins en moins fréquentes en vérité, l’alcoolisme de son mari ayant prit de telles proportions qu’il passait des jours entiers sans émerger des vapeurs éthyliques.
Kader insista pour que Karim continue ses études, par craintes de représailles toujours possibles des autorités, il ne voulait surtout pas risquer la moindre intrusion dans le mode de vie féodal qu’il avait créé et qui aurait pu être menacé par une confrontation avec cet autre monde étranger, régit par des lois inconnues, qui commençaient au delà des frontières de sa cité.
Les seuls représentants de ce monde avec lesquels il ne pouvait éviter d’avoir affaire étaient les flics mais ils n’étaient pas très dangereux tant que la meute restait soudée, il n’osait jamais s’aventurer très loin dans le territoire de non droit qu’était devenu la Martinière, à l’instar d’autres grands ensembles de banlieue.
Ils ne s’attaquaient, comme des hyènes rodant à la périphérie d’un troupeau de buffles, qu’aux plus faibles qui s’égaraient loin de la sécurité de la bande.
Les deux frères auraient pu vivre ainsi, préservés par leur univers ‘’inventé’’, très longtemps encore.
Mais Kader est mort, emportant avec lui le paradis de Karim à tout jamais.

************

Karim suit le cercueil de son frère en s’efforçant de cacher son désespoir. Rien n’est normal dans ces obsèques hors du commun.
D’abord, même si une foule énorme se presse sur le parcours du cortège, Karim n’arrive pas à découvrir un seul visage attristé parmi tous ces gens, au contraire, s’il n’y avait ce corbillard on pourrait croire qu’ils assistent à quelque défilé joyeux. On commente en plaisantant le spectacle, personne n’est affecté, même les parents proches de Kader, père, mère ou cousins semblent soulagés de sa disparition, le sentiment de ‘’bon débarras’’ semble faire l’unanimité.
Jusqu’aux membres de sa bande inclus, tout le monde semble avoir accepté sa mort et son explication officielle sans rechigner.
Pour Kader, nulle manif de soutiens, nulle émeute ou incendie de voiture, aucune demande d’enquête sur les circonstances étranges de ce décès suspect.
Tout le quartier s’en désintéresse, pire, s’en accommode avec désinvolture.
Karim n’a parlé à personne de la scène dont il a été témoin. A quoi bon ? D’abord cela ne ressusciterait pas son frère, ensuite il est terrorisé à l’idée de devoir aller parler à des policiers, à des juges ou d’autres autorités mystérieuses.
C’était Kader qui savait traiter avec le monde extérieur, lui se sent tellement perdu, tellement petit.
Alors il se tait farouchement, ne veut pas penser, à rien, surtout pas à demain. Il se referme sur lui-même pour essayer de faire abstraction de son environnement, il se laisse guider par qui daigne lui donner la moindre directive, il se raccroche même à sa mère qui n’est pourtant quasiment plus une vraie personne, à peine un être vivant, mais qui sait encore fonctionner par habitude.

*********

Des jours s’écoulent avant qu’il n’ose s’aventurer à ‘’l’appart’’, leur ancien refuge, où il a vécu si heureux avec Kader.
Karim est surpris de ne pas découvrir les lieux saccagés par les flics. En fait, ils se sont bien gardés d’enquêter après la mort de Kader, préférant ne pas faire de vagues pour masquer leur bavure.
Une bonne partie des membres de l’ancienne bande s’y trouve, vautrés sur les canapés.
Une odeur de shit remplie les pièces, des canettes de bières et des bouteilles d’alcool vides traînent partout, les poubelles débordent, des mégots jonchent le sol. Ce spectacle désole Karim, du vivant de son frère jamais ils n’auraient toléré un tel foutoir.
Il s’emporte :
-C’est le bordel ici, Faudrait voir à se bouger les mecs, on peut pas laisser l’appart virer au foutoir.
Mais les autres ne semblent pas impressionnés outre mesure par sa sortie, en fait ils paraissent s’en foutre comme de leur première branlette.
-Ok, Karim casse pas les couilles…Bois un coup…Fûmes un pétard…Relaxe…T’es stressé là ou quoi ?
-Je supporte pas ce bordel, faut nettoyer ce merdier !
-Oh tu nous lâche là OK...Si t’es pas content, tu nettoies si tu veux mais tu nous lâches, putain quel chieur ce mec.
C’est Kevin qui lui a répondu mais tous semblent approuver.
-C’est pas moi qui a pourri l’appart, alors vous vous allez tout nettoyer, toi le premier Kevin !
-Ha ouai et c’est toi qui vas me forcer ?
Karim, qui s’est laissé emporter, réalise soudain qu’il ne fait pas le poids face à Kevin, l’un des plus costauds du groupe, bagarreur et vicieux, qu’il ne peut plus rien contre lui sans son frère pour le protéger. Il bat en retraite.
-Oh ça va…Si vous préférez vivre dans une porcherie.
Mais Kevin n’en a pas fini avec lui, une lueur mauvaise brille dans ses yeux
-Mais non, on aime pas vivre dans une porcherie …Pas vrai les gars ? Demande-t il à la cantonade…
-Non on aime pas ça, on est pas des porcs !
Toute la bande lui répond en chœur.
-Alors il nous faudrait une femme de ménage pour nettoyer, non ?
-Oui, oui, bonne idée !
Ils commencent à s’exciter, voyant où Kevin veut en venir, déjà complices. Allez Karim, fait nous un beau nettoyage, petite bonniche…
Karim est terrifié devant ces visages agressifs, il ne sait pas gérer ce genre de situation, il est dépourvu des outils nécessaires, il n’avait qu’à laisser agir Kader le spécialiste, avant.
Il commence à ramasser quelques canettes sous les quolibets de la bande de défoncés qui le harcèlent.
-Quelle jolie Fatma, hein les mecs ? Demande Pierre, elle serait encore plus sexy en petit tablier non ?
-Ouai ! En tablier la Fatma…
Pierre s’empare d’un grand torchon coloré et s’approche de Karim
-A poil la bonniche !
-Ouai, Ouai, à poil ! À poil !
Tout le monde est plié de rire devant l’air paniqué de Karim…
-A poil on te dit !!!
Karim enlève sa chemise, défait son pantalon sous les sifflets des jeunes déchaînés.
-Le caleçon ! Tombe le caleçon !
Karim se retrouve en chaussettes…Kevin le retourne et lui noue le tablier improvisé dans le dos, lui laissant les fesses à l’air.
-Quel beau cul la Fatma ! Pierre lui claque sans ménagement le postérieur.
-Allez, au boulot !
Et Karim recommence à ramasser les détritus, mortifié, la terreur l’empêche de penser, il se laisse humilier et chahuter sans réagir.
-J’ai toujours eu envie de me taper une bonniche ! Déclare Kévin
Il jette Karim à plat ventre sur la table qu’il venait juste de débarrasser.
-Tenez-le !
Il le prend sauvagement, stimulé par les encouragements de la bande…..

**********

Karim est recroquevillé en chien de fusil dans un coin de la pièce, nu et meurtri, il tremble de froid et de douleur. Son calvaire a duré des heures, ils l’ont violé plusieurs fois chacun, d’abord avec leur sexe, puis avec divers objets quand ils n’ont plus pu bander, épuisés par les drogues et l’alcool. Ils l’ont frappé, torturé, écrasant leurs mégots sur son ventre, puis ils l’ont abandonné là et ils sont partis, certains de leur impunité, sachant bien que Karim ne pourrait jamais aller se plaindre de ses bourreaux à qui que ce soit.
Karim essaie de bouger. Il n’est que douleur, ses fesses sont poisseuses d’un mélange innommable de sperme, de déjections et de sang.
Il s’habille en gémissant et se traîne au dehors. La nuit est tombée depuis longtemps, la citée est déserte, Karim disparaît dans l’obscurité.

Scolaires.

Pendant des jours il ne peut rien faire d’autre que se traîner de son lit à la salle de bain. Il se sent si immonde qu’il ne pense qu’à se laver pour essayer de faire disparaître toute cette souillure mais il n’y parvient pas, il sent encore l’odeur fétide qui montait de son corps quand il a réussi à se glisser chez ses parents après le viol collectif. Alors il retourne se prostrer sur son lit, jusqu’à ce qu’il finisse par sombrer dans un sommeil agité.
Finalement ses plaies guérissent mais il reste encore cloîtré des semaines avant d’oser s’aventurer brièvement à l’extérieur.
Il ne peut plus retourner à l’appart, il n’a pas d’ami, il ne connaît personne à qui se confier, ses zombies de parents réalisent à peine qu’il dort dans sa chambre.
Sa mère le nourrit, mais comme elle le ferait pour le chien du voisin, avec une totale indifférence, comme si on lui avait confié son fils à garder pour quelque temps.
Karim, quand il ne reste pas vautré sur son lit, erre pendant des heures dans les rues, en évitant les lieux où il risquerait de croiser des membres de son ancienne bande. Il n’ose pas non plus trop s’aventurer en territoire inconnu, il a horreur de la foule, des lieux fréquentés par tous ces visages étrangers. Alors il cantonne ses errances aux périphéries résidentielles, dans ces lotissements pavillonnaires aux rues désertées pendant la journée.
Un matin il aperçoit une vieille connaissance, un membre éphémère du gang, Ahmed.
Machinalement, il le suit de loin et le voit entrer dans une jolie maison aux volets clos.
Sa curiosité éveillée, il se poste discrètement le lendemain pour surveiller l’entrée du pavillon à la même heure et le manège se répète. Ahmed sonne, un barbu costaud lui ouvre et balaye la rue d’un coup d’œil circulaire avant de refermer derrière lui.
Karim continue sa surveillance pendant des jours et il découvre que d’autres ados viennent régulièrement se faire ouvrir…Il en compte une bonne dizaine.
Il découvre que d’autres visiteurs se succèdent dans la journée, des adultes, tous barbus, parfois en costume traditionnel, affichant tous un air farouche, pas vraiment des têtes de marrants.
Les ados ressortent eux beaucoup plus tard en fin d’après midi, toujours les uns après les autres.
Un jour il suit Ahmed à sa sortie et s’arrange pour le croiser comme par hasard pour l’aborder…
-oh Ahmed, ça va ? Qu’est ce que tu deviens ?
- Oh Karim…ça va ! Désolé pour ton frère, c’est dur…
- Ouai ! Putain…C’est dur …
Ils se mettent à marcher ensemble. Karim lorgne Ahmed du coin de l’œil. Il se rappelle bien de cet Ahmed. Il était un des membres (hahaha) des plus zélés pendant les séances de ‘’gratifications ‘’ sexuelles. Il y prenait manifestement un plaisir intense, et, ce qui n’était pas si courant dans le groupe, tout autant dans les phases actives que passives.
Karim sait déceler le désir au premier coup d’œil et il a instantanément perçu qu’Amed n’en peut plus depuis qu’il s’est approché de lui.
-Viens voir Ahmed, je veux te montrer un truc
Il l’entraîne dans un recoin discret au fond dune allée, caché derrière une haie.
-Qu’est ce qu’il y a Karim, qu’est ce que tu veux ?
-Qu’est ce que tu veux toi ?
Il envoie la main entre les jambes d’Ahmed, agrippe son sexe dur comme un bâton.
-Me touche pas Karim ! Fous moi la paix…
Mais il ne fait aucune vraie tentative pour se dégager, de plus Karim le tient bien trop fermement….
Karim se jette à genoux, réussi l’exploit de dégager le membre raidi sans le lâcher
-Laisse toi faire, tu en crève d’envie, en tous cas il en crève d’envie, lui !
Il engouffre le sexe dans sa bouche experte.
Ahmed se laisse aller en gémissant, en quelques secondes il jouit à longs jets, il avait oublié comme c’était bon.
-Qu’est ce que tu disais ? Tu voulais pas ?
Mais Ahmed n’a plus qu’une envie maintenant, fuir au plus vite.
Il fonce, espérant semer Karim, mais celui-ci le rattrape après quelques mètres.
-Attends, j’ai quelque chose à te montrer ! Regarde comme tu es beau !
Il lui tend son portable sur lequel défile une vidéo d’une étonnante qualité, le progrès de ces appareils est quand même incroyable. On y voit Karim en train de sucer avidement un sexe de belle taille, puis l’image remonte en un travelling approximatif pour découvrir un Amed extasié, lèvres tirées sur un rictus de plaisir, les yeux clos !
-Enculé de ta mère, efface ça !!!! Je vais te tuer putain ! …
-Allez calme toi...Je veux juste te parler ! Dis moi ce qui se passe dans la villa.
-Rien, il se passe rien du tout.
-Allez raconte ! Je suis sur que les barbus que j’ai vu là bas seraient très intéressés par ce petit film.
-Putain, fais pas ça Karim ! Ils me tueraient !
-Alors, raconte !
-C’est un peu comme une école là bas, on apprend le Coran toute la journée.
-C’est tout ? Pourquoi ils donnent l’impression de se cacher.
-Y’a des étrangers, des égyptiens, des algériens, ils sont clandestins, ils sont ici en secret.
-C’est des terroristes ? Demande Karim, amusé, mais la réaction d’Ahmed le calme.
- Putain, Karim, ne dis pas ça ! Ils sont dangereux ! Prononce pas ce mot ! L’affolement d’Ahmed n’est pas feint, il a manifestement vraiment la trouille.
Une idée vient de germer dans le cerveau de Karim, il entrevoit un début de commencement de plan, pour la première fois depuis des semaines ; il a à nouveau un but dans sa vie…
-Je veux que tu me fasses rentrer là bas.
-C’est pas possible, c’est sérieux, il faut apprendre le Coran, lire l’arabe…
-Tu sais lire l’arabe toi ? Tu le parles même pas…
-J’apprends, c’est dur…
-J’apprendrais aussi ! Démerde toi de m’y faire rentrer, sinon, la vidéo …
Karim, malin, trouve un argument de poids :
-Et puis si tu fais ça, on sera ensemble, tu pourras me demander de te faire tout ce que tu veux- Il lui dit, en lui caressant la queue gentiment.
-Bon je vais dire à Hussein, le mollah qui nous enseigne le Coran, que tu veux étudier, mais il va falloir que tu assures, déconne pas …

**********

Cela fait quelques semaines maintenant que Karim suit les cours à ‘’La Villa’’.
Il a tout de suite adoré l’ambiance et les responsables qui encadrent l’établissement avec une discipline de fer.
Enfin il se retrouve dans un lieu où il est protégé, guidé, où il n’a plus rien à décider par lui-même.
Son intuition s’est révélée exacte le jour où il a fait chanter Ahmed pour le forcer à le coopter dans l’établissement. Il a finalement trouvé un endroit où il se sent en sécurité.
Il a été surpris par la brutalité des méthodes d’enseignement, les imams n’hésitant pas à battre comme plâtre les mauvais élèves. D’ailleurs, comme il n’y en a pas vraiment de bons, tout le monde déguste.
L’indolence naturelle de Karim lui a valu quelques dérouillées mémorables au début.
Heureusement il s’est vite adapté, prenant même goût à cet enseignement irréfutable, simple et directif, sans aucune contestation envisageable.
Il s’est révélé doué dans l’apprentissage de l’arabe et il se laisse maintenant endoctriner avec ferveur, découvrant un plaisir intense à la lecture du livre sacré. Il est le premier arrivé le matin et le dernier reparti le soir. Progressivement, il s’impose comme le meilleur du groupe, les imans lui font l’insigne privilège de le laisser lire pour les autres élèves les versets sublimes à haute voix, qu’il déclame en extase.
Au début il a joué le jeu avec Ahmed, le rémunérant en nature pour lui avoir permis de s’introduire dans ‘’La Villa’’, mais maintenant il n’a plus la tête à ça, il ne pense plus guère au sexe et surtout il n’a plus besoin d’Ahmed. Par contre, celui-ci, maintenant qu’il y a reprit goût, se console comme il peut à l’extérieur de ‘’La Villa’’, avec des jeunes junkies qui tapinent pour se payer leur dose. Un soir, un des professeurs le surprend en pleine action et son exclusion est immédiate.
Karim est ravi de l’éviction d’Ahmed, d’autant que c’est lui qui s’est arrangé pour renseigner l’imam afin de se trouver libéré du seul lien qui le rattachait à sa vie antérieure et qu’il traînait comme un boulet.
Un jour, de nouveaux visages apparaissent à ‘’La Villa’’ : un gros barbu borgne d’une quarantaine d’années, l’air pas commode, accompagné d’un moustachu maigrichon à lunettes, effacé et banal, un peu chauve et presque imberbe. L’imam les présente.
-Voici Omar qui va vous enseigner la politique et Mamoud qui vous parlera de technique.
A partir de ce jour, l’enseignement se transforme en véritable endoctrinement.
Il leur faut répéter pendant des heures que l’occident en général et l’Amérique en particulier, sont les pires ennemis des arabes et des musulmans, qu’ils sont aux ordres des juifs qui mènent le monde, que Dieu souhaite que tous les mécréants soient convertis à la seule vraie religion par la guerre…
Karim regrette l’enseignement du Coran, les versets psalmodiés, rythmés et magnifiques, qui permettent de si bien se laisser porter par leur musique exquise pour oublier le monde extérieur.
Là, il lui faut au contraire ne penser qu’au reste du monde, et il n’arrive pas à s’y intéresser vraiment, il s’en fout lui, d’Israël, de la Palestine ou des américains…
Mais il n’en montre rien, le plaisir de se laisser guider l’emporte, après tout, s’il le faut, il veut bien haïr les juifs, les américains ou les esquimaux tant qu’on lui indique qui haïr…
Après vient l’enseignement technique, pendant lequel ils apprennent, en fait, les diverses façons d’étriper, empoisonner, mitrailler, ou faire exploser les ennemis de l’Islam…
Ça dure des jours, ils doivent réciter, répéter encore et encore, maudire les juifs et les occidentaux.
-Sont-ils prêts à se sacrifier ? Oui, ils sont prêts !
Karim s’est montré si doué, si dévoué, qu’il est devenu un résident de la villa qu’il ne quitte plus que rarement.
Il fait le ménage, la cuisine, quand il sort c’est pour s’occuper du ravitaillement à l’hypermarché local, mais il expédie la corvée, pour retourner au plus vite se réfugier à l’abri dans la communauté.
Un jour, il tombe par hasard sur Moustache en poussant son chariot. Le souvenir de la mort de son frère, qui s’était estompé, toujours présent mais moins douloureux, enfoui quelque part dans ses neurones, remonte brutalement à la surface et le terrasse. Il vacille, se raccroche à son chariot plein. Moustache est là, devant lui, content d’être lui, l’immonde porc, sa moustache ridicule lui masquant la bouche, des restes douteux accrochés dans ses poils, sa trogne de dégénéré grêlée de couperose…
Une bouffée de haine incommensurable submerge Karim. Tout l’enseignement qu’il a reçu depuis des semaines trouve soudainement son sens, le monde occidental révoltant décrit par les mollahs vient de s’incarner dans la personne répugnante de Moustache….
Il court se réfugier à ‘’La Villa’’, anéanti, tous ces mois de tranquillité d’esprit réduits presque à néant.
Karim tombe malade, réellement malade, un virus banal le démoli, n’oublions pas qu’il est séropositif, ça plus la déprime consécutive à sa rencontre avec Moustache, et c’est la fête aux microbes dans son corps fragile.
Il ne quitte plus son lit, il a 40 de fièvre, parfois il délire dans son sommeil.
Les cadres de la villa le laisse affronter sa crève tout seul, ils ne veulent pas risquer d’appeler un médecin, ils s’en remettent à Allah qui est bien assez omniscient pour pouvoir décider du sort d’un ados fiévreux.
Un soir qu’ils tiennent conseil, Karim, qui dormait dans la pièce à côté se réveille. Il se sent un peu mieux, sa fièvre a du tomber.
La porte est mal fermée, il perçoit une conversation animée. D’abord distrait, le cerveau encore embrumé par le sommeil, il n’écoute pas vraiment. Puis quelques mots clefs : explosif, attentat, kamikaze éveillent son attention.
Les chefs sont en train d’essayer de déterminer qui, parmi les plus fervents des élèves, ferait le meilleur candidat pour commettre un attentat suicide…Là, pour le coup, Karim se réveille pour de bon et il n’en perd plus une miette.
Ils passent tous les élèves en revue, dont lui-même, qui ne recueille que peu de voix.
Omar à la parole.
-Karim, oui, il serait peut-être bien, mais il est fragile, il va peut être rester malade, il n’est jamais vraiment très costaud…trop gentil…trop doux…
Ils finissent par s’accorder sur deux autres élèves, des vrais fanatiques, un peu bornés.
Karim, le lendemain se fait violence et se force à se lever. Il se prépare un petit déjeuner. Il doit reprendre des forces, guérir, il le faut…
En deux jours il est sur pieds, il pourrait pas faire un marathon mais ça va. Il se lave, se récure de la tête aux pieds, se purifie la bouche, s’épile l’excès de sourcils et les quelques poils disgracieux qui poussent sur sa poitrine…
Il a un plan et il veut être en forme pour l’exécuter.

Rêve d’Omar

Omar comme chaque soir ne trouve pas le sommeil. Les mêmes pensées, les mêmes visions viennent le tourmenter. Il se remémore son enfance, dans la banlieue d’Alexandrie, les heures heureuses passées à vadrouiller loin des adultes avec son copain Nasser ….
Il connaissait tous les recoins, toutes les planques, pour s’isoler du reste du monde. Là, bien caché des adultes, il jouaient à des jeux rigoureusement interdits qui auraient pu leur valoir des punitions terribles s’ils s’étaient faits attraper.
Il n’a jamais plus éprouvé autant de plaisir dans sa vie, même après son mariage. Sa femme, Mouna, n’a jamais pu lui procurer la même extase. Et comment aurait-elle pu ? Elle n’est qu’une femme, indispensable pour la reproduction, et encore, infoutue de pondre autre chose que des filles. Après la naissance de la quatrième, Omar a perdu toute envie de tenter une nouvelle fécondation pour enfin obtenir un fils, et il a commencé à la délaisser.
Ses départs en missions à l’étranger pour le réseau sont devenus dés lors de plus en plus fréquents, excellente excuse pour s’éloigner de ce nid de moukères.
Omar se rappelle du corps doux de Nasser, de son sexe si prompt à se durcir à la moindre caresse. Comme il aimait se laisser posséder longuement, éperdu d’amour et de dévotion pour son ami si viril.
Omar bande comme un âne à cette évocation…
Depuis cette époque lointaine, il a réussi à contenir son penchant si contraire aux commandements du prophète, mais depuis qu’il est à ‘’La villa’’, son désir s’est brutalement réveillé quand il a vu Karim pour la première fois.
Sa beauté, sa souplesse de chat ont réactivé toutes ses pulsions, sa ressemblance avec Nasser a tout fait remonter à la surface.
Il est obsédé par cette peau si délicatement halée, par ses yeux de biche et surtout par ce sexe si généreux qu’il a réussit à entr’apercevoir en rodant autour de la douche.
Il se tourne sur le ventre, commence à frotter son membre raidi sur les draps…Ca serait si bon si ce Karim si bien monté venait l’empaler, là, maintenant…
Il râle doucement, la jouissance n’est plus très loin. Il entrouvre les paupières….
Karim est là, dans l’encadrement de la porte de la chambre. Omar sursaute.
-Qu’est ce que tu fais là fils, de pute ?
Karim referme la porte, un doigt posé sur ses lèvres, souriant gentiment
-Tais toi, tout le monde va t’entendre, qu’est ce que tu leur diras s’ils viennent ?
Omar réplique à voix plus basse, maté par le ton tranquille de Karim
-Va t’en, je veux rien à voir à faire avec toi, tu es le diable tentateur !
-Mais non, je suis pas le Diable, je suis juste ton Karim…
Il pose la main doucement sur le sexe à Omar.
-Tout ce que tu veux, c’est ce que je veux- Il commence à le caresser
Omar est subjugué, sa bite est si dure qu’elle lui fait mal. Il ferme les yeux et se laisse emporter.

**********

Omar ne pense plus à rien d’autre qu’au moment où Karim le rejoindra dans sa chambre. Il est d’excellente humeur depuis plusieurs jours, il en oublie de battre ses élèves, d’ailleurs l’enseignement du Jihad lui paraît bien moins primordial aujourd’hui, il se dit que, finalement, certains plaisirs terrestres ne sont pas si secondaires.
Un soir, Karim est encore plus cajoleur que d’habitude.
-J’ai quelque chose à te demander.
-Tout ce que tu veux.
-D’abord je veux que tu sois détendu.
Il se glisse sur Omar, l’immobilise en s’essayant à califourchon sur son ventre
-Je vais te faire le ‘’Karim Spécial’’.
Omar n’en demande pas plus, il pourrait passer sa vie à subir le ‘’Spécial’’.
Karim enduit longuement son propre sexe, dressé devant les yeux d’un Omar fasciné, de lubrifiant parfumé, puis il glisse sa main dégoulinante entre les jambes d’Omar, progresse encore en écartant les fesses grasses et velues et introduit ses doigts dans l’anus accueillant.
-Là, tu es prêt…
Maintenant, il descend vers le ventre d’Omar avec sa langue, mordillant, léchant, jusqu’au sexe qui palpite d’impatience.
Il le prend entièrement dans sa bouche. Ce n’est pas très difficile, Omar n’a rien de Siffredien, et il commence à le sucer habilement.
Omar halète de plaisir et d’impatience, tout son corps tendu dans l’attente de la suite.
Karim écarte les cuisses velues d’Omar tout en le suçant. Il est incroyablement souple, son corps mince positionné entre les jambes du barbu se courbe, se courbe encore et l’impensable se produit : son sexe se glisse entre les fesse d’Omar et le sodomise sans que Karim interrompe la fellation !
La jouissance d’Omar est indescriptible, il est secoué de longs spasmes, de grosses larmes de reconnaissance coulent sur ses joues et se perdent dans sa barbe.
Karim s’allonge sur lui, l’immobilisant de son corps flexible doté d’une force étonnante.
Omar s’enivre de l’odeur de son amant et sent déjà son désir renaître.
-Voilà ma demande Omar, je veux être le kamikaze.
Omar tente de repousser Karim sans succès.
-Ca va pas Karim ! ? Pas question ! C’est pas pour toi ! On a déjà choisi Youssef, bouge toi de là !
-Je veux le faire et tu vas m’aider !
-Pourquoi je ferais ça ? T’es pas bien là avec moi ? Qu’est-ce que je deviendrais moi ? Tu y as pensé ?
-J’ai surtout pensé à ce que tu deviendras si c’est pas moi qui suis choisi…
Omar décèle la menace dans le ton de Karim
-Qu’est ce que tu veux dire ?
-Je vais te montrer un film et t’énerve pas...J’en ai plein de copies…
Karim allume son portable pour faire défiler un best off de leurs ébats, avec un ‘’Karim Spécial’’ d’anthologie en apothéose.
-Fils de pute, enculé, je vais te tuer ! Tu sais que je vais te tuer, non ?
-Non, Omar, JE vais me tuer. Tu seras ainsi débarrassé de moi à tout jamais, sinon ces images seront diffusées sur Internet, tout est prévu…Tu sais que c’est possible…Un simple clic et tu deviens une ‘’pornstar’’ planétaire …Et au fait, c’est toi l’enculé, non ….. ?
Omar capitule
-Mais on a déjà choisi Youssef…
-Vous avez rien choisi du tout, vous hésitez encore, et puis c’est toi le chef, non ?…démerde-toi ! Tu es le chef et tu leur fous la trouille, à tous, alors profites en !…

On s’éclate !

Omar n’a guère eu de difficultés pour convaincre son groupuscule de conspirateurs que Karim est le meilleur candidat kamikaze pour perpétrer l’attentat qu’ils préparent.
Karim a raison, il est le chef incontesté et tout le monde est prompt à se rallier à son avis, de plus Karim semble objectivement un bon prétendant. Il a l’age idéal, un Martyre mineur est toujours médiatiquement plus payant, il montre une motivation sincère, son fanatisme paraît inébranlable.
Karim dispose d’un atout supplémentaire, mis habilement en avant par Omar, il est outrageusement beau !
Il développe cet argument, les force à imaginer l’impact que cette gueule d’ange aura quand sa photo sera diffusée par tous les journaux, télévisés ou imprimés, du monde…
Karim ne quitte donc plus ‘’La Villa’’, tout contact avec le monde extérieur lui est dorénavant formellement interdit.
En contrepartie, il est traité avec égard, il est maintenant dispensé de toute corvée.
Il est constamment pris en charge, de son réveil jusqu’à son coucher.
On le nourrit, on lui fournit du linge propre chaque jour. On l’accompagne dans des longues prières et on le prépare pour l’attentat.
Il participe à des interminables séances d’entraînement ou il doit répéter des dizaines de fois tout le déroulement de l’opération, les gestes à effectuer, ou se placer, comme pour une pièce de théâtre mais tout cela est fait avec douceur, ses instructeur se montrent conciliant, faisant même montre de compassion, mêlé d’une certaine forme de respect.
Karim se montre réceptif au delà de toutes espérances grâce à ces méthode, il s’imprègne de tout cet enseignement avec avidité, en fait il ne s’est jamais senti aussi bien depuis la mort de Kader.
Enfin il se retrouve de nouveau enfermé dans un cocon douillet, isolé du monde, en sécurité, préservé de tout risque, exempté de toute nécessité de prise d’initiative. Heureux d’être prisonnier de cette bulle, ou d’autres, plus compétents, plus savants, plus instruits des règles, prennent toutes les décisions pour lui.
Uniquement la nuit, quand Omar réussi à se débarrasser des témoins dangereux, Karim redevient un être volontaire et capable d’assurance pour remercier Omar de l’avoir imposé comme porteur de bombe pendant l’attentat imminent.
Il use de toute sa science érotique avec lui, utilisant la totalité de son corps souple et lascif, mais dans le même temps si viril pour affoler Omar, le rendre toujours plus dépendant sexuellement, recréant un type de relation en somme assez proche de celle qu’il entretenait avec son frère.
Sauf qu’il n’aime pas Omar, bien au contraire.
Il déteste son gros corps velu, l’odeur fétide de son haleine, son crâne dégarni qui brille de sueur huileuse quand il l’encule brutalement en fouettant jusqu’au sang ses fesses flasques à grands coups de ceinture, ses râles de plaisir et sa bave dégoulinant de sa gueule entrouverte.
Mais Karim est un vrai pervers intelligent et il jouit intensément de cette possession, tirant un plaisir extrême de son pouvoir de vie et de mort sur ce dangereux chef terroriste, recherché par toutes les meilleures polices du monde et pourtant totalement soumis à sa merci.

**********

Omar compte les jours qui le séparent de sa délivrance.
Il voudrait tant retrouver le repos, il aspire tant à un peu de tranquillité d’esprit.
Il n’en peut plus de n’avoir en tête que le corps de Karim, que l’envie de caresser, d’embrasser cette peau souple, douce et chaude. Il voudrait se débarrasser de son obsession du généreux sexe durci de Karim, de son besoin irrépressible de le toucher, de le sucer, de se laisser pénétrer au plus profond par lui, de son odeur suave ou de son goût salé…
Mais il sait qu’il n’aura jamais la volonté nécessaire pour rompre cette relation de soumission absolue, qu’il ne pourra jamais se passer de cet amour dévorant…
Alors il attend fiévreusement le jour de l’attentat suicide pour être enfin délivré de Karim et de son corps adoré.
Cependant, l’idée de cette chair si parfaite déchiqueté et disséminé par l’explosion lui arrache des sanglots de désespoir.
Cette image le hante, elle l’obsède jusque pendant ses prières, elle se superpose à toute autre pensée.
Il n’arrive à l’estomper qu’en s’absorbant dans des taches matérielles répétitives, vérifiant chaque étapes de l’attentat, faisant répéter encore une fois le rôle de chaque acteurs du drame en préparation.
De plus, Omar sent monter une angoisse incontrôlable, presque un début de panique à l’approche du jour fatidique. Il sent bien que la volonté de Karim d’être le porteur de bombe cache quelque chose, mais quoi ?
Depuis qu’il a été désigné, il montre une telle détermination farouche, on pourrait penser que sa motivation est sincère…
Mais Omar sait pertinemment que Karim n’est pas le petit jeune fanatisé et décervelé qu’il réussit si bien à incarner, un être aussi calculateur agit nécessairement pour son propre compte et Omar doit trouver le moyen de priver Karim de toute possibilité de contrecarrer le plan de l’attaque
programmée. Alors il s’ingénie à multiplier les précautions.

Le jour ‘’j’’, lui et Mamoud conduiront en voiture Karim et deux ‘’accompagnateurs’’, Habib et Mustapha, jusqu’au métro, vers 11h du matin, l’intention étant de faire exploser la bombe en arrivant dans une grande station hyper fréquentée du centre de paris à l’heure de pointe, juste passé midi.
Pas question de s’aventurer en voiture avec la bombe dans Paris, les chances qu’une patrouille de police croisée par hasard, résiste à la tentation du contrôle d’une voiture remplie d’Arabes étant négligeables en cette période de surenchère sécuritaire préélectorale, donc les trois jeunes effectuerons tout le voyage en métro, ou il ne risqueront d’être contrôlés que par les agents de la RATP, seulement pour vérifier leurs billets.
Les ‘’accompagnateurs’’, en fait les gardes du corps de Karim, resteront jusqu’au bout pour le soutenir et pour empêcher celui-ci de se raviser au dernier moment. C’est Habib qui enclenchera le détonateur de la bombe, Mustapha, un colosse de presque deux mètres pesant son quintal pourra, lui, immobiliser Karim s’il tentait de fuir au dernier moment. Ensuite ils ne disposeront que de trente secondes pour s’éloigner assez loin de l’explosion pour ne pas être touchés gravement, mais toutes les répétitions ont montré que ce laps de temps était probablement suffisant.
Omar a eu une idée de dernière minute pour améliorer son plan en s’assurant la ‘’collaboration’’ de Karim : Mustapha pourrait l’attacher au siège ou à une barre de sécurité du wagon avec un de ces collier ‘’Serflex’’ en plastique ultra résistant qui servent à relier rapidement divers matériaux dans l’industrie.
Omar et ses lieutenants préfèrent que le Kamikaze soit seul, ils espèrent que son geste n’en aura que plus de poids, que ce sacrifice, symbolisé par un seul visage, surtout aussi photogénique que celui de Karim, aura encore plus d’impact dans l’imaginaire collectif.

**********

Karim, Mustapha et Habib marchent dans les couloirs du métro, Karim encadré par les deux autres.
Ils ressemblent à n’importe quel autre trio de jeunes de banlieue, tous trois vêtus du même quasi uniforme, baskets, jeans informes, blousons amples recouvrants des sweats à capuche. Ils sont tête nue, Omar leur a interdit les casquettes ou les bandanas pour minimiser leur impact visuel, il sait que le cerveau rudimentaire mais au cortex visuel surdéveloppé des vigiles qui patrouillent dans le metro, réagissant à des stimulis simples, induisant des réflexes pavloviens, sont d’abord attirés par les têtes couvertes, = provoc, =voyou, =contrôle, et il ne veut prendre aucun risque.
Karim a perdu son allure souple et légère naturelle, sa démarche est devenue plus pesante et sa silhouette est plus enveloppée. Cela n’a rien de surprenant, compte tenu des 40 kilos d’explosif et de débris tranchants en ferraille disposés autour de son corps.
Ils discutent vivement entre eux, le thème de la conversation, le foot, a été fixé d’avance par leur chef, il faut qu’il puisse les occuper pendant tout le trajet, pas question de laisser leur esprit libre de développer des pensées négatives, d’afficher une mine sombre et suspecte.
Il n’y a pas foule dans cette station de banlieue, la rame qui revient du terminus est presque vide.
Les trois ados montent et s’assoient, toujours en discutant des mérites comparés des joueurs du PSG. Ils ont trois bons quarts d’heure de voyage avant d’atteindre leur objectif et pour le moment ils sont relaxs, la tension montera plus tard. Ceci explique pourquoi l’attention de Habib et Mustapha soit pour l’instant relâchée et qu’ils ne réagissent pas vraiment quand Karim se lève pour, apparemment, réajuster ses fringues qui doivent l’empêcher de s’asseoir confortablement
La sonnerie de départ imminent retentit et Karim franchit les portes souplement à la seconde ou elles se referment.
Le temps que ses gardiens médusés réagissent et le métro démarre déjà.
Ils se jettent sur les portes closes et n’ont que le temps d’apercevoir Karim disparaître tranquillement vers la sortie. La rame accélère, emportant les deux gardes du corps catastrophés.
Habib compose le numéro d’Omar sur son portable mais il n’obtient aucun signal. Ils doivent attendre plusieurs longues minutes pour arriver à la prochaine station. Ils se ruent hors du métro pour pouvoir téléphoner.

**********

Omar et Mamoud sont en train de retourner à ‘’la villa’’ quand le portable d’Omar sonne. Il est alarmé et furieux de découvrir ‘’qu’ils’’ l’appellent déjà.
-Vous devez appeler qu’en cas d’urgence, j’espère que c’est important, parles !
Habib lui répond d’une voix altérée :
-Karim n’a pas pris le métro…
-Quoi ! Il est ou, il est ou ?
-Je sais pas, il nous a semé…
Habib lui conte tout en détail.
Omar est pris de vertige.
-Oh l’enculé de sa mère la chienne, il le savait que Karim préparait quelque chose, mais il pensait avoir paré à toute éventualité ;
Il ordonne à Mamoud qui conduit la voiture :
-Retourne au métro !
-Quoi ? Mais pourquoi ?
-Karim nous a doublé, il faut retrouver ce fils de pute, fonce !
Mais Mamoud n’a rien d’un as du volant, il fait demi-tour posément et repart tranquillement vers le centre ville sous les exhortations d’un Omar au bord de la crise de nerf.
Ils s’arrêtent devant l’entée du métro.
Ils scrutent la place devant la cathédrale et la rue semi-pietonne qui s’en éloigne, mais ils ne découvrent pas l’ombre de Karim.
-Ou peut-il être ce fils de chienne, il a pas pu aller très loin ?
Ils descendent la rue lentement en observant les passants. Un vieillard amusé contemple son chien qui se roule parterre, une fille à l’air provocant, assise sur le dossier d’un banc les cuisses impudiquement dénudées par sa jupe trop courte, petite salope occidentale typique, les regarde passer avec désinvolture, une touriste blonde en tenue colorée, manifestement étrangère, filme la cathédrale avec application…
-Ou il a pu aller ?...
Omar se retourne pour regarder la perspective de la rue par la glace arrière et le commissariat explose !
Mamoud pile. Ils se ruent hors de la voiture.
Le vieillard court après son chien en titubant puis trébuche et tombe sur le trottoir, juste a coté d’une camionnette blanche qui freine brusquement, son chauffeur sort et contemple le spectacle, la fille hurle comme une folle…
Puis dans un bruit effroyable l’immeuble du commissariat s’effondre sur lui même, générant un gigantesque nuage de poussière qui englouti la rue entière puis se lance à l’assaut des tours de la basilique.
Mamoud, effaré, se tourne vers Omar.
-Il a fait sauter le commissariat ! Pourquoi ? Pourquoi il a fait ça, Omar ?
-Je sais pas… Répond Omar d’une voix étonnamment calme, -je sais pas… --Ne restons pas ici, ça va grouiller de flics dans dix minutes et il ne fera pas bon être bronzé dans le secteur.
Ils remontent dans la voiture, Mamoud s’installe au volant et démarre.
Omar se retourne pour essayer de voir la scène du drame une dernière fois mais on ne peut plus rien distinguer à travers le nuage de poussières.
Il se rassoit et se cale confortablement dans son siège.
Tout son corps se détend, sa pensée s’éclaircit, il recommence à percevoir un paysage mental, comme si le brouillard qui opacifiait son esprit était en train de se dissiper, réchauffé par le rayonnement de cet évènement chaleureux :
Karim s’est fait sauter !
Peu lui importe les raisons qui ont poussé l’adolescent à choisir cette cible minable, seule compte cette certitude : Karim est annihilé !
Peut être aura-t-il du chagrin d’avoir perdu son bel amant, plus tard, mais pour l’instant, un sentiment de paix sereine l’envahit…
Il se tourne vers Mamoud.
-Il nous faut quitter le pays au plus vite, la bombe a explosé ou elle a explosé, personne n’y peut plus rien, telle était la volonté de Dieu…

 

Moustache.

Moustache est de très bonne humeur en sortant de chez Dédé.
Comme chaque matin il s’est arrêté pour s’envoyer un express arrosé, poussé par une petite ‘’fine’’ pour se donner du cœur à l’ouvrage avant d’aller bosser !
Tout ça c’est façon de parler puisque son boulot de flic ne lui pèse en rien, bien au contraire, abuser de son autorité face à un public désemparé c’est son plus grand plaisir !
Il est en famille chez Dédé. Le patron, André Laporte, est comme lui un ancien de la Légion et du PFN. Dans son troquet, il est sur de ne pas tomber sur un arabe, rien à voir avec les cafés du centre ville, tous squattés par des cohortes de bronzés !
La on est en pays ami, tout le monde a toujours voté pour Jean Marie, colle les affiches du FN à chaque élection et casse du gaucho en toute impunité, quand ils viennent porter plainte ils tombent sur ceux-la mêmes qui les ont tabassés la veille.
Mais si Moustache sifflote, si guilleret en marchant vers le commissariat, c’est pour une toute autre raison, il est heureux car ce matin il a tiré un super coup !
Hors, cette âme simple est toujours réjouie par les plaisirs essentiels de la vie…
Sa femme s’est montrée très coopérative ce matin, il est vrai qu’hier soir il a bien chargé à l’apéro avec quelques potes du Front pour arroser les excellents sondages de ‘’Fifille’’, et quand il est ivre il cogne encore plus dur en rentrant à la maison, moins longtemps mais plus fort que d’habitude, comme s’il désirait se montrer plus ‘’concis’’ mais plus ‘’percutant’’ avant de s’écrouler dans un quasi-coma éthylique pour cuver sa cuite…
Monique, sa femme, s’est éclipsée bien avant l’horaire d’ouverture de la banque ou elle travaille, sans un mot, sans un regard vers son mari, pour qu’il ne puisse pas lire la honte et le désespoir dans ses yeux…
Elle lui a laissé le champ libre pour qu’il puisse aller réveiller leur fille en douceur.
Elle est si jolie Isabelle, il adore quand elle ouvre ses yeux verts magnifiques.
Il aimerait peut être bien y découvrir un peu d’affection dans ces beaux yeux mais peu importe, au fond il s’en tamponne qu’elle l’aime ou pas, il reste pragmatique, tout ce qu’il lui demande c’est de ne pas regimber et de se laisser faire en silence.
Au début, il y a quelques mois de ça, elle a protesté, elle l’a supplié en pleurant de la laisser tranquille, elle se débattait tellement qu’il devait la gifler
pour la calmer, ça lui gâchait son plaisir, il ne l’avait jamais frappée avant et il n’aimait pas ça.
Puis il a eu cette idée géniale pour qu’elle se tienne enfin tranquille :
Elle est douée pour le dessin et elle adore ça, une vraie vocation…
Alors, il a pris sa main délicate dans ses pattes puissantes, il lui a immobilisé l’avant bras et il s’est mis à forcer sur les doigts fragiles pour plier la main à l’envers, la forçant vers le poignet jusqu’à ce qu’Isabelle sente ses fines jointures sur le point de céder. ‘’Voilà ce qui va t’arriver, ma chérie, t’as pigé ? Terminé le dessein pour toi, et crois pas que tu pourrais aller te plaindre, personne te croiras, le gentil flic c’est moi, idiote…’’
Après ça, elle s’est tenue tranquille, il n’a plus eu qu’à cogner sa mère un peu plus fort au début pour faire taire ses timides tentatives d’interpositions.

Il entre dans le commissariat, gratifie les fonctionnaires présents d’un ‘’salut les filles’’ joyeux, lance quelques plaisanteries graveleuses.
Ruiz, un pied-noir doté d’un tour de taille hypertrophié qui l’oblige à écarter les jambes en permanence quand il est assis pour laisser s’étaler sa panse, l’interpelle :
-Ho, Moustache, t’as vu, t’es à l’accueil aujourd’hui.
-Hé merde, fais chier, c’était pas le tour de Jeannot ?
-Il a une gastro, paraît-il, son fils lui a refilé…
Moustache lui réplique perspicacement :
-Gastro tu parles, provoqué par le litron de pastis qu’il a du s’enfiler hier soir, oui ! Regarde-moi : ça c’est du pro ! Torché la veille mais toujours frais le matin !
Mais il proteste pour la forme, au fond il s’en fout d’être à l’accueil, ça lui plairait plutôt, c’est le meilleur poste pour glander et emmerder le public, envoyer paître ou compliquer la vie des gens, il adore ça.
Sa grande spécialité à Moustache, celle qui lui a valu cette notoriété chez tout les flics dignes de ce nom, c’est la ‘’plaintotrou’’, en clair : réussir à ce qu’un individu venu pour déposer une plainte, se retrouve gardé à vue pour un délit quelconque, passant du statut de plaignant à celui de suspect !
C’est excellent pour les statistiques sur la délinquance : une plainte en moins et une affaire élucidée en plus, mais surtout ça permet d’enrichir la morne routine du travail de policier d’anecdotes croustillantes.
Cela demande une grande subtilité, un sens développé de l’observation pour déceler la pauvre victime pas sure d’elle, craignant les autorités, toute prête à se laisser déstabiliser par un policier hargneux et sur de son pouvoir. Mais les cibles potentielles sont légions dans cet environnement défavorisé ou les voyous côtoient quotidiennement, parfois sous le même toit, leurs malheureuses victimes.

Ca promet d’être une belle journée !

**********

Karim se retourne brièvement pour vérifier que ses gardiens n’ont pas eu le temps de le suivre. Il a juste le temps de les apercevoir le nez collé à la porte du métro qui démarre, lui faisant des signes désespérés. Il se réjouit à la vue de leurs mines catastrophées, d’imaginer l’intensité de la punition qu’ils vont subir le remplit de joie.
Mais il n’a pas de temps à perdre, il a rendez-vous avec son destin…
Il sort à l’air libre et s’éloigne de la bouche du métro en essayant d’atténuer sa démarche lourdingue pour se faire le plus discret possible.
La rue est presque déserte, quelques touristes sortent de la cathédrale, il rattrape et double un vieux monsieur qui tente de conserver un semblant de dignité pendant qu’il s’efforce de freiner un chien immonde tirant puissamment sur sa laisse en haletant comme un asthmatique…
Malgré la charge qui pèse sur ses épaules, Karim marche d’un bon pas.
Arrivé devant le commissariat il s’immobilise devant le perron, semblant se recueillir pendant quelques minutes, puis il entre résolument.

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Moustache est affalé derrière le comptoir de l’accueil du commissariat. Il est plongé dans la lecture de l’Equipe.
Plongé à sa manière, c’est à dire que toutes les trois lignes d’un article pourtant fort peu intellectuel parcouru le front plissé par l’effort, il lève la tète pour commenter en termes péremptoires ce qu’il est en train de lire, persuadé que son avis est infiniment plus pertinent que celui du journaliste et désireux de faire profiter ses collègues de sa science, qui se régalent d’ailleurs à l’écouter pérorer.
C’est lors d’un de ces intermèdes qu’il découvre avec déplaisir ce jeune Maghrébin, debout de l’autre coté du comptoir, qui le fixe d’un regard fiévreux.
Malgré son aversion viscérale pour tous types de ‘’bronzés’’, il ne peut s’empêcher d’être frappé par la beauté frêle, presque surnaturelle, des traits de l’adolescent, contrastant avec ce corps empâté.
Sa répugnance en est immédiatement multipliée, (passe encore qu’’ils’’ existent si en plus ‘’ils’’ sont beaux), il sent une de ces bouffées de haine dont il est coutumier l’envahir.
Il interpelle l’ado agressivement :
-Ouais, c’est pourquoi ?
-C’est au sujet de Kader, répond Karim d’une voix douce.
-Kader ? Quel Kader ? Y’en a des wagons de Kader par ici !
Mais une note d’inquiétude transparaît dans sa voix et son regard, un peu de sueur perle son front…
Karim lui répond toujours aussi tranquillement :
-Mais si tu sais de quel Kader je parles puisque c’est toi qui la tué, je t’ai vu.
-Espèce de petit connard, qu’est ce que tu raconte ?
Mais son ton est mal assuré, il jette des coups d’œil furtifs autour de lui pour s’assurer que personne ne l’écoute…
-Tu as tué mon frère Kader, tu l’as tasé et tu l’as tabassé jusqu’à ce qu’il en crève, j’étais la, planqué, et j’ai tout vu…
-Kader avait un frère ? Première nouvelle ! De toutes façons il est mort d’une crise cardiaque… Il se donne même plus la peine de nier les faits…
-Et puis c’est bien fait pour lui, c’était une ordure ton frère, le quartier est bien plus peinard sans lui, je suis sur que toi aussi il devait te faire morfler, tu devrais être content qu’on t’en ai débarrassé…
-Moi je l’aimais Kader, c’était mon seul frère et vous, vous allez crever !
Moustache commence à en avoir sa claque de ce taré, en plus il lui fout les chocottes…
-Bon ça suffit, tu te tires maintenant, je t’ai assez vu, c’est pas un ‘’gris’’ qui va faire la loi, non ? Dégage sinon je te fous en garde a vue et tu vas pas aimer ça, crois moi !
Mais Karim ne montre aucune crainte face à ces menaces. Il lui répond calmement :
-Tu vas crever, je te dis, et tous les autres flics avec toi, regarde !
Il ouvre son blouson et découvre les dizaines de barres d’explosif qui l’entourent.
La terreur envahit Moustache à la vue de la bombe mais surtout en découvrant la détermination inébranlable qui luit dans les yeux de Karim.
Il voudrait se jeter sur lui pour tenter de le maîtriser mais le comptoir les sépare. Il essaye de le raisonner en bafouillant, la voix étouffée par la trouille :
-Déconne pas, putain, ho, on va discuter, je l’ai pas tué ton frère, il avait une maladie de cœur, il a eu une attaque, c’est tout, c’était un accident…
Mais ses paroles n’ont aucune prise sur Karim qui le regarde maintenant d’un air absent, alors il se met à hurler hystériquement :
-Il a une bombe cet enculé, chopez le, vite, vite…

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Karim se sent bien.
Il vient de déclencher son détonateur et dans quelques secondes son frère sera vengé.
La terreur de Moustache se déverse dans son cœur comme du miel, il sent une infinie douceur l’inonder…
Il ne ressent aucune peur, au contraire, il ne doute pas de rejoindre bientôt ses frères martyrs au Paradis, d’y être accueilli en héros comme promis par ses enseignants.
Il est persuadé que Dieu l’Omniscient saura lui pardonner ce petit changement d’objectif puisque l’explosion va servir une juste cause, bien supérieure à la suppression de quelques vies innocentes dans le métro.
Il regarde une dernière fois autour de lui, constate que les autres flics n’osent pas intervenir, paralysés par la peur.
Le silence est total, à peine troublé par les gargouillis émis par Moustache qui est en train de se vidanger les tripes dans son froc, diffusant une odeur abominable.
Il le regarde et lui sourit

‘’Allah Akbar !’’

Il s’éparpille dans une nuée rougeâtre…

 

Clôture.

Jacques Marchand est arrivé pour une fois de très bonne heure au bureau pour relire ses notes et tenter de les classer dans un ordre compréhensible pour le commun des mortels.
Il a toujours été incorrigiblement bordélique, aussi perd-il un temps fou à trier ces feuillets disparates, écrits à la main d’une écriture épouvantable, car il affecte évidemment une totale aversion de principe envers tout moyen d’écriture moderne et électronique.
Ses pages sont raturées, tachées, remplies d’annotations en marge mais aussi en interligne, ou faisant le tour du bord de la feuille, toujours en sens inverse des aiguilles d’une montre, va savoir pourquoi…
Il en profite pour relire des passages entiers, se replongeant avidement dans cette histoire hors du commun.
Il a terminé ses investigations. Il a apprit tout ce qu’il y avait à apprendre sur les protagonistes, sur l’environnement dans lequel ils ont vécu, sur leurs motivations…
Cà fait longtemps que lui, d’ordinaire si blasé, n’a été captivé ainsi par une enquête.
Après qu’ils ont réussi à identifier Karim, ça n’a pas été très compliqué de démêler chaque fil qui reliait les nombreux acteurs entre eux…
L’étrange relation amoureuse qui soudait les deux frères Attah, le véritable catalyseur des réactions en chaînes qui ont aboutis à l’explosion du commissariat, a fasciné Jacques.
L’absence de hasard du déroulement de l’histoire est l’autre fait qui l’a interpellé.
L’explosion s’est produite car plusieurs suites d’évènements non aléatoires, parfaitement interactifs et logiques, ont créé l’environnement indispensable à sa genèse puis ont donné les moyens matériels aux protagonistes pour qu’elle se produise.
Jacques s’efforce de trier ses feuillets en deux tas distincts : d’un coté celui du concret, les notes concernant le déroulement des évènements et toutes les personnes ayant un rapport avec l’affaire, plus les comptes rendus des surveillances, des filatures ou des interventions tout au long de l’enquête.
L’autre tas est constitué de toutes les annotations contenant ses pensées personnelles, avec les idées parfois saugrenues qui lui viennent pendant une investigation, certaines se révélant très utiles pour éclairer les faits sous un angle différant et le lancer sur de nouvelles pistes ou exposer des détails insoupçonnés, d’autres n’ayant au contraire aucune utilité mais ouvrant des champs de réflexions intéressants.
En se relisant, certaines de ses cogitations lui reviennent, par exemple celles sur l’intégration des immigrés. Jacques est bien trop cynique et désabusé pour être pourvu du moindre début de racisme ou de xénophobie, pour lui la totalité de l’humanité est également désespérante, veule et moche. Il est persuadé qu’il trouverait tous les vices, toutes les perversions qu’il côtoient et qui l’enrichissent, partout ailleurs dans le monde, avec certes d’infimes variantes locales, s’il lui prenait l’idée saugrenue de voyager.
Il s’est fait cette réflexion iconoclaste en étudiant la famille Hattah, que le sacrifice de Karim est l’aboutissement d’un parfait processus d’intégration réussie. Les grands parents de Karim, typique couple de travailleurs immigrés Maghrébins des ‘’Trente Glorieuses’’ qui ont passé leur vie à trimer dur pour nourrir leur famille, qui n’ont jamais eu une chance d’apprendre à parler le français correctement et qui ont passé leur vie à se sentir perdus dans un pays aux mœurs si différentes de leur bled natal, sans jamais réussir à s’intégrer totalement, justement, ont eu un de leur fils, Mourad, le père de Karim qui s’est lui, complètement intégré, au point d’adopter un des grands vices bien Français, l’alcoolisme, comme mode de vie. La conséquence caractéristique en a été la destruction de la cellule familiale qu’il avait fondée, entraînant la marginalisation de ses fils. Cette déstructuration sociale dans de telles circonstances est rigoureusement la même chez des milliers de prolos alcoolos Français ‘’de souche’’.
Pourquoi faudrait-il que s’intégrer signifie obligatoirement d’adopter les vertus d’un pays ? Un pays est aussi fait de vices spécifiques, ne devrait-on pas considérer comme une forme tout aussi pertinente d’intégration le fait de s’y adonner ?
Si le père de Karim était un musulman radical, polygame, encaissant des tas de prestations sociales grâce à la myriade d’enfants de ses femmes, mais veillant à donner une éducation stricte et religieuse à ses fils, négligeant de leur apprendre à parler Français, en leur enseignant de surcroît que la seule loi qui compte c’est la Charia et qu’elle passe avant les lois de la république, bref, si Mourad avait été aussi peu intégré que possible mais en échange puritain et rigoureux, jamais ses enfants n’auraient traînés dans les rues pour former une bande de voyous, jamais Kader n’aurait été connu d’un Moustache qui cherchait le moindre prétexte pour se le faire, Jamais Karim ne se serait fait violer par ses potes, il n’aurait jamais intégré ‘’La Villa’’ donc n’aurait jamais pu se faire exploser pour venger son frère.
Jacques est plus du genre Maigret que Rambo et ce qui le captive, malgré sa misanthropie chronique, c’est le coté humain d’une enquête, comprendre les motivations des gens, ce qui les pousse à commettre des actes hors normes, il ne les aime pas mais ils l’intéressent, comme un entomologiste qui étudie ses termites.
La, il a été gâté, un microcosme aussi riche en interactions, peuplé d’une bande de tordus d’une telle qualité, il n’aurait jamais pensé que cela pouvait exister.
Un autre aspect de l’affaire qui est très vite ressorti et qui semble devenir récurant de nos jours, c’est l’importance du rôle tenu par Internet dans la vie des gens et par conséquent dans toute enquête policière.
Ses flics, Lionel en tête, ont pu reconstituer la quasi totalité des étapes de la vie de Karim et de ses faits et gestes, car celui-ci a conservé tous ses mails, toutes ses idées, ses plans, qu’il dictait sur son Iphone, toutes les traces des consultations de sites qu’il effectuait, entre autres pour savoir les horaires d’ouverture du commissariat, quels étaient les flics en service…Il conservait toutes les photos et les vidéos pornos compromettantes des victimes de ses divers chantages sur un tas de mails qu’ils ont pu ouvrir…
Jacques aime traîner sur le terrain, s’imprégner des ambiances, marcher dans les pas des personnages clef d’une histoire, interroger encore et encore leurs proches pour les cerner…
Les arrestations, les interrogatoires des suspects, tout l’aspect strictement policier d’une enquête l’ennuient. Il délègue ces corvées à ses arpètes et surtout à Lionel, comme promis au juge Vacqeyras. Evidemment, Lionel en a profite pour se mettre outrageusement en valeur, trop heureux de pouvoir enfin jouer les vedettes.
Jacques reconnaît qu’il est plutôt bon dans ce rôle, y montrant une compétence certaine.
Il a magistralement organisé la descente à ‘’La Villa’’, après qu’ils l’aient ‘’logée’’, avec tous les super flics de l’anti-terrorisme, devant toutes les télés convoquées pour l’occasion. Tous les téléspectateurs ont été gratifiés d’un superbe show spectaculaire plein d’action palpitante et tellement médiatique. Ils ont même eu la chance qu’un des terroristes ait la bonne idée de tirer quelques rafales de kalachnikov sur les policiers, ce qui leur a permit de sortir le grand jeu : snipper qui flingue le méchant barbu en direct, descente des flics en rappel d’un hélico, grenades lacrymogènes qui explosent partout, portes défoncées à coup de bélier télécommandé, magnifique coordination des poulets héroïques si télégéniques dans leurs uniformes moule burnes noirs, leurs visages encagoulés tels des catcheurs mexicains, y’en a juste un qui s’est pété la tronche comme un couillon en ratant la fenêtre du premier étage mais c’est pas grave, on a coupé au montage…
Lionel en a bien sur profité pour pérorer lors de la conférence de presse organisée après l’intervention, il passe bien à la télé avec sa belle allure sportive et sa gueule d’ange. Il a su habilement faire croire qu’ils ont effectue un magistral coup de filet et démantelé une super cellule terroriste, non pas une bande de paumés ignares endoctrinés par des illuminés. Il a souligné le fait qu’ils ont identifiés les responsables qui sont traqués par toutes les polices du monde, leur arrestation n’étant qu’une question de temps, oubliant de mentionner qu’ils n’ont pas été foutus de les garder sous surveillance…
Ila su éviter de mentionner la vraie raison du geste de Karim, d’ailleurs toute la hiérarchie policière, le juge Vaqueyras et le ministre ont donné des consignes strictes à ce sujet : ce Karim était un authentique kamikaze qui agissait pour le compte d’une cellule locale d’AlQaida, pas question de laisser transpirer le fait qu’il ne s’agit, au fond, que de l’acte désespéré d’un pauvre jeune déboussolé qui a juste voulu venger son frère adoré, assassiné par des flics ignobles.
Et, par dessus tout, ne jamais laisser la possibilité à la presse de réaliser que par son geste Karim a probablement sauvé la vie à des dizaines de victimes innocentes en détournant la bombe de sa cible initiale, le métro.
Cette censure ne fait pas du tout l’affaire de Jacques, il a une promesse à tenir, lui !
En temps normal, il pourrait très bien s’accommoder d’un oubli diplomatique, du genre : c’est pas que je tiens pas, je diffère…
Seulement, une promesse faite à fifille c’est sacré !
Comment faire pour qu’elle connaisse toute l’histoire et que surtout elle puisse l’utiliser dans son bouquin si ses détails les plus intéressants n’en sont jamais dévoilés ?
Heureusement, la solution de ce casse tête est apparue à Jacques au cours d’une de ces séances, si irritantes pour l’entourage, de rêvasserie prolongée dont il a le secret…
Il a un plan, un bon, bien tordu, bien vicieux, nécessitant de ‘’la jouer fine’’, comme il dit, un plan ‘’Jacquient’’ en somme, qui devrait lui permettre de faire d’une pierre plusieurs bons coups.

**********

Jacques s’amuse dans son fauteuil pivotant, tournicote à gauche bras d’abord écartés puis ramenés prés du corps pour accentuer la vitesse de giration, recommence à droite quand il commence à avoir le tournis…
Les deux piles de notes maintenant bien constituées attendent sagement sur son bureau leur traitement ultérieur.
Il les aime ses notes, elles résument tout un univers qui est en train de disparaître et qui était celui de Jacques, un monde où on laissait un espace à l’à peu prés, au bordélique, à l’improvisation.
Bien sur, il sait en réalité utiliser les outils modernes comme tout un chacun mais il s’y est adapté avec répugnance. Il n’aime pas cette époque ou on lit les nouvelles sur Internet plutôt que dans un journal, installe à la terrasse d’un troquet en sirotant un café et en levant de temps en temps les yeux de sa lecture pour mater les passants, ou on roule les vitres fermées en été comme en hiver dans une température égale. Il n’aime pas ces maisons modernes si bien isolées par leur double vitrage que les enfants y seront à dorénavant privés du plaisir de tracer avec leurs doigts des dessins dégoulinants sur une buée inexistante. Il regrette la disparition des commerces d’antan, les épiceries par exemple, remplacées par des ‘’superettes’’, quel néologisme ridicule, accoler un diminutif à un superlatif, cela devrait être un motif suffisant pour avoir le droit de signer un décret de fermeture immédiate ! Ou la mercerie de sa maman et la cordonnerie de son père, disparus à tout jamais de nos rues…
Dans son métier aussi, il ne s’est jamais consolé de la disparition des képis de nos flics en uniforme que les touristes affectionnaient tant, si typiquement français, tout un symbole relégué aux oubliettes au nom de quoi, au fait ?
Qui décide pour nous, un jour, de la transformation de la silhouette assez débonnaire du flic de chez nous en un pseudo ‘’cop’’ à l’américaine, au nom de quelle croyance dans une efficacité augmentée grâce à ce ‘’look’’ banalisé ?
La rêverie de Jacques est interrompue par l’entrée dans son bureau de ses trois enquêteurs principaux, les deux compères Gérard et Bernard suivis par un Lionel fringant, tiré à quatre épingles, bronzé sûrement pas seulement par le soleil printanier, remonté comme un coucou depuis qu’il joue les super héros à la télé.
-Salut les mecs asseyez-vous. Je vous sers un café ?
Les trois flics, agréablement surpris par le ton jovial de Jacques, acceptent son offre…
-Bien, alors trois cafés, vous m’en direz des nouvelles c’est de l’éthiopien, un pur régal ! Du sucre ? Longs ou serrés ?
Il sert les tasses fumantes, l’arome du café remplit agréablement la pièce, un bon moyen pour masquer les miasmes, se dit Jacques, in petto.
Bon, les gars, je crois qu’on peut considérer que notre enquête est à peu prés close, je crois pas qu’on puisse en apprendre beaucoup plus, en tous cas moi je vais remettre mon rapport final à mon chef, au juge Vaqueyras et au ministre. Continuer à poursuivre les terroristes pour finir de démanteler le réseau, essayer de chopper les leaders c’est plus notre boulot, Lionel va se charger de ça avec ses troupes et les barbouzes. Je tenais à vous féliciter, je trouve que nous avons fait un super boulot ensemble, vraiment ! Il se tourne vers les inspecteurs : Vous, vous êtes incontestablement les meilleurs fouineurs du Quai, c’était un plaisir de travailler avec vous, vous avez assuré, vous etes des as ! Comptez sur moi pour vous passer un super coup de brosse à reluire dans son rapport.
-Merci, boss, pour nous aussi Ca a été un réel plaisir, quand vous voulez on recommence…
-Toi aussi Lionel, tu as assuré, mais tu en es déjà persuadé, j’en rajouterai donc pas ! Comme sa remarque est dite sur un ton badin, Lionel ne se formalise pas, les deux autres rigolent…
-Merci de t’être coltiné la corvée des arrestations et des conférences de presses, tu m’as soulagé d’un grand poids…
C’est rien, Jacques, il fallait bien que quelqu’un s’en charge… Répond Lionel, incapable de déceler toute l’ironie contenue dans la phrase.
‘’Ta gueule !’’ Pense Jacques en lui souriant chaleureusement.
Ils commentent un moment les péripéties de leur enquête, plaisantent sur tel personnage de l’histoire…
Puis Jacques se lève pour signifier que leur meeting est terminé. Il remercie encore une fois tout le monde, serre la main des deux flics qui sortent. Il retient Lionel qui allait les suivre.
-Lionel, attends, j’ai un service à te demander…
-Je t’en prie, Jacques, tout ce que tu veux…
-C’est pas grand chose, tu connais mon aversion envers ces putains de machines, (il montre l’ordinateur archaïque couvert de poussière, oublié dans un coin de la pièce), ça t’emmerde de taper mes notes au propre pour en faire un truc un peu cohérent ? Tu connais mieux l’affaire que les deux autres et puis tu es un expert en informatique. Moi il me faudrait une semaine et jamais je le ferai aussi bien. Pour toi c’est un jeu d’enfant ou presque. J’ai tout trié et classé par ordre chronologique, j’ai viré tout ce qui est sans intérêt, d’ailleurs je t’en débarrasse…
Il ramasse ses notes personnelles, les fourre dans une sacoche en cuir.
-Tu peux faire ça pour moi ?
-C’est bon, je vais te le taper ton rapport, file-moi tes notes…Il jette un coup d’œil sur la liasse.
-Ha ! Quand même, y’en a un paquet, et quelle écriture, t’as pas honte ?
-Excuse, j’écris mal, je sais. Ceci dit, y’en a pas tant que ça, une fois tapé ça réduit un max, et puis si c’est trop long, tu peux résumer un peu, mais molo, hein ?Je veux que ce soit mon rapport, basé sur mes notes. Quand tu as fini, tu m’appelles ?
OK, je vais dans un bureau peinard et je m’y mets. A toute.
-A toute, et encore merci.

Accord.

Marion Bartoli déguste un capuccino, confortablement installée sur une élégante banquette de cuir bordeaux, dans une alcôve d’un café branché de la rive gauche, déserté en ce début d’après midi. Elle fait semblant d’être absorbée par la lecture d’un article réellement passionnant du Guardian, excellent quotidien anglais de gauche. Elle trouve la plupart des journaux français ennuyeux et superficiels, elle a constaté que souvent, pour lire un article fouillé sur un sujet hexagonal, mieux vaut lire la presse étrangère, de plus, comme elle est gentiment poseuse sur les bords, elle trouve ça plutôt valorisant, probablement à juste titre, les gens sont tellement simples en vérité, une pareille bombasse plongée dans un journal anglais, ça doit ‘’le faire’’, comme ils disent.
Mais pour le moment elle est beaucoup plus intéressée par le manège du garçon que par sa lecture. Du vrai beau mec ce serveur, un grand brun pas ténébreux du tout, au contraire, toutes ses manières démontreraient plutôt un caractère enjoué et sympathique, des yeux bleus absolument éblouissants et un sourire éclatant qui lui rappellent Sacha Distel, un ancien chanteur que sa mère adorait et dont elle même était un peu amoureuse vers l’age de six ans…
Ca fait plusieurs fois qu’il trouve un prétexte pour traîner du coté de la table qu’elle occupe. Faut dire qu’elle en jette avec son chemisier généreusement déboutonné et sa jupe fendue, qu’elle a consciencieusement remontée pour dévoiler un maximum de chair bronzée.
Marion à rendez-vous avec Jacques Marchand.
Elle qui cherchait un moyen pour l’aborder depuis des mois, a été extrêmement surprise car c’est lui qui l’a contactée en fin de matinée.
Son étonnement s’est transformé en curiosité quand il lui a proposé une rencontre pour l’entretenir d’un sujet qui devrait l’intéresser, mais sans lui donner aucun détail. Elle s’est, bien sur, empressée d’accepter, n’essayant de lui soutirer quelques précisions que pour la forme, ne pas donner l’impression qu’elle était ravie à l’idée de ce tète à tète.
Si elle a bien appréhendé la personnalité du spécimen, cette rencontre devrait s’avérer captivante, elle ne doute pas un seul instant que s’il désire la rencontrer ce n’est pas que pour ses beaux yeux, quoiqu’elle soit toute prête pour trouver cette raison suffisante, mais par intérêt.
Hors, qu’y a t-il d’intéressant chez un journaliste mis à part sa profession ?
Son radar à scoop s’est mis à clignoter frénétiquement et elle grille d’impatience.
Marion est dévorée corps et âme par son métier. Pour elle, c’est beaucoup plus qu’un gagne pain, une authentique passion, elle l’adore et elle y excelle.
Elle est dotée d’une science de l’investigation, d’une opiniâtreté hors du commun, elle ne fixe pratiquement aucune limite à ce qu’elle est prête à faire pour chasser les meilleures infos.
Elle ne vit que pour découvrir les vérités cachées, les secrets bien gardés, dévoiler les accointances, les connexions, montrer les relations de cause à effet.
Elle est mue par une relation d’attraction-répulsion extrêmement ambiguë avec la société et surtout ses instances dirigeantes, les puissants, les privilégies dont elle prend plaisir à dévoiler les magouilles dans ses articles, mais au milieu desquels elle ne pourrait se passer d’exister.
Toute petite déjà, dans la ferme familiale, elle ne rêvait que de vivre dans ce monde mystérieux et lointain des grandes villes cosmopolites aux noms magiques, New York, Paris, Londres, Rome, ou les femmes ne pouvaient être qu’élégance et intelligence, ses héroïnes imaginaires étaient ces femmes si parfaitement incarnées par son actrice préférée de tous les temps : Audrey Hepburn.
C’est ainsi qu’elle se voyait, plus tard, libre, indépendante, évoluant au milieu des gens qui font le monde. Elle a concrétisé son rêve à force de travail et de persévérance, en utilisant sans remord tous les atouts qu’elle possède, son intelligence et, si nécessaire, sa beauté, profitant avec lucidité des préjugés favorables de la société envers les physiques attirants, pouvant aller très loin en utilisant ses charmes pour atteindre ses buts.
Son enfance n’aurait pu être plus heureuse. Ses parents exploitaient une grande ferme en Provence, dans un pays magnifique. Ils cultivaient des oliviers et des hectares de foin dans la plaine de la Crau, au pied des Alpilles, à une époque ou cette herbe de qualité exceptionnelle se négociait à prix d’or pour nourrir les pur-sang de course. Ce ne sont pas les plus exigeantes des cultures et ils avaient du temps à consacrer à leurs deux filles qui ne manquaient de rien.
En vérité, Marion adorait et adore toujours ses parents, des êtres d’une générosité et d’une bonté infinies. Elle retourne les voir aussi souvent que possible dans le mas familial ou ils coulent des jours paisibles.
De même, elle aime profondément sa sœur Emma, son aînée si timide et si effacée qui a repris l’exploitation du domaine.
Chaque fois qu’elle retrouve Emma, Marion a le cœur serré de voir sa sœur vivre cette vie de vieille fille, à la vue de ce visage en qui elle reconnaît ses propres traits, mais prématurément usés par le travail et le soleil, ce corps mince mais endurci et maltraité recouvert d’une salopette informe, ces mains calleuses…
Elle a toujours été déchirée entre son amour sincère pour ses proches et sa répulsion pour leur mode de vie. Mais elle ne renie en rien ses origines qu’elle n’a jamais cachées, mieux, elle éprouve une méfiance totale pour le seul milieu urbanisé et mondain dans lequel elle évolue et le seul elle peut exister.
Elle a honte de son image superficielle qu’elle découvre sur toutes les photos ou elle pose avec sa famille, encadrées soigneusement par sa mère, décorant le salon. Elle se déteste, maquillée, tirée à quatre épingles, contrastant violemment avec ces gens simples, sans chichi, comme ils disent, qui l’entourent. Mais même à la ferme, elle ne saurait passer un jour sans se maquiller, s’apprêter méticuleusement, mais elle est accro à son aspect, une véritable droguée du paraître. Elle a conscience du ridicule de tout ça, pire, de pouvoir représenter une sorte de provocation, de tentative de leçon de bon goût donnée à des rustauds…
Mais eux ne s’en offusquent jamais, ne lui reprochent rien, ils l’aiment telle qu’elle est, sans condition. Sa mère s’en moque même avec gentillesse :
-Hè bé, tu t’en donnes du travail pour te préparer, mais ça valait le coup, la au moins tu es jolie…
Quand elle les accompagne au marché d’Arles le samedi matin, ils s’arrangent pour prendre leur copieux petit déjeuner après le début de ses préparatifs pour qu’elle puisse disposer de tout le temps nécessaire pour se
pomponner.
Ses parents sont fiers d’elle, de sa réussite dans un milieu si éloigné du leur, mais il ne la place en aucun cas sur quelque sorte de piédestal, elle n’a droit à aucun traitement de faveur, ils n’établissent aucune hiérarchie avec le dur travail d’Emma. Les deux sœur ont souvent droit à des compliments ou des reproches communs, par exemple de la part de leur mère, du fait qu’à quarante ans passés, elles n’ont jamais été capables de lui pondre les petits enfants dont elle rêve :
-Tè, belle comme vous êtes, vous êtes aussi sèches du fion l’une que l’autre, c’est quoi votre problème, ils vous plaisent pas les hommes ? Ou alors vous voulez pas grossir ?
Marion sent un grand coup de spleen dont elle est coutumière l’envahir à cette évocation. Elle est obsédée par la fuite du temps, par la futilité de la vie, elle n’a jamais vraiment cru à grand chose, ou, si elle a cru un jour, son métier l’a guérie.
Elle est terriblement angoissée par l’avenir. Elle qui adore sa solitude actuelle trouve terrifiant d’envisager une vieillesse solitaire…
Plongée dans ses pensées déprimantes, elle a complètement oublié son serveur qui en est réduit à venir lui proposer un autre café pour attirer son attention.
Elle lui sait grés de l’extirper de sa rêverie :
-Oui, s’il vous plait.
-Je vous l’offre ? Propose t-il, tout sourire…
Marion le contemple. ‘’Décidément il est trop joli.’’ Elle lui demande :
-C’est comment votre prénom ?
-Enzo
-C’est joli, vous serez mon premier Enzo, vous me donnez votre numéro de portable ?
Mais le minet aussi ouvertement dragué se ferme comme une huître devant un couteau d’écailler ! Le beau sourire disparaît, il répète bêtement :
-Mon numéro ? Mais pourquoi ?
‘’Encore un connard qui supporte pas d’être dragué par une meuf’’, pense Marion, ‘’et merde…’’
-Pour rien, oublie, regarde, j’ai mieux que toi pour me tenir chaud, andouille !
Elle lui désigne un Jacques Marchand tout souriant qui vient de s’asseoir en face d’elle.

***********

Jacques Marchand reluque Marion. Il examine sans vergogne chaque détail de son anatomie d’un œil critique. Décidément elle est parfaite, il ne trouve rien qui ne soit exactement à son goût.
La chevelure sombre qui cascade autour du visage sévère mais sensuel, les yeux noirs, la peau mate…Elle est sûrement un peu trop arrondie selon les critères actuels qui prétendent nous faire croire qu’un os est plus joli qu’un jambon, mais Jacques trouve au contraire qu’une grande partie de son charme époustouflant provient du contraste entre la dureté de ses traits et ses formes généreuses, si féminines, aucune androgynie décelable dans un corps pareil, totalement sexuée la Marion.
Son corps épanouis incite au contact quand son visage te dis dégage…
Jacques lui sourit franchement, sans calcul, sans pose, et il s’entend lui débiter la plus incroyable incongruité, extirpée d’un recoin inconnu de son cerveau :
-Ca serait un crime contre la nature de pas utiliser un physique pareil pour faire des petits…
Sa phrase à peine lâchée, déjà il la regrette : ‘’Mais qu’est ce que tu raconte comme conneries, ça va pas la tête ? Non mais quel con !…
Il est mortifié, c’est pas son genre de l’ouvrir sans avoir prémédité ses paroles, il ne comprend pas ce qui lui a pris, ça va être coton de rattraper une pareille bourde…
Marion est décontenancée par la remarque de Jacques, proférée d’un ton affable et accompagnée d’un sourire aussi sympathique.
Elle se trouble et elle a horreur de ça. Du coup elle lui répond sèchement, piquée dans son orgueil, furibarde :
-Tiens donc ! Je croyais que la police ne contrôlait plus le mode de vie des gens depuis Vichy ! Et au fait, avec qui faudrait les faire? Vous voyez des males suffisamment qualifiés pour servir de reproducteurs dans le coin ?
Jacques tente de plaisanter pour minimiser la portée de ses propos, il embraye sur la réplique acerbe de Marion :
-C’est sur que ça doit pas être facile à dénicher mais de nos jours, grâce à Internet ?
Marion lui sait gré de ne pas insister sur le sujet car il vient d’appuyer juste la ou ça fait mal, ce Jacques. Non qu’elle soit du genre à fantasmer une carrière de mère poule, mais s’il y a bien un sujet qui la touche au plus profond, c’est les enfants. Elle adore les bambins, même si elle se garde de le montrer, elle est toujours émue aux larmes devant un bébé souriant. Elle jalouse toutes ses consoeurs pondeuses épanouies mais surtout elle hait intensément toutes ces mères odieuses, des plus sadiques aux simplement négligentes qu’elle côtoie si souvent pendant ses enquêtes criminelles, elle a l’impression qu’elle pourrait appuyer sur le piston de la seringue de l’injection fatale qu’elle souhaiterait voir infligée à toute maltraiteuse d’enfant !
Elle s’est souvent fait elle même cette réflexion immodeste, si proche de la remarque de Jacques, qu’une femme aussi belle et intelligente qu’elle, se doit de transmettre des gènes d’une telle qualité au reste de l’univers, et puis ça ferait tellement plaisir à sa mère.
Plongé dans ses réflexions elle en oublie complètement son environnement pendant plusieurs minutes.
Elle finit par reprendre contact avec la réalité et dévisage Jacques qui l’observait silencieusement, en respectant son isolement.
-J’imagine que si vous m’avez donné rendez-vous dans ce café ce n’est pas seulement pour me faire bénéficier gratuitement d’une consultation en obstétrique ?
‘’Et merde, c’est mal barré !’’ Se dit Jacques. ‘’Mais quel con, comment je vais rattraper ça, moi ?’’
-J’ai besoin de vous pour raconter dans votre canard la plus belle histoire que vous y avez jamais raconté.
-Pourquoi moi ?
-Parce que vous êtes de loin la meilleure plume du moment, que vous étés intelligente, que vous n’hésitez jamais à prendre des risques, que vous êtes la seule qui oserez raconter ça et que vous êtes prête à tout pour un tel scoop.
-Ouah ! Tout ça ! En plus vous avez l’air de penser ce que vous dites, je suis flattée.
-Je suis sincère, vous êtes la meilleure et d’ailleurs vous le savez. Ca vous intéresse ?
- Faut voir, ça dépend du sujet…
Jacques se penche vers elle et baisse le ton :
-L’explosion du commissariat, vous vous en doutiez…
Oui, elle s’en doutait et elle trépigne d’impatience.
-Racontez !
-Y’a pas le feu ! Buvons d’abord un verre pour célébrer notre collaboration.
Marion se détend.
-Bonne idée, commandez-nous quelque chose de fort et de frais !

***********

Après quelques caipirinhas bien tassées, l’ambiance s’est considérablement apaisée. Ils se sont lancés dans une démolition en règle de relations célèbres
qu’ils ont en commun, comparant leurs connaissances en matière de petits secrets sordides ou d’histoires croustillantes…
Marion réalise qu’alcool aidant, elle commence à apprécier un peu trop la présence de Jacques. Elle revient au motif initial de leur rencontre.
-Si nous revenions à notre affaire, non ?
-OK ! Ecoutez moi bien belle Marion, vous allez adorer ma petite histoire…
Il lui conte les grandes lignes de l’affaire.
-Alors, ça vous inspire ?
-Tu parles ! D’excitation, elle vient de le tutoyer.
–C’est de la bombe atomique, si j’ose, cette histoire, raconte, raconte…
-Calme-toi, c’est pas si simple, il y a des conditions pour obtenir toute l’histoire. Lui aussi passe au tutoiement, ça pourrait faciliter la suite…
-Des conditions ? Lesquelles ? Explique-toi !
-Il y a trois conditions à remplir et elle vont peut être te paraître inacceptables.
-Dis toujours.
Euh…Voilà : Premièrement, je veux que tu publies toute l’histoire, pas un résumé, que tu donnes un maximum de détails même les plus scabreux,
des noms, les tenants et aboutissants, tout… Il faut que ton article soit suffisamment complet pour servir de base à d’autres développements sans que personne ne risque d’être censuré…
-Ca c’est facile, si vraiment ça vaut le coup, tu as ma parole, après ?
-Je veux pas qu’on puisse deviner que je suis à l’origine de la fuite, jamais !
-Je serais muette comme une tombe, après ?
- Non, ce n’est pas assez sur ! Il faut que l’auteur de la fuite soit identifié sans aucun doute possible, que ta source semble une évidence pour tout le monde, j’ai un plan et tu devras le suivre à la lettre !
-Ecoute, je comprend pas comment tu vas t’y prendre et je m’en tape, je suivrai ton plan, après ?
-Après ? La, Jacques hésite, mais en joueur invétéré de poker il ne peut résister au plaisir de risquer son va-tout :
-Tu dois d’abord coucher avec moi !
Alors la, Marion est véritablement estomaquée, comme dirait sa mère !
Elle n’a qu’une phrase qui lui vient à l’esprit : ‘’Mais quel connard, mais quel connard…’’ Pourtant elle ne ressent aucune colère ce coup-ci, d’ailleurs elle ne sait pas au juste ce qu’elle ressent mais putain, c’est fort !
D’abord elle a chaud, elle sue, elle doit être rouge comme un piment. Son cœur bat à 140 pulsations par minutes, son ventre chauffe comme une bouillotte. Ensuite elle est prise d’une sorte de vertige, la tête lui tourne, ses oreilles bourdonnent. Elle réalise qu’elle ne lui en veut pas vraiment, son ‘’mais quel connard’’ serait plutôt plus admiratif que révolté, cet enfoiré est la, devant elle, empourpré par l’émotion et la gène lui aussi, mais rigolant du bon tour qu’il vient de lui jouer en la laissant se dépatouiller avec l’obligation de répondre à ça !
Elle ferme les yeux, tente de se contrôler et de penser, en plus elle est un peu saoule, ça l’aide pas…
Elle entrouvre les paupières, le regarde, réussit à lui sourire aussi pour tenter bravement de donner le change, d’avoir l’air pas si choquée que ça, d’assurer…
-Je vois, il nous la joue direct, le Marchand !
-C’est à dire, il faut que l’article paraisse demain, alors on doit se magner…
Il répond en rigolant faux, essayant d’atténuer l’abrupteté de sa proposition, pas sur de lui du tout.
-Ouai ouai ouai… Marion prend brusquement sa décision :
-On va chez moi, j’habite à coté ?
Et elle se lève, maintenant qu’elle s’est décidée, elle est impatiente, curieuse et pour tout dire diablement excitée !

Trahison

Jacques contemple le corps dénudé de Marion étendu en travers du lit.
‘’Mais quel canon !’’ Il ne se lasse pas de ses courbes, du grain de sa peau mate et bronzée, de sa poitrine plantureuse, du galbe de ses longues jambes musclées, de ses pieds, il adore les jolis pieds et ceux la sont parfaits, fins et cambrés, avec le ‘’détail qui tue’’qui le fait craquer : des vrais ongles entiers, parfaitement délimités, impeccablement vernis couleur rubis, sur chaque doigt bien séparés et agiles…On ne décèle aucun de ces défauts disgracieux si fréquents sur nos pieds modernes, compressés et déformés par des décennies de marche dans des chaussures inadaptées. Il se fait la réflexion qu’elle a du passer une bonne partie de son enfance à courir pied nus dans les chemins d’une campagne ensoleillée…Il est étonné et ravi en découvrant le sentiment de vrai bonheur qui grandit en lui pendant qu’il étudie chaque détail de l’anatomie de sa nouvelle maîtresse. Il envoie sa main pour caresser le ventre soyeux, remonte effleurer les seins lourds, redescend vers les cuisses si douces à l’intérieur…
Jacques se demande si Marion a trouvé son plaisir dans leur étreinte.
Il a apprit au fil du temps à n’accorder qu’un crédit limité aux manifestations de jouissance de ses maîtresses. Il sait maintenant que beaucoup d’orgasmes de nos compagnes sont simulés. Au début, comme pour tous les hommes, sont ego était flatté par des manifestations exubérantes mais avec l’expérience il a fini par réaliser qu’elles n’avaient souvent rien à voir avec un plaisir réel et il n’a plus fait aucun effort pour les provoquer.
Il en est venu à classer ses amantes en deux grandes catégories : celles qui osent lui faire comprendre clairement, en utilisant le langage de leur choix, ce dont elles ont besoin ou ce qu’elles désirent qu’il fasse pour pouvoir jouir, et Jacques est prêt à répondre à toutes les demandes, sans aucune limite.
Ensuite, celles qui attendent qu’il le découvre tout seul car c’est le devoir de l’homme véritable de procurer du plaisir à sa ‘’conquête’’, ou bien qui n’attendent en fait rien du tout des hommes puisqu’ils sont tous nuls…
Jacques a depuis longtemps renoncé à chercher à satisfaire la deuxième catégorie dans laquelle on trouve la grande majorité des simulatrices.
Par contre, il a toujours respecté une belle simulation en y répondant par une satisfaction apparente de coq flatté, considérant que si l’on se donne du mal pour feindre le plaisir quand on couche avec lui, c’est avant tout pour qu’il se sente bien.
Marion appartient incontestablement à la première catégorie !
Elle a guidé Jacques pour qu’il ne se perde pas en improvisations stériles et son plaisir ne s’est traduit par aucun cri, par contre les odeurs, la sueur, les fluides et le pouls à 140 lui laissent espérer que son orgasme n’était pas simulé.
Marion penche la tête en arrière pour le regarder à l’envers et lui souris, Jacques fond littéralement, elle est vraiment trop jolie… Elle ronronne, enfin c’est ainsi qu’il interprète le petit râle de contentement qu’elle émet…
Il se sent tout doux et chaud à la fois, il sent son désir renaître et se laisserai bien tenter par une nouvelle étreinte, cela aussi le rempli de bonheur : il n’a pas eu besoin d’avoir recours à ses petites pilules habituelles, surtout pas les bleues bien trop célèbres, Jacques ne veux pas courir le risque de se faire ridiculiser, par ses partenaires habituelles, des professionnelles ou des habituées de la nuit, qui ne sont pour la plupart pas du genre à se priver d’une belle remarque sarcastique.
Jacques sait qu’il va faire tout son possible pour développer une relation durable avec Marion, cela fait si longtemps qu’il n’a pas éprouvé quelque chose d’aussi fort et agréable pour une femme qu’il n’a pas du tout l’intention d’en rester la.

********

Marion laisse le bien être l’envahir, elle ressent encore des ondes de plaisir parcourir son corps… Elle se doutait qu’elle allait aimer coucher avec ce type mais l’intensité de ce qu’elle a ressenti l’a surprise. D’abord elle a jouit et cela ne lui arrive quasiment jamais les premières fois, et en vérité rarement toutes les fois suivantes, mais ce Jacques est diabolique, il s’est révèle un véritable expert de l’anatomie féminine, elle a eu l’impression d’être un instrument à orgasme entre ses mains, enfin pas seulement les mains, il est plein d’autres organes dont il sait se servir à bon escient et sans aucuns tabous…
Mais il y a plus : elle a envie de lui, ou plus précisément envie d’être à lui, et ça c’est nouveau pour elle, jamais elle ne se serait crue capable de ressentir cela pour un homme. Elle est plutôt du genre à se servir des males, à s’en nourrir, en les pressant comme des fruits murs pour en tirer toute la substance et les jeter une fois vidés…
Elle sent la main de Jacques la caresser. Elle ouvre les yeux, le regarde à l’envers, s’il ne trouve pas ça adorable c’est qu’il n’a aucun goût, mais elle est archi sure d’elle sur ce coup-la, il ne peut que aimer…
Elle roucoule de plaisir, (pour elle c’est un roucoulement qu’elle produit, à chacun ses bestioles, non ?) Elle sent le désir renaître en elle, l’inonder, elle se laisserai bien tenter par une autre séance…

********
Jacques se penche sur elle, lui bisouille le cou, lui mordille l’épaule…Marion frissonne, gémit de plaisir doucement…
-Bon, si nous parlions de la suite du plan, l’heure tourne !
-Quel salaud ! On n’est pas si pressés ?
-Si, nous sommes pressés et il faut s’y mettre…
-Bon, je t’écoute… Marion s’assied sur le lit en remontant les genoux sous son menton. Elle s’allume une cigarette, complètement dégrisée…
Jacques se lève et s’empare de la liasse de ses notes personnelles.
-Ca, c’est mes notes perso, les réflexions que je me suis fait tout au long de l’enquête, tu pourras t’en servir pour compléter ton article ou t’en inspirer pour suivre d’autres développements…
Marion s’empare de la liasse, commence à parcourir les feuillets…
-Putain que tu écris mal ! Mais ça a l’air passionnant, tu as des idées, ça peut cogiter autant un flic, j’aurai pas cru !
- Vu le genre d’andouille que tu fréquentes, tu ne risques pas de savoir !
-Lionel n’est peut être pas le plus futé mais il est beau, il n’a pas de cheveux gris (elle peigne sa tignasse hirsute avec ses ongles), il n’a pas les fesses moles, (elle lui claque le postérieur en riant), et il ne pue pas du bec ! (Elle l’embrasse en lui fourrant sa langue dans la bouche).
-S’il pue pas de la gueule, c’est juste parce qu’il se pshitte et se gave de pastilles antiseptiques toute la journée, c’est une vrai pharmacie ambulante ton mec !
- C’est pas mon mec, c’est un amant, et un bon, figure toi !
-C’est bien dommage car tu vas devoir en parler au passé…
-Comment ça ? Fous lui la paix…Marion réalise que tout ce petit échange débité sur le ton de la plaisanterie n’était destiné qu’à l’emmener à ce point précis de la conversation et elle appréhende la suite, l’air mauvais et goguenard de Jacques vient d’éveiller sa méfiance…
-Figure toi que je n’ai pas la moindre intention de risquer de plonger en te refilant cette histoire, si je te la refile d’ailleurs, ça va dépendre de toi. Ma hiérarchie est extrêmement crispée avec cette affaire, ils ne veulent surtout pas de fuite ! Hors, comme fuite il y aura eu, de fait, il faudra qu’il trouvent ta source et ton Lionel va être un coupable idéal !
-Mais c’est dégueulasse, il m’a rien fait à moi, je l’aime bien mon Lionel, c’est toi qui peux pas le saquer, tu sais même pas pourquoi je parie !
-Le pourquoi on s’en fout, en tous cas c’est pas ton problème, il faut quelqu’un pour porter le chapeau et j’ai pas de plan de rechange, alors a toi de choisir ma chérie, ou c’est lui ou tu n’as pas d’article, c’est aussi simple que ça !
Marion est mortifiée. Elle est outrée par le cynisme de Jacques. Elle qui se croyait impitoyable se découvre presque innocente comparée à un tel salopard ! Une partie d’elle même n’a qu’une envie, celle de planter la Jacques et ses combines répugnantes, de fuir pour se sauver en renonçant à un scoop si cher payé. Mais une autre voix beaucoup moins vertueuse lui chuchote qu’on ne peut rater une opportunité pareille quand on s’appelle Marion Bartoli, qu’à quoi bon préserver une relation sans avenir et de toutes façons déjà principalement basée sur l’intérêt.
Certes, elle aime bien la belle gueule de Lionel mais elle a parfaitement conscience des limitations flagrantes du bonhomme, surtout maintenant qu’elle peut le comparer pour son malheur à la densité et au charisme pervers de Jacques, auquel elle est prête à succomber totalement, malgré son ressentiment présent. En vérité, elle doit admettre qu’elle se laisse gagner par une pointe d’amusement malsain à l’idée de jouer un tel mauvais tour à ce bellâtre prétentieux…
-Allez, Marion, tu sais bien que tu aurais fini par le larguer comme un caca, tôt ou tard, alors autant que cela soit pour la bonne cause en quelque sorte, non ? Ne me dis pas que tu y tiens tant que ça à ton Roméo, pas toi…Je te garanti que tu vas écrire l’article de ta vie, décide-toi !
Elle capitule :
-Et comment tu comptes t’y prendre ?
Jacques jubile mais n’en laisse rien paraître : ‘’elle a accepté, yyyèèèsss ! Je l’aime et je l’aime et je l’aime…’’
-Lionel est en train de taper le rapport final que je dois remettre aux huiles demain matin, ministre en tête. Je pense qu’il doit avoir presque fini. Je te laisse quarante minutes d’avance, tu vas aller lui faire tes adieux a ta manière, profites-en, épuise le, qu’il se méfie pas, on sait jamais…Ensuite, je l’appellerai pour récupérer le rapport, il devra descendre pour le copier car le bureau ou il bosse n’a pas d’imprimante, tu auras tout le temps de pirater son portable…
-Pourquoi il laisserait son ordi ?
-Parce qu’il va te laisser planquée dans le bureau pour pas que je risque de te rencontrer, il va utiliser une clef USB, c’est plus simple que de se le trimbaler avec un tas de fil…
-Il doit utiliser un mot de passe ?
-C’est prévu, je te l’ai noté…
Il glisse un papier plié en quatre dans son mini sac à main.
-Allez c’est parti, prend une douche, fais-toi belle, il faut qu’il te trouve irrésistible !

**********

Marion se jette dans les bras de Lionel. Elle est absolument éblouissante et il ne risque pas d’avoir envie de lui résister. Elle ne lui laisse pas le temps de déceler son état de complet bouleversement, d’ailleurs il est bien trop surpris et heureux de se laisser littéralement assaillir par une Marion déchaînée. Habituellement, elle n’est jamais aussi effrénée, les étreintes passionnées c’est pas son truc, en vérité elle est du genre à toujours trouver quelque chose qui cloche ‘’pendant’’ : il fait pas assez ceci ou trop longtemps cela, ça c’est trop fort ou pas assez…Heureusement que rien ne le fait débander le Lionel, car sa Marion serait plutôt du genre castratrice, une vraie
‘’tue l’amour’’, comme on dit.
Marion est agrippée à lui, avec les jambes nouées dans son dos, il ne le voit pas mais des larmes coulent sur ses joues, elle pleure sur leur relation qui va se terminer, elle pleure car elle va le trahir, elle pleure sur elle, si salope et si impitoyable car elle a lu, avant d’entrer dans le bureau, son mot de passe…
Alors elle étreint son bel amant pour la dernière fois et le laisse jouir en elle comme jamais elle ne l’avait fait.
Hors, les spermatozoïdes de Lionel sont doués d’une vitalité exceptionnelle. Combinons ce fait avec une réaction qui n’est pas si rare dans les tréfonds d’un corps féminin, réaction peut être induite par l’état émotionnel de Marion, ou par son abandon inhabituel pendant cette somptueuse étreinte, voire par un ordre inconscient envoyé par son cerveau titillé par la remarque antérieure de Jacques, toujours est-il que les substances chimiques adéquates vont être émises par ses organes, substances qui vont baigner, engluer puis encapsuler dans une coquille protectrice une goutte isolée de six millions sept cent vingt trois mille deux cent trente sept spermatozoïdes, capsule qui va se lover dans un replis de muqueuse. Sept jours après, Marion produira un œuf superbe, baignant, lui, dans la substance qui dissoudra la paroi de la capsule, libérant le frétillant spermato champion qui viendra le féconder.
Ce qui adviendra de cet embryon n’est que spéculations.
Est-ce que Marion succombera à la tentation de le garder ou le transformera
t-elle, comme disaient nos anciennes avant la loi Veil, en sous-marin ? Et si elle le garde, avec qui l’élèvera t-elle ? Toute seule ? Avec Lionel, le père biologique qu’elle n’aimera jamais vraiment ? Ou bien choisira t-elle Jacques le cynique qui serait un père parfait, elle en sera convaincue quand elle découvrira que la blonde du rendez-vous n’est autre que sa fille et que tout ce qu’il fait c’est pour elle, et en plus elle l’aime, lui ?…
Je ne sais pas, mais j’ai ma petite idée sur la question et je suis sur que toi aussi, lecteur clairvoyant…

************

La sonnerie du téléphone de Lionel retentit.
-Oui ? Ha c’est toi Jacques… Justement, je viens juste de terminer… O.K., je descends te l’imprimer et je te l’apporte…
-C’est Jacques, il veut son rapport, attend moi la, surtout ne te montre pas, tu sais qu’il n’aime pas te voir traîner par ici, j’en ai pour dix minutes et on pourra aller se faire un petit resto si tu veux…
-Vas-y, je t’attend, mais bouge-toi, j’ai un super article pour demain à écrire et je dois rentrer tôt, en ne pouvant s’empêcher d’apprécier toute l’ambiguïté cynique de sa phrase…
Article que je vais te piquer mon pauvre chéri et tu pourras jamais me le pardonner…Vraiment désolée mais c’est ta faute, fallait pas te laisser avoir par une garce de mon acabit, tu étais bien trop benêt pour moi…
A peine son amant est-il sortit qu’elle allume son ordinateur sans prendre le temps de se rhabiller, nue du nombril aux pieds, dégoulinante et odorante, superbe et impudique…
Une dernière grosse hésitation, comme elle s’en veut, elle aimerai tant avoir le courage de renoncer tant qu’il en est encore temps… Des larmes lui viennent à nouveau, tombent sur ses cuisse nues puis sur le clavier du portable quand elle tape ce mot de passe qui démontre si simplement à quel point Lionel tient à elle, enfin tenait car elle peut déjà en parler au passé…
Elle pleure sur cet amour si sincère qu’elle va perdre, elle n’ose penser ‘’pur’’, c’est trop pénible, mais aussi sur elle même, si endurcie et si arriviste, monstre capable de sacrifier son affection pour son Lionel innocent afin d’assouvir ses ambitions si triviales…
Elle pleure mais elle tape les six lettres : M A R I O N.

 

Ministre amer.

Si l’on doute que l’expression ‘’frétiller comme un gardon’’ aie du sens, il suffit de voir Jacques le lendemain matin pour comprendre sa signification.
Il marche allégrement, un sourire constant aux lèvres, parfois il stoppe, acquiesce doucement en se parlant à lui-même, ‘’excellent, c’est excellent !’’. Quand il s’arrête à un feu rouge, il dévisage les passants avec sont sourire extasié qui lui donne sûrement l’air un peu débile, mais il n’en a absolument pas conscience. ‘’Ha ! C’est excellent !’’ declare-t’il à une secrétaire harassée, boudinée dans un ensemble vert, qui prend illico un air courroucé. Il zigzague entre des bornes de bordure de trottoir ‘’excellent’’, s’écarte en virevoltant sur la pointe des pieds pour éviter un éboueur qui traîne une benne débordante et nauséabonde, ‘’excellent’’, slalome entre les passants trop lents, ‘’excellent’’ !
Il a particulièrement soigné son look, il porte un costard gris anthracite, une copie conforme d’un Kenzo, une chemise en soie gris perle, des ‘’derby’’ noires anglaises rutilantes au pied, la barbiche est soigneusement taillée bien ras, il fleure l’eau de toilette de luxe…Comme aurait dit sa mère : Un vrai gandin !
Chaque détail de sa tenue a été mûrement réfléchi, il tient à ne pas ‘’faire’’ flic pendant le meeting d’aujourd’hui, il veut que sa marginalité au sein de la ‘’maison poulaga’’ saute aux yeux de tous…
Il atteint finalement le ministère de l’intérieur, gravit la volée de marche du perron quatre à quatre…Il marque un temps d’arrêt devant les portes vitrées, s’examine de la tête aux pieds dans leur reflet, se compose une attitude adéquate, genre : je m’ennui ferme mais pour vous je fais un effort mais il m’en coûte.
Il tapote le ‘’Libé’’ plié qui dépasse de sa poche comme le ferait un ‘’marshal’’ avec ses ‘’colts’’ dans un western avant de pénétrer dans le ‘’saloon’’ rempli ‘’d’outlaws’’ redoutables. Il entre dans le ministère d’un pas nonchalant, montre sa carte officielle à l’hôtesse d’accueil.
- J’ai été convoqué à une réunion avec le ministre…Il utiliserait le même ton s’il avait été convoqué à la sécu, ne jamais montrer, si ce n’est pas vital, aucune déférence pour personne, un autre principe de base ‘’Jacquient’’.
Il est pris en charge par un agent de sécurité qui le fait traverser un détecteur de métaux, le fouille de la tète aux pieds et lui confisque son téléphone portable pour le guider ensuite dans une enfilade de couloirs jusqu’à une salle de réunion décorée luxueusement. Une grande table ovale en bois précieux signée par un designer coté est entourée de fauteuils pivotants en cuir rouge cerise, au mur sont accrochés des tableaux de maîtres modernes, un Bacon fait face à un abstrait américain dont Jacques a oublié le nom.
Tous ses supérieurs sont déjà présents : son chef direct, le directeur de la PJ, un vrai flic de terrain qui a gravit tous les échelons policiers pendant sa longue carrière en basant toute sa progression hiérarchique sur la discrétion et l’avalage de couleuvre élevé au rang d’art, le juge Vaqueyras et le préfet en charge de l’anti-terrorisme, le directeur de la DST, le général qui dirige la DGSE, plus d’autres têtes que Jacques ne situe pas très bien et Lionel qui accueille Jacques d’un grand sourire. Il salue, serre les mains à la ronde…
Jacques a horreur de ça, ce contact imposé lui répugne, non pas tant le contact lui-même, mais à cause de ce qu’il a l’impression d’apprendre sur la personnalité cachée du contacté et qui contredit si souvent la première impression essentiellement visuelle produite par la personne. Il préférerait pouvoir s’en tenir à ce que son interlocuteur cherche à montrer de lui-même, cela lui semble plus honnête, si quelqu’un veut paraître dynamique par exemple, pourquoi doit-on se donner la possibilité de le cataloguer ‘’mou du genou’’ sur une simple poignée de main ? Il envie les Anglais qui se contentent d’un simple ‘’hello!’’ non invasif…
Il s’assoit dans un des confortables fauteuils et dévisage les personnages présents d’un air paisible. Il essaye de deviner parmi eux lesquels ont déjà lu l’article de Marion dans Libé qui l’a tant réjouit. Probablement tous ceux qui affichent une mine sévère ou renfrognée, quoique pour certain cela puisse être une stratégie pour avoir l’air perpétuellement préoccupé, donc sérieux.
Sûrement pas les deux qui devisent agréablement, décontractés, un peu à l’écart des autres, Lionel et Vaqueyras.
Jacques connaît la cause de cette ignorance de l’actualité par le juge : il est friand de certains jeux de rôle lors de soirées spéciales, costumées et masquées ou il se retrouve déguisé en goret, vautré avec délectation parmi les déjections des autres participants, puis ‘’préparé’’ pour un simulacre de mise à mort par des bouchères blondes, plantureuses et délicieusement brutales, ce qui ne lui laisse que peu de temps au petit matin pour rentrer se laver dans son studio discret du vingtième arrondissement et se préparer à endosser son autre rôle, celui de juge austère chargé de la lutte anti-terroriste. Quant à Lionel, lire un journal de bon matin (et peut être même à n’importe quel moment de la journée), n’est pas une option pour cet accro a l’image et aux flashs d’infos télévisuels.
Quelle andouille ! Jacques est toujours infiniment reconnaissant envers ses victimes quand elles se complaisent à étaler une imbécillité crasse, car cela lui permet d’être déchargé du fardeau du remord. Il remercie sincèrement Lionel d’être aussi con ! Il ressent pour lui la pointe d’affection fraternelle que l’on peut éprouver pour quelqu’un qui se prépare un inéluctable spectaculaire cassage de gueule bien comique et qu’on ne saurait empêcher si on ne veut pas être privé d’une bonne rigolade.

**********

Le ministre de l’intérieur fait une entrée fracassante, il ne salue personne, se jette dans son fauteuil et ouvre ses dossiers sans lever la tête. Ses deux plus proches conseillers s’assoient autour de lui en fusillant du regard l’assistance silencieuse, l’un d’eux tient un exemplaire de Libé à la main.
‘’Wouah ! Ça va chauffer !’’ Pense Jacques.
Le ministre lève les yeux et attaque, absolument furibard :
-Messieurs, c’est quoi ce bordel ?
Son conseiller vient d’étaler le journal théâtralement sur l’immense table.
S’y étale à la une l’article de Marion qui raconte tous les détails de l’histoire de la vengeance de Karim.
-Une bande d’incapables tels que vous, messieurs, je pensais pas que ça pouvait exister ! Vous êtes absolument infoutus de contrôler vos troupes, car la fuite ne peut évidemment provenir que de vos services ! Je veux savoir d’ou ! Il me faut des têtes à couper, je veux celle du coupable et de ses chefs sur mon bureau ! Ils vont me le payer !
Jacques fait le tour de l’assistance pour voir l’effet produit par les paroles du ministre. Chacun s’efforce de prendre l’air le moins concerné possible, on dirait une scène de film. Le plus drôle c’est que Lionel ne semble toujours pas réaliser ce qui lui pend au nez ! Jacques savoure en expert le piment de la situation…
Le ministre s’adresse à lui sèchement :
-Marchand, c’est ça ? C’est bien vous qui avez écris ce rapport final, non ? Vous avez une explication ?
Jacques se racle la gorge avant de répondre, note l’air soulagé et pas mécontent de la plupart des présents qu’il soit lui, le marginal, sur la sellette.
-De manière manuscrite, monsieur le ministre, j’écris tous mes rapports à la main, à l’ancienne, je suis trop vieux pour apprendre l’informatique, je suis totalement fâché avec ces machines…
-Alors, qui a tapé votre rapport ?
J’ai demandé à mon collaborateur de l’anti terrorisme sur cette enquête, le commissaire Raymond (il désigne Lionel), de le synthétiser et de le mettre au propre à partir de mes liasses de notes, c’est un vrai pro dans ce domaine.
Le ministre se tourne vers Lionel.
-Alors ?
-Tout ce que j’ai fait c’est taper ce rapport, monsieur, et puis je vous l’ai fait parvenir directement…
Jacques est sidéré : Lionel n’a toujours pas compris, ou alors il peut intégrer l’Actor’s Studio…
-N’importe quoi ! J’ose espérer que vous n’insinuez pas que la fuite puisse venir de chez nous ? La fuite a obligatoirement eu lieu avant que le rapport ne parvienne au ministère, mes collaborateurs sont au-dessus de tout soupçon, c’est chez vous qu’il faut chercher ! Cette journaliste, cette …coup d’œil à Libé…Marion Bartoli, quelqu’un la connaît ?
Jacques se tourne vers Lionel histoire d’admirer sa mine enfin décomposée et être sur de focaliser toute l’attention sur lui…Il bafouille :
-Ben…heu!…
Le ministre bondit :
-Quoi ? Vous la connaissez ?
-Heu! Oui, c’est une…amie…
La, ricanement et moue appuyée de Jacques pour signifier : ‘’Ben mon cochon, si c’est ça ta définition de l’amitié…’’
Le ministre capte parfaitement le message.
-De quel genre d’amie on parle au juste ? Hein ?
-Ben…disons…un peu plus qu’une amie…
Le ministre explose dans une crise de fureur intense :
-Putain de merde, mais vous vous la tapez ?! C’est ça ? Vous couchez avec cette journaliste ! Vous êtes complètement con ou quoi ?
Il s’en prend ensuite au juge Vacqueyras.
-C’est ça vos super cadors de l’anti-terrorisme, Vaqueyras ? Vous étés allé le pêcher ou, un abruti pareil ? Vous allez morfler, Vaqueyras, faites-moi confiance, vous allez finir votre carrière aux affaires familiales à Privas ! Je vais démanteler votre service de nullards ! Quant à vous, Lionel, préparez vos valises, adieu la vie parisienne, il y a un poste vacant à Longwy, vous allez pouvoir vous prélasser sous le soleil lorrain !
Et ça continue encore et plus. Rien ne semble pouvoir apaiser le courroux ministériel, tout le monde en prend pour son grade, seul Jacques est relativement épargné par sa vindicte. Il se calme un peu chaque fois qu’il lui adresse la parole…Pourtant, Jacques préférerait lui aussi se faire un peu taper dessus pour ne pas risquer de se faire suspecter de lècheculisme par ses collègues, mais apparemment il a la cote. Il est même félicité pour la qualité de son travail…
Puis le ministre change de sujet, sans quitter son ton hargneux.
-A part ça, Vaqueyras, vous avez même pas été foutu, avec vos cow-boys, d’arrêter cet Omar, il vous a filé entre les pattes sans aucune difficulté, mais vous etes payés pour quoi, au juste ? Hein! ? C’est pareil pour la DST, d’ailleurs, à quoi vous servez ? Il questionne un grand quinquagénaire empâté qui sue à grosses gouttes…
-La même mention pour votre service, il continue en désignant un général à la gueule déformée par une cicatrice effroyable, le patron des services secrets de la DGSE.
-Pourtant, nous aurions bien eu besoin de mettre la main sur cette ordure, l’opinion publique ne va pas nous pardonner de l’avoir laissé filer, et je vous rappelle que les élections sont dans moins d’un an.
Je me doute que personne ne va proposer une idée intelligente pour nous permettre de le capturer ?
Un silence pesant lui répond, même s'ils avaient une idée, ils n’oseraient l’avancer de peur de proférer une connerie…
Jacques laisse passer quelques secondes et se lance avant qu’il n’y en ait un qui se décide à l’ouvrir.
-Moi, j’ai peut être une idée…
-Allez-y, vous semblez être le seul doté de neurones parmi ces débiles…
-Cela ne pourrait marcher que si nous sommes très peu dans le secret, je préférerais vous en parler en tête-à-tête.

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Jacques sort du ministère, marque une pause sur le perron, respire l’air frais. La température s’est relevée en cette fin de matinée, le soleil resplendit sur la capitale. Il est comblé. Il récapitule, ravi, content de lui et de sa vie…
Il a pourri durablement la vie de Vacqueyras et de Lionel, c’est déjà un grand motif de satisfaction qui devrait maintenir son moral au beau fixe pour plusieurs jours.
Il a tenu la promesse faite à Fifille, maintenant que toute l’histoire est dévoilée, elle va pouvoir écrire son bouquin sans entraves.
Il a conçu un plan d’enfer, vicieux et pervers, totalement Jacquient, donc imparable, pour réussir à capturer Omar. Il en est d’autant plus fier que celui la, il l’avait pas préparé, il lui est venu spontanément pendant le meeting, de la pure impro inspirée.
Surtout il a, pense t-il, créé les conditions idéales pour commencer une aventure passionnante avec Marion. Il a déjà envie de la revoir, mais il sait qu’il ne doit pas brusquer les choses…Il va lui laisser quelques heures pour lui laisser le temps de le rappeler en premier. Il ne doute pas un instant qu’elle le fera…
En attendant il se taperait bien un bon resto tunisien, toute cette histoire remplie d’Arabes lui a donné des envies de couscous !
Après ça il ira faire un tour au hammam de Farida, une grande et belle Kabyle, forte comme un homme, qui sait te masser le dos d’une poigne de fer…Elle sait aussi, pour quelques privilégiés dont il fait partie, grâce à quelques services rendus, finir ses massages plus suavement, son corps géant et souple étant aussi capable de devenir infiniment doux et enveloppant…
Il descend les marches avec le sentiment de profonde satisfaction du travail bien accompli.

 

Epilogue.

Omar est heureux…
Les chaos de la piste qui secouent le vieux 4x4 le bercent, l’odeur de la poussière soulevée par les roues emportée par le vent chaud, le soleil écrasant qui rend la carrosserie brûlante, tout l’enchante…De retour au pays, enfin…
Cela fait deux bonnes heures qu’ils roulent ainsi dans le désert, plus très loin de la frontière Soudanaise, dans le grand sud Egyptien.
Ses compagnons de voyage subissent stoïquement les soubresauts de la Toyota, ils ne parlent pas ou somnolent, indifférents à la beauté de ce paysage désolé, qui émeut pourtant tellement Omar.
Il déguste sa présence en ces lieux comme une récompense, la juste rémunération du travail accompli.
Cela fait des semaines qu’il voyage, depuis qu’il a pris la fuite après l’attentat de Paris. Pour arriver jusque ici il a du suivre un périple fastidieux qui l’a mené par la Belgique et la Hollande en voiture, façon passeur de drogue, avec une première auto pour ouvrir la route et prévenir en cas de contrôle inopiné devant celle transportant Omar, puis par bateau jusqu’en Pologne. Ensuite il perd le souvenir de tous les pays de l’Est traversés successivement avant d’arriver en Turquie, avec seulement une dernière frontière à franchir à pied, par la montagne et de nuit pour se retrouver en pays ‘’amis’’ et voyager plus librement, sans avoir à se terrer de planque en planque ou caché à l’arrière d’un camion sous un chargement de légumes.
Omar revient à la piste. Dans le lointain quelques reliefs apparaissent, pour le moment de simples taches foncées sur la ligne d’horizon.
Il leur faut encore plus de trois quarts d’heure pour atteindre la petite oasis nichée au milieu des énormes blocs de basalte. Quelques constructions s’abritent du soleil implacable sous les palmiers abreuvés par une source d’eau claire.
Les baraquements sont en bon état, bien entretenus, gardés par des hommes barbus en costume traditionnel, armés de kalachnikovs. Pourtant, on ne ressent aucune tension, au contraire, leur allure est plutôt relâchée, nonchalante, le camp est si isolé qu’il n’y a aucune nécessité de grande vigilance.
Omar saute de la voiture, pressé de fouler le sable du ‘’Camp 11’’
d’ Al Quaida, ou il a passé les plus belles années de sa vie à suivre l’intense entraînement pour devenir un Soldat de Dieu…
Il se jette à genoux, transporté par un bonheur intense, enfouit ses mains dans le sable fin, chaud et sec, le laisse couler entre ses doigts, remercie d’une prière fervente le Tout Puissant Miséricordieux de lui avoir permis de revenir sain et sauf dans cet endroit bénit…
-Omar, te voilà enfin, dépêche-toi, le Cheik veut te voir…
Omar lève les yeux. Yacine, un de ses plus vieux compagnons d’armes, un ami, un frère, se tient devant lui et l’observe sans aménité…
-Yacine mon frère, c’est comme ça que tu m’accueille ?
-Nous sommes pressés, Omar, le Cheik veut te voir sans délai, bouge-toi !
Le ton froid, l’expression dure et distante de son ami alertent Omar. Quelque chose cloche…L’inquiétude lui déclenche une pointe de migraine, tout à coup il trouve la chaleur étouffante, l’air brûlant irrespirable…La sueur envahit son front, degouline de sous ses aisselles, entre ses cuisses et ses fesses grasses…Il est sincèrement surpris par cet accueil glacial, rien ne l’y a préparé. Jusque-la, il a été au contraire traité avec égards et respect partout sur son passage et il ne comprend absolument pas ce qui pourrait justifier un changement aussi brutal d’attitude envers lui.
Yacine le précède dans un grand bâtiment sombre qui sert de salle de cours.
Trois personnages barbus à l’air sévère sont assis au centre des banquettes couvertes de tapis qui entourent la pièce, deux vieux à barbes blanches et un beaucoup plus jeune. Des gardes armés à l’air pas commode referment les lourds vantaux de l’unique porte d’entrée, empêchant toute retraite. Ils forcent sans ménagement Omar à s’agenouiller au centre de la pièce. La seule lumière qui éclaire la pénombre fraîche est celle dispensée par des petites ouvertures minimales percées régulièrement dans les murs épais.
Omar ne reconnaît que le vieillard à sa gauche, un de ses anciens instructeurs quand il faisait ses ‘’classes’’ au camp. C’est lui qui lui adresse la parole.
-Omar, je te présente Cheik Farouk qui supervise le secteur Action Europe et le Mollah Ben Ali qui dirige tout nos réseaux internet. Ecoute-les attentivement.
Le Cheik prend la parole. Omar est terrifié par son regard haineux et son expression de colère intense.
-Omar, nous sommes un mouvement clandestin pourchassé par tous les services secrets de la planète. Cela signifie que nous devons nous cacher, ruser, mais cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas informés de ce qui se passe dans le monde et que l’on peut nous cacher quelque chose très longtemps, nous aussi savons utiliser Internet…
En disant cela, il se penche vers son voisin qui acquiesce gravement.
-De plus nous sommes des militants, des soldats, nous nous battons, nos plus jeunes sacrifient leur vies pour que la vrai foi se répande, pour que la force morale du Très Haut s’impose dans le monde, que la corruption et la turpitude en soient chassées à jamais…
Le vieux fulmine maintenant, sa voix vibre de colère, il s’est dressé, dominant Omar, scandant ses paroles d’un doigt accusateur…
-…Et toi, Omar, maudit porc lubrique, répugnante raclure de chiotte, crachat purulent, tu nous a trahi…
-Mais, mais non…j’ai toujours servi…
Un des gardes, sur un geste du cheik, interrompt Omar d’un coup de crosse sur la bouche. Il gémit de douleur, pompe le sang qui sourd immédiatement de sa lèvre éclatée avec sa manche.
Le plus jeune barbu déploie un ordinateur portable et tourne l’écran vers Omar :
-Regarde, chiasse de cholera…Il appuie sur une touche.
Omar découvre avec horreur sur un film porno, manifestement amateur mais d’une incroyable netteté, un ‘’acteur’’ flouté mais dans lequel il se reconnaît immédiatement en train d’engloutir avec compétence dans sa bouche dilatée à l’extrême la belle queue surdimensionnée de Karim.
-Voilà ce que les autorités Françaises ont diffusé sur la toile, tu as quelque chose à rajouter ?
Omar baisse la tète, se courbe vers le sol…Il s’effondre intérieurement, non il n’a plus rien à rajouter…Il n’a plus la force ni l’énergie pour réagir ou protester, à quoi bon ? Il va payer pour expier ses fautes, c’est dans l’ordre des choses, par avance il accepte déjà son châtiment. Il vient de descendre un palier, il sait qu’il va devoir en descendre encore quelques uns puis ce sera la fin…Cette perspective le calme, il n’est plus que renoncement, il oscille doucement les yeux clos, il laisse maintenant son sang couler sur son double menton, goûter sur son gros ventre, imprégner une tache rouge sur sa chemise en coton.
-Gardes, relevez-le…
Ils le forcent à se redresser en le lardant de coups secs du canon de leur pistolet mitrailleur.
Le Cheik reprend.
-Pourtant, Omar, malgré l’abomination de tes actes, la providence doit veiller sur toi car j’ai deux bonnes nouvelles à t’annoncer…
Omar ne comprend plus rien, ironiser ne semblant pas compatible avec le style austère de son accusateur…
-Les Français n’ont laissé filtrer qu’une toute petite partie du film et ils menacent de révéler en ligne la totalité de tes exploits, sans floutage cette fois, et ça nous ne pouvons nous le permettre ! Nous perdrions toute crédibilité si nous laissions ces images épouvantables être associées au mouvement ou à ses militants, nous ne pouvons prendre le risque de laisser croire que Al Quaida héberge en son sein des fornicateurs invertis qui se vautrent dans une telle débauche !
Il se sert un verre de thé parfumé pour faire une pause et calmer son dégoût
-Nous avons décidé à contre cœur d’accepter le marché que les Français nous proposent et de te livrer à leurs services secrets en échange du film, donc tu vas sauver ta tète…
Omar panique :
-Non, pas ça, je veux pas finir mes jours en prison, j’ai fauté et je mérite d’être puni, mais je préfère mourir ici, dans mon pays, j’ai toujours servis la cause, je mérite bien ça…
Farouk le coupe.
-Tais-toi, déchet de menstrues de hyène, tu ne mérite rien ! La deuxième bonne nouvelle pour toi c’est que tu vas pouvoir assouvir ta passion pour les zobis bien durs ! Les autorités Françaises nous ont promis de te réserver un traitement de faveur en regroupant en détention avec toi tous les pires pervers, les plus grands dépravés psychopathes des prisons françaises ! Alors, heureux ?
Tu vas partir pour le Soudan qui est un pays spécialiste des accords tortueux avec l’occident, rappelle-toi de ce qui est arrivé à Carlos, mais avant tu vas avoir droit à une petite fête d’adieu !
Il se lève, suivi de ses deux assesseurs. Il s’arrête devant Omar et lui crache dessus.
-Emmenez cette merde !
Ils sortent…

**********

Omar a conscience d’être traîné sur le sol puis jeté sans ménagement sur un sol dur et métallique.
Il n’est plus que douleur. Ils l’ont torturé pendant des heures, n’épargnant aucune partie de son corps. Pourtant il n’a aucune plaie visible, les barbouzes Français ont exigé qu’il leur soit livré en bon état apparent.
Alors ils se sont acharné sur lui avec de l’eau, des coups de tapis roulé, de bâton sur la plante des pieds, ils lui ont enfoncé des aiguilles dans toute les parties sensibles du corps, dans les doigts, les orteils, le sexe, les gencives. Ils l’ont électrocuté en dessinant des lignes conductrices sur sa peau avec de la saumure…
Le sol se met à tressauter sous lui, il comprend qu’il est dans un fourgon qui vient de démarrer. Il sombre dans le néant.
Il reprend à demi conscience. Le fourgon roule toujours sur une mauvaise piste, chaque chaos le foudroie de douleur. Il parvient à se tourner pour essayer d’exposer une autre partie de son corps aux chocs. Le confort relatif ainsi gagné lui procure pour un temps une incroyable détente. Sa pensée délirante erre vers son futur…Des images de viol collectif, certaines confuses, d’autres au contraires extrêmement précises défilent dans son cerveau enfiévré . Il voit des dizaines de sexes dressés prêts pour le pénétrer.
Il commence à bander…

 

FIN.