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L’Homme le plus Haïssable du Monde.

écrit par Georges Quivole

Cette histoire est inspirée de faits réels.

L’Homme le plus Haïssable du Monde.

Greenwich Village, New York City, décembre 2019.

En 1505 une flotte commandée par Lourenço De Almeida, fils de Francesco, le premier Vice-Roi des Indes Portugaises, poussée par des vents contraires accosta pour la première fois au Sri Lanka, Ceylan à l’époque. Treize ans plus tard, en 1518, les Portugais nouèrent une relation officielle et durable avec Vira Parakrama Bahu, le monarque du royaume de Kotte qui les autorisa à s’établir et construire un fort sur l’emplacement actuel de la capitale du pays, Colombo…Les Portugais. étendirent leur influence grâce à cette alliance avec ce royaume puissant qui, avec leur aide, pris en quelques décennies le contrôle de toute l’île. Un engouement des castes dirigeantes pour tout ce qui était Portugais et la conversion en masse du peuple au catholicisme par les Franciscains permit aux patronymes portugais de se répandre dans la population locale…

Ces quelques faits historiques passent dans le cerveau de Ramesh Fernando pendant qu’il pense à lui-même, (ce qui est fréquent, il s’apprécie sans complexe), en dégustant son double expresso assis à la micro terrasse chauffée du Elk Café, Charles Street, Greenwich Village, NYC, faits expliquant la connotation de son nom de famille peu asiatique mais l’un des plus répandus dans le pays d’origine de ses trisaïeuls, Nirvel et Anaya Fernando, débarqués de leur île natale en Afrique du Sud pour tenter d’y faire fortune vers 1920. Ils y achetèrent un baraquement modeste mais idéalement situé à la frontière entre les quartiers résidentiels Blancs et le Township Noir d’Alexandra, à la périphérie de Johannesburg, pour le transformer en un ‘’Miscealenous Store’’, bazar vendant comme son nom indique à peu près tout, alcool, tabac, denrées alimentaires, quincaillerie…

Le petit commerce prospéra grâce à sa situation géographique privilégiée qui lui permettait d’être fréquenté par une clientèle mixte, noire principalement, indienne évidemment par affinité mais aussi blanche qui tolérait de commercer, généralement par l’intermédiaire de leurs servantes, avec ces (relativement) peu bronzés suffisamment civilisés.

Presque un siècle plus tard ‘’Fernando’s’’ est une des enseignes de supérettes et de supermarchés les plus répandues dans toute l’Afrique Australe. Point commun à tous ces commerces : ils appartiennent aux descendants des douze frères et sœurs que Nirvel et Anaya, qui s’aimaient beaucoup, pondirent puis installèrent en créant une nouvelle branche pour chaque rejeton atteignant sa majorité. La plupart développèrent d’autres branches sur ce modèle, de génération en génération, quelques uns, moins entreprenants que les autres, périclitèrent ou se contentèrent de vivre confortablement mais sans excès de zèle des revenus procurés par leur héritage. Les parents de Ramesh, Vivaan et Mahira, font heureusement partie de cette catégorie peu laborieuse et il n’ont pas insisté très longtemps quand Ramesh leur a annoncé qu’il n’avait aucune intention de perpétuer la tradition de reprise du commerce familial et qu’il voulait devenir avocat. En fait ça les arrangeait plutôt : sa sœur aînée, Dayani, ne montrant, elle, aucune disposition pour les études se chargeait déjà de gérer la supérette avec une compétence certaine. Jolie, souriante et rondelette, la clientèle l’adorait et ses parents la laissaient le plus souvent en charge, profitant sans vergogne de leur nouveau temps libre, rassurés sur la pérennité de revenus réguliers et suffisants pour alimenter leur proche et précoce retraite.

Ramesh s’étire, baille, il défait les lacets de ses derbys “Crockets & Jones” qu’il porte depuis qu’ils les a achetés ce matin dans une boutique de luxe de la Cinquième Avenue histoire de les ‘’faire’’ à son pied et surtout qu’ils n’aient pas l’air trop neufs, pareil pour le costard anthracite en lin/cachemire “ Beyond Bespoke “ la chemise en soie naturelle ‘’Lilly Silk’’. Il prend soin de les maltraiter, il ne veut pas arriver à son rendez- vous de l’après midi en donnant une impression de plouc endimanché. Mais putain il en jette ! Il est tombé plus d’une fois en arrêt devant sa propre image reflétée au hasard des centaines de miroirs des boutiques new-yorkaises. Il n’est pas très grand, à peine 1m76, mais vraiment bien foutu, mince, belle gueule anguleuse, virile, dents éclatantes, cheveux bouclés noir de jais coupés façon Rimbaud, toujours glabre, pas question de se conformer à la mode de porter quelque type d’ornement pileux, longs cils qui font ressortir des yeux noisettes. Grand cinéphile, il a découvert récemment dans un célèbre film français des années 70, César et Rosalie, qu’il ressemble, en plus bronzé, à un des acteurs, Samy Frey. Il a depuis longtemps l’habitude de solliciter des regards admiratifs mais la il s’est surpassé. Si cet après-midi tout se déroule selon ses vœux il ira fêter ça ce soir dans une boîte branchée, tester son sex appeal sur les new-yorkaises. Méthode simple pour ne pas se prendre un toujours possible ‘’vent’’ dans ce pays où les interactions sociales sont devenues compliquées, hyper codifiées, scrutinisées : s’asseoir au comptoir en sirotant un Mojito parfumeur d’haleine et laisser venir. En principe ça fonctionne toujours, il ne faut pas long avant que quelqu’une (ou un son sex appeal est universel) vienne le brancher…

Il a déambulé toute la matinée en adoptant la démarche ridicule caractéristique mais hélas inévitable : nez en l’air - yeux plissés - main en visière en tentant d’éviter d’être ébloui par le soleil qui surgit des façades- pour pouvoir contempler les perspectives vertigineuses des gratte-ciel, démarche qui permet de repérer sans erreur les touristes parmi les new-yorkais pressés et blasés obligés de les contourner en râlant. Il en a évidemment récolté un torticolis persistant qu’il tente d’apaiser sans trop de succès en se massant le cou ce qui lui permet de mater a la dérobée les rares filles regardables, exercice hautement répréhensible dans cette ville, il s’est déjà fait rabrouer vertement par des nanas ulcérées à cause de son regard trop ouvertement concupiscent.

Il retourne à sa rêverie, des pensées défilent, l’une découlant de l’autre...

Il aime cet état à la limite de la transe dans lequel il plonge souvent…Ponctuellement une sirène de police ou d’ambulance, un pigeon se posant en brassant l’air ou un passant hurlant dans son portable le ramène pour un temps à la réalité de son entourage, fixant sa rêverie dans sa mémoire pour une durée variable, dépendant de l’intérêt du sujet, les plus incongrus y restant les mieux gravés…

Il en a un pas mal, là, qui mérite d’être creusé :

La bouffe…

Ça commence (en principe) par des sensations agréables, les bonnes odeurs creuseuses d’appétit, l’aspect visuel réjouissant du plat, une jolie salade pleine de couleurs, un beau gâteau bien doré…

Tout ça ne sera plus qu’un machin que, à part quelques pervers, tout le monde trouve répugnant, aspect et odeur, quand ça a transité dans l’organisme…

Donc : A quel moment ça devient dégueulasse dans le corps ? L’intestin ? Ou bien avant ? Déjà dans l’estomac c’est immonde, à preuve le vomi est puant, dégueulasse malgré l’aspect assez proche du départ, les couleurs initiales et quelques morceaux y étant encore conservés…En fait dès le passage en bouche, une fois mâché et approximativement liquéfié par la salive il en est déjà terminé du joli plat esthétique et parfumé ! Pourtant les humains quand ils se rencontrent n’ont rien de plus pressé que s’inviter à dîner. Lui évite autant qu’il peut de s’asseoir en face de quelqu’un qui mange, surtout une fille qu’il trouve attractive, sinon il est condamné à visualiser mentalement en détail le processus qui commence devant lui…Si la soirée se prolonge il va suivre en pensée le trajet du repas DANS la jolie créature, la trituration des ingrédients dans l’estomac pendant le trajet en taxi vers chez elle (ou chez lui), les transformations chimiques dans l’intestin grêle grâce aux industrieuses bactéries pendant le déshabillage et les caresses préliminaires, le commencement de la diffusion des substances nourrissantes dans le sang pendant l’étreinte finale et les caresses post coitales qu’il dispense généreusement en vrai gentleman jusqu’à au moment où son amante s’endort collé à lui, tête lovée au creux de son épaule, laissant quatre vingt dix pour cent de la matière de l’ancien shop suey ou biryani finir son cheminement pendant la nuit, de plus en plus compactée (ou pas selon l’irritabilité du colon ) et puante, stationnant près de la sortie en attendant le caca matinal de la belle…

Retour à la lucidité à cause du tintement des tasses vides qu’une serveuse charmante mais évidemment en net surpoids empile sur son plateau. Il se demande s’ils sont nombreux parmi ses “fellow humans” à avoir ce genre de pensées constamment dans la tête…Probablement pas, “ils” donnent pas l’impression d’avoir le temps pour ça, portables en permanence collés à l’oreille ou portés en plateau devant la bouche, tenu entre les mains pour texter en rafale ou relié directement par des micro- écouteurs planqués dans les oreilles, cohortes de gens croisés parlant tout seuls comme des zinzins d’antan. Sans compter les croyances innombrables qui verrouillent la pensée en créant probablement un barrage mental impénétrable et salutaire à ce type d’idées saugrenues. Lui ne croit en rien, il a toujours connu cet état et cela a encore empiré en tournant la trentaine.

Il se secoue mentalement, tente de se discipliner :

-‘’Pensons à l’Affaire”…

En fait il n’a pas réellement besoin d’y cogiter tant que ça, il est en accord avec son client sur la stratégie à adopter : éviter un procès à l’issue trop aléatoire, accepter un accord avec l’indemnisation la plus élevée possible, dans tous les cas la somme obtenue sera au minimum rondelette au mieux une vrai fortune, suffisante en tous cas pour que son jeune client réalise son rêve et lui ses envies, vagues mais pourtant impératives de changement. Son travail très rémunérateur d’avocat spécialisé dans les procès pour dommages et intérêts suite à accidents variés ne l’amuse plus, il voudrait faire autre chose. Ses trente pour cent de commission devraient lui permettre de voir venir un bon bout de temps, assez pour pouvoir se payer un changement de vie. En fait c’est grandement à cause de l’affaire et surtout la rencontre avec son client que cette envie plus ou moins consciente est devenue plus concrète, plus présente. Avant elle restait latente, la vague impression d’un manque permanent. Il se laissait porter par la routine comme un surfeur flemmard se laisse glisser sur la vague régulière d’un mascaret en contemplant le paysage des berges qui défilent des deux côté de l’estuaire, sans à-coup, peinard mais un peu vide avec une perception précise du temps qui s’écoule et de l’énergie du système qui diminue, de la pente de la vague porteuse qui s’aplatît lentement mais inéluctablement…Bref : il se faisait un peu chier.

Il a toujours aimé apprendre, il absorbe toutes informations, notions, concepts, livres, films comme une éponge. Il possède une culture générale exceptionnelle, le roi des “Quizz” il est. Il s’intéresse à tout, des sciences aux arts, de la cuisine à l’histoire. Il parle plusieurs langues couramment : Afrikaner, Anglais, Zulu, Hindi ce qui est un gros atout dans son travail. Grâce à la rencontre avec son client il a découvert la langue Xhosa et ses consœurs apparentées du Kalahari, des milliers d’années de culture et d’histoire orale véhiculées par ces dialectes d’une richesse inouïe, précis, élégants, phonétiquement variés et imprononçables pour des gosiers occidentaux, parlés par des populations fascinantes. En fréquentant son client et sa famille qui l’a intégré si spontanément et où il s’est immédiatement senti chez lui il s’est trouvé immergé dans un monde différent de son environnement urbanisé. Un monde qui n’est pas en lutte, en opposition avec la nature, qui en…découle, c’est ça, qui en est le produit, qui lui doit son existence. Évidemment il est bien conscient que c’est en fait le cas pour n’importe quelle société, mais la les échelons intermédiaires qui masquent les relations de cause à effet sont absent, la relation est directe, mutuelle, en symbiose. Ou plutôt l’était, comme dans le reste du monde les peuples du Kalahari voient leur monde traditionnel se déliter inéluctablement. En s’efforçant laborieusement à comprendre et surtout parler cette langue si difficile à former dans sa bouche, surtout la bouche, les sons de la gorge ça va encore mais les consonnes ! Un cauchemar ! Des heures passées à saliver, cracher, baver, bafouiller, se mordre la langue comme un gâteux en provoquant l’hilarité de tous les membres de sa famille adoptive, pliés de rire de la grand mère aux enfants, des cousins aux voisins…puis un jour, à son propre étonnement, les sifflements, claquements de langue, caquètements caractéristiques ont commencé à devenir plus naturels, moins baveux. Ça lui a donné l’envie d’approfondir ses connaissance sur ces langues, l’histoire de leurs origines, l’élaboration de leurs structures phonétiques et grammaticales. Il se verrait bien recommencer à étudier pour quelques années…La proto-linguistique, l’anthropologie, l’archéologie ? Tout ça en même temps ? Pourquoi pas, il s’en sent bien capable, douter de lui n’est pas dans sa nature…

Sauf quand il s’agit de ses relations avec les filles…

La tout devient compliqué ! Sa belle assurance disparaît, il n’est plus sûr de rien et surtout pas de lui. Déjà il a horreur de l’amont du truc, la drague, la séduction. Il est incapable de se pavaner devant une femelle. Ou plutôt de devoir se pavaner en respectant le rituel établi selon des règles qui ne sont pas les siennes. Lui il ne demande RIEN à une femme pour la trouver attractive, elle n’a rien à prouver. Ça “le fait” ou pas en fonction de critères plus ou moins conscients, visuels d’abord, évidemment, mais aussi olfactifs, auditifs et après le comportement du sujet, précisément un des “répulsifs” pour lui sont les tics féminins de séduction, minauderies, rire et exubérance forcés, toutes ces tentatives dérisoires pour se mettre en valeur. En fait ces préliminaires conventionnés le paralysent, il en devient souvent désagréable, antipathique, il n’a plus qu’une envie : fuir pour se retrouver seul, finir par se branler en fantasmant sur un contact idéalisé, palliatif confortable et rarement décevant.

S’il ne fuit pas et que la fille arrive à surmonter tous les obstacles qu’il dresse cela se traduit généralement par un premier rapport sexuel raté, il se montre un amant peu doué à la virilité au mieux chancelante au pire carrément absente, son sexe se recroquevillant dans des proportions ridicules le force à un renoncement pitoyable mais mentalement libérateur genre : ouf, voilà, oublions, passons à autre chose…

Il ne devient éventuellement performant, si la fille a la bonté d’insister dans la relation, de se montrer patiente, de lui donner le temps de se tranquilliser, qu’après plusieurs “séances”, quand il a pu imprégner son imaginaire des formes, odeurs, textures du corps de sa partenaire mais alors la il devient insatiable, imaginatif, prêt à toutes les turpitudes. Paradoxalement cela lasse ses amantes qui sentent que ce n’est pas “elles” qu’il désire, leur “âme”, leur “moi profond” mais juste leur corps, machine biochimique productrice de chaleur, de texture, de fluides, de phéromones qui le font (enfin) bander.

En plus il est incapable de se montrer fidèle même s’il a, a contrario, plutôt tendance à l’être. Il mate toutes les filles, toujours en train de guetter pour la prochaine qui va accrocher son regard et il y en a beaucoup, ses goûts sont éclectiques. Son paradis sexuel serait le monde d’avant les civilisations, un monde sans couple, sans famille, ou les enfants survivants de copulations libres seraient élevés par tout le clan. Les femelles l’attirent, il adore l’esthétique des femmes enceintes, leurs gestes plus lents, plus harmonieux, leur bonne humeur, le rayonnement de la conscience de leur fonction primordiale. Il aimerait pouvoir ne baiser que “utile”, dans un but de reproduction mais sans, la encore, de rituel : engagement, famille, élevage des enfants pendant des dizaines d’années…

Lynchburg, Virginia, printemps 2019.

David Morris, Dave, est ravi. Il vient de conclure sa troisième vente de la journée. Une excellente journée ! Cela dit pour Dave il n’y a que très rarement de mauvaises journées. Si on lui demandait de se souvenir de la dernière vraiment désagréable il devrait se creuser la cervelle pour en trouver une. Tout lui a plutôt toujours réussit. Fils unique de parents laborieux mais attentionnés, physique peu remarquable si on fait abstraction de son mètre quatre-vingt douze mais traits avenants agréables inspirant confiance genre poupon jovial géant. Le type qui peut être le copain de tout le monde, rassurant, qui attire les plus faibles comme un aimant mais dont les matamores ne se sentiront jamais menacés, qui ne contestera jamais leurs prérogatives, celui qui n’est en concurrence avec personne, toujours dans le peloton de tête dans à peu prêt tous les domaines mais se satisfaisant modestement des troisièmes ou quatrièmes places. Pas un vrai leader mais volontaire et capable d’initiative si la nécessité s’en fait sentir. En bref une ‘’bonne pâte’’, (a good lad).

Chanceux avec ça, il a rencontré sa future femme, Pamela, au collège et à l’époque elle n’était pas vraiment un top modèle. Bouche encombrée par des appareils orthopédiques disgracieux qui la faisait baver en permanence en la forçant à aspirer constamment sa salive en un tic irritant, visage constellé de boutons d’acné, tignasse folle négligée coupée trop court, au carré, trop sportive et bien peu féminine. Pourtant elle lui a plu, attiré par son caractère énergique, sa joie de vivre stimulante et surtout le fait qu’elle ne lui a pas laissé le choix, il lui a plut et elle ne l’a tout simplement plus lâché, il s’est laisser happer par son énergie. Il l’a aimée comme il aurait aimé une sœur aînée mais avec le sexe en plus et quel sexe ! Elle n’était pas du genre à chipoter dans ce domaine non plus, pas question de passer des semaines à se bisouter, se caresser, se fréquenter dans une abstinence frustrée. Trois jours après leur première rencontre elle a profité d’une promenade en forêt derrière la maison de ses parents où il l’avait invitée à déjeuner pour l’attirer dans un bosquet et véritablement le violer sans qu’il n’émette évidemment la moindre protestation. Elle l’a entraîné dans une débauche sexuelle permanente et enthousiaste, une fête des sens constante. Quand la plupart de ses copains ados en étaient réduits à rêver de sexe en se masturbant tout en matant des films pornos lui profitait en ‘’live’’ de tout ce qui les faisaient virtuellement fantasmer.

Ils se sont mariés dès la fin de leurs études. Pamela a embellie spectaculairement une fois ses appareils retirés révélant une d’enture éclatante à l’ordonnance parfaite, son acné guéri grâce à la stabilisation de son système hormonal, un corps un peu plus arrondi en diminuant le sport et sa chevelure laissée libre de pousser en révélant des belles boucles blondes. N’ayant pour elle même d’autre ambition que d’être la parfaite housewife, elle l’a guidé grâce à ses conseil perspicaces pour qu’il puisse progresser dans sa carrière professionnelle jusqu’à ce poste de direction chez ‘’Lynchburg Motors’’, le plus gros vendeur de 4x4 de Virginie. Elle lui a fabriqué avec compétence deux filles parfaites qui font sa fierté, deux quasi clones de sa femme qu’il adore et qui le lui rendent bien, un vrai papa gâteau. Son loisir-passion, comme celui de la plupart des hommes du pays, c’est la chasse dans les forêts des Appalaches dans laquelle il excelle. Il possède un râtelier de fusils de tous types, du vieux mousquet au M16. Il vote évidemment républicain mais il est plutôt du genre modéré, il a bien conscience que son parti n’aurait jamais dû investir un abruti congénital mais il a quand même voté Trump par fidélité envers son camp et par haine des démocrates qui veulent remettre en cause le Deuxième Amendement donnant le droit de posséder et porter une arme à tout citoyen américain à chaque malheureuse et certes déplorable tuerie de masse, quand périodiquement un taré ouvre le feu sur une foule ou dans un collège.

Bref, Dave est parfaitement heureux, confiant dans l’avenir, il aime son pays, le plus libre du monde, sa ville verdoyante, ses montagnes giboyeuses, sa femme et ses filles parfaites, son patron qui le paye si royalement, son travail facile et divertissant dont il ne se lasse pas, plaisir toujours renouvelé de persuader un acheteur naïf qu’il fait une si bonne affaire en devenant l’heureux possesseur d’un monstre de 450 chevaux dont il n’a en réalité aucun usage…

Redeker Safari Parc, North Cape, South Africa, juin 2019.

Umbala est couché sur le dos à l’ombre d’un acacia. Il baille à se décrocher la mâchoire. Il s’étire longuement, tendant ses pattes devant lui qui rentrent ainsi dans son champ de vision, fait saillir ses griffes de plusieurs centimètres. Il se tortille de gauche à droite prenant plaisir à sentir sa masse peser alternativement de chaque côtés de sa colonne vertébrale et les gravillons du Kalahari lui gratter la peau. Il fait une pose comme ça, sur le dos, bide exposé. Il contemple le paysage à l’envers, le sable chauffé par le soleil tremblote, tenant lieu de ciel dans sa vision renversée, le feuillage clairsemé de l’arbre sous lequel il est étendu composant un sol lointain, hors de portée de ses pattes écartées. La température est idéale pour glander confortablement à l’ombre. Glander est son activité principale mais les lieux et le niveau de confort varient : plus froid il glande au soleil, plus chaud il reste évidemment abrité mais le confort devient moindre voire disparaît dans les chaleurs extrêmes de la saison chaude heureusement encore lointaine. La il fait juste assez chaud pour avoir envie de se mettre à l’ombre. Il se retourne sur le ventre, se gratte mollement l’oreille, pas grand-chose à gratter grâce au soins attentionnés de son ami humain qui le bichonne quotidiennement, peigne sa belle crinière noire, le débarrasse de toutes tiques importunes. Une vague envie d’aller provoquer les jeunes le titille mollement, parader ses deux cents et quelques kilos de muscle devant eux, pousser un de ces rugissements dont il a le secret pour les terroriser sans risque, bien protégé par les barrières solides de leur enclos. D’autant qu’il y a un peu plus d’intérêt à la chose depuis quelques temps, un jeune lion beaucoup plus effronté que les autres n’hésite pas à le défier agressivement, ça réveille un peu sa combativité bien endormie après ces années de vie sans soucis, bien nourri, bien traité, n’ayant aucune concurrence à écarter pour pouvoir copuler avec toutes les lionnes énamourées du parc, plus désirables les unes que les autres. D’ailleurs il pourrait aussi passer devant la vaste enclave des femelles mais à quoi bon ? Elles sont toutes en train d’allaiter leurs lionceaux dont il est l’indifférent papa, il n’y a donc aucune chance pour que les fabuleux effluves périodiques émanant de l’une d’entre elles ne le mette en transe. Il faudrait qu’elle perde ses petits et hélas les barrières l’empêchent d’aller essayer de faire un massacre parmi leurs rejetons, pas par sadisme gratuit, il aurait plutôt tendance à laisser les lionceaux se chamailler tranquillement entre eux, mais pour déclencher prématurément l’état de réceptivité glandulaire de ‘’ ses’’ femelles. Le plus simple est encore de repiquer un petit roupillon histoire de finir de digérer son dernier repas, délicieux poumons de zébu, morceaux de choix que son ami humain lui a réservé. Il se couche bien étalé sur le côté, ferme les yeux, s’endort en quelques minutes. Des mouches opportunistes en profitent illico pour venir pomper les larmes salées qui perlent au coin de ses paupières closes.

Lynchburg, printemps 2019.

Pamela sort de chez ‘’Lynchburg Beauty Parlour’’ d’un pas décidé, les mains et les pieds impeccablement manucurées et pédicurés, le visage frais, massé et maquillé avec art mais sans ostentation, elle a horreur de ces bimbos provinciales qui s’affichent avec des ongles démesurés aux couleurs criardes, des gueules oranges et botoxées, des lèvres siliconées. Non, Pamela est bien trop consciente de sa beauté naturelle pour la gâcher par des excès d’artifices. Elle est à peine plus grande que la moyenne, blonde, bouclée naturellement, les séances chez sa coiffeuses sont une formalité, shampoing, massage du cuir chevelu, coup de ciseau sur les pointes, brossage sans sécher et le tour est joué, laisse cascader les ondulations dorées gracieuses sur les épaules. Elle peut faire comme elle veut avec sa chevelure : l’attacher relevée sur la nuque, la tresser, la chignonner, c’est toujours joli, elle adore ses tifs ! Pas si grosse que ça, à peine dodue, juste le nécessaire pour mettre en avant pleins de volumes appétissants et atténuer les quelques rides de son début de quarantaine, épaules, poitrine, fesses, hanches, cuisses, tout est en courbes attirantes chez elle, révélées par une robe légère fleurie rouge ‘’Réformation Lacey’’ en accord avec la saison, mi-longue mais fendue jusqu’a mi-cuisse et largement décolletée. Grands yeux verts, grande bouche aux lèvres pulpeuses et souples, prompte à s’étirer en un sourire qui dévoile une denture éclatante.

Elle s’immobilise un instant sur le seuil de la boutique luxueuse pour examiner la rue, en réalité pour s’assurer que les nombreux passants ont bien remarqué sa présence. Elle sait l’effet qu’elle produit, en use sans modération. Hommes, évidemment, mais aussi femmes, enfants, jeunes, vieillards, tout le monde l’adore spontanément. Elle déclenche la bonne humeur par sa seule présence, les plus renfrognés se dérident à son contact, son caractère enjoué détend les énervés, apaise les colériques.

Elle descend les marches précautionneusement, juchée sur des sandales à talons hauts ‘’Sophia Webster Laurellie Floral’’ en ajustant des lunettes de soleil “Ray-Ban Érika” légèrement teintées soulignant l’ovale de son visage et son teint hâlé, se mêle aux passants en ondulant des hanches et en laissant un sillage parfumé “Calvin Klein One”. Elle est détendue, souriante, tout est agréable, elle adore le printemps, l’air léger qui lui déclenche des envies qu’elle sait pouvoir satisfaire. Elle aime sa vie, sa ville, sa famille, son environnement stable qui est sous son contrôle permanent, qu’elle gère intelligemment, posément. Elle ne tolère pas que les accrocs, les accidents, les conflits viennent perturber sa quiétude, elle a une réponse prête pour tout problème qui se présente, rien ne saurait la prendre au dépourvu.

Sa maison confortable, discrètement luxueuse, dans le quartier résidentiel chic de Boonsboro est le centre de cet univers maitrisé sur lequel elle règne en parfaite housewife aisée. Elle y élève ses deux filles, Audrey et Shirley, adolescentes aussi blondes qu’elle, nourries par une alimentation de qualité bien dosée pour éviter l’obésité vulgaire standardisée des pauvres malnutritionnés, vives, intelligentes et sportives comme il se doit. Les traites de sa maison sont payées par le salaire confortable de son mari, directeur de Lynchburg Motors, le plus gros vendeur de 4x4 de la région. Pamela s’épanouit dans ce monde où tout est sous son contrôle. Même les ‘’écarts’’ sont assumés, gérés, planifiés selon un rituel immuable. Par exemple les rencontres avec son amant qu’elle est en train de rejoindre en conduisant posément son 4x4 Ford Edge rutilant vers un motel discret sur la highway 29 au nord-est de la ville. Elle tient à arriver en avance, le temps de s’assurer que la chambre a atteint une température idéale, Pamela est frileuse et elle veut que son amant la découvre sans chair de poule disgracieuse, nue, affalée à plat ventre en diagonale sur le lit king size, jambes écartées, sa croupe rebondie surélevée par un coussin opportunément glissé sous son ventre. Elle anticipe avec un frisson qui lui court entre les cuisses ce qui se passera inéluctablement : son amant ne prendra pas le temps de se déshabiller, il se jètera entre ses fesses pour lécher avidement les orifices offerts à sa convoitise. Elle jouira une première fois en quelques secondes, ensuite il la prendra longuement à sa guise, elle n’aura qu’à se laisser besogner, son deuxième orgasme viendra en se caressant le clitoris pendant qu’il la pénètre, elle espère qu’un troisième explosera en apothéose s’il arrive à se retenir assez longtemps pour ‘’se finir’’ en la sodomisant… Elle a confiance, il ne pourra ignorer l’invitation sans ambiguïté du ‘’plug’’ oint de lubrifiant parfumé au jasmin qu’elle se sera introduit dans l’anus pour le pré-dilater. Elle n’en aura pas pour autant fini avec le plaisir sexuel pour la journée. De retour au foyer conjugal, après avoir cuisiné un délicieux dîner pour sa famille elle s’auto-pardonnera son incartade du jour en ne laissant pas dormir son mari chéri avant qu’il ne se soit lui aussi satisfait dans une étreinte certes moins passionnée mais néanmoins plaisante grâce à l’adorable énorme queue de son Dave, sensiblement plus grosse et grande que la moyenne qu’elle sait sucer à la perfection. Comme elle aime la sentir grandir et envahir sa gorge…Elle adore se laisser prendre classiquement, écrasée sous la masse de son gentil géant qu’elle aime toujours aussi profondément après toutes ces années, bras et jambes croisées dans son dos pour le verrouiller dans une étreinte puissante mais en l’embrassant tendrement. Dave, son époux, est le socle solide sur lequel elle a bâtie sa vie depuis son adolescence. Sa gentillesse, sa force tranquille et surtout l’amour indéfectible qu’il a pour elle, sa fidélité, sont la source d’énergie inépuisable qui lui a permis de devenir la Pamela actuelle, comme si elle s’était modelée à partir de l’argile de la Pamela pré-Dave et s’était lentement laisser sécher à son contact chaleureux…

Il l’a débarrassée de ses complexes, cela lui a permis de prendre confiance en elle, de s’embellir et surtout de prendre conscience de son pouvoir sur son environnement et les êtres qui le composent, Dave en tête, pour leur plus grand bénéfice et bonheur mutuel. Il ne l’a jamais déçue, il est fidèle, travailleur, il est le centre du monde qu’elle a créé autour de lui en le guidant, en lui évitant les faux pas dans sa carrière voire en donnant le coup de pouce opportun en usant de tous ses charmes sans aucune vergogne pour lui garantir sa position sociale privilégiée actuelle. Elle est d’une prévenance constante, elle le débarrasse de toutes les contraintes quotidiennes, gère tous les aspects triviaux de leur vie commune. En échange elle est toujours aimante, elle est fidèle car elle considère sa relation avec son amant comme une nécessité certes agréable mais indispensable pour la pérennité de leur situation ultra confortable qui bénéficie à toute la famille. Plus subtilement encore cette relation extra maritale permet de satisfaire son appétit sexuel qui devient chaque année plus vorace en évitant les risques de relations aléatoires ce qui garantit son épanouissement personnel dont le rayonnement harmonieux profite à tout son entourage. Elle croit en Dieu et elle est un des piliers de la principale paroisse Méthodiste de la ville. Elle n’est pas très férue en théologie, serait bien incapable de savoir la différence entre Méthodistes, Baptistes, Adventistes ou Presbytériens mais le culte Méthodiste avec ses cantiques modernes rythmés et dansants convient à merveille à sa nature extravertie et surtout le dogme méthodiste principal que Jesus est mort pour nos Péchés, déjà ça de pris, joli assurance mentale confortable et que le Paradis dépend du bien que l’on répand autour de soi lui permet de s’exonérer de toute culpabilité envers ses bien petits péchés personnels, facilement compensés par la quantité de bonheur qu’elle génère. Pamela adore que tout se déroule selon les plans qu’elle établi dans les moindres détails, dans tous les domaines : cuisine, réceptions, vacances, sexe, les grands comme les petits moments de sa vie se doivent d’être prévus, anticipés, prémédités. Elle à les surprises en horreur, un vrai cauchemar.

Et là elle est inquiète… Ho, pas la grosse angoisse mais une gêne suffisante pour lui gâcher une partie de son plaisir : Bob, son amant et le patron bienveillant de son mari lui a promis une surprise ! Quelle sale manie “Ils” ont de vouloir nous (me) surprendre elle pense…Elle enrage… Comment peut-on aimer ça, être surprise ? Découvrir un truc qui va la laisser probablement décontenancée, ne sachant pas quoi dire, comment réagir… Pire : devoir être forcée d’apprécier pour pas risquer de peiner, jouer le jeu, avoir l’air heureuse de découvrir la…le…machin. Elle aime pas ça, pas ça du tout ! Elle va le briefer, son Bob, lui expliquer la vie… Cette pensée la réjouit, elle se détend un peu… Il aime les surprises ? Elle te lui en prépare une belle, il va se régaler ! Elle se marre en conduisant, retrouve en partie sa bonne humeur habituelle. Elle va le pourrir jusqu’à ce qu’il soit éperdu de remords… Après elle s’emploiera à le consoler, ça le rendra encore plus performant… Son désir revient, encore plus impétueux, des images délicieusement pornographiques s’impriment dans sa pensée, elle se tortille sur son siège, elle doit se forcer pour se concentrer sur sa conduite…

Lynchburg, Virginia, printemps 2019

Robert Witherspoon Junior termine son double expresso à la terrasse du Starbucks Main Street de Lynchburg. Il vient de terminer un lunch léger, Salade Cesar et pain complet. Robert (Bob) surveille sa ligne : repas équilibrés, séance de fitness dirigées par son coach personnel, jogging quotidien, consommation raisonnable d’alcools de qualité, évidemment pas de tabac ce qui lui a permis de tourner la cinquantaine en forme, au moins en apparence ce qui est le plus important, surtout ne pas risquer de ne plus plaire à sa maîtresse, son seul vrai centre d’intérêt depuis dix ans, depuis le jour bénis où elle est entrée dans sa vie, effaçant le marasme dans lequel il allait s’engluer inexorablement. Bob consulte sa Pacha, Il n’a plus que quelques dizaines de minutes à tuer avant d’aller la rejoindre. La fabuleuse évocation se réimpose dans son cerveau. Avant de la connaître il n’était rien ou presque, une vie privilégiée mais banale, sans intérêt. Fils unique de Robert Witherspoon, fondateur de Lynchburg Motors, il n’a jamais eu le moindre soucis matériel ni à réellement travailler jusqu’au décès du paternel. Le vieux avait vite compris que ce fils qu’il adorait ne lui ressemblerait que physiquement, il était doté du caractère enjoué et indolent de Mary, sa mère, qui n’était dans ce monde que pour s’y laisser vivre, à l’image de ses chats chéris, des Maine Coon gigantesques qui emplissaient la maison de leur paresse bienveillante et communicative. Robert Senior avait parfois l’impression que sa femme était une des leurs. Comme eux elle passait des heures à simplement changer d’emplacement pour s’affaler, de la chambre au salon, de la terrasse au jardin, ne se remuant mollement que pour aller se nourrir de cuisine de qualité. Comme eux elle ne montrait des montées d’énergie soudaines que pour se divertir, sortir, danser, recevoir des amis. Elle adorait se faire caresser, tripoter, câliner, aimer mais comme ses chats elle était d’une fidélité toute relative et Robert Senior avait du intervenir fermement voire brutalement pour évincer de son entourage des ‘’matous’’ aimantés par son pouvoir d’attraction. Bob a grandi dans le giron de cette mère affectueuse, cajolé, bisoutė à outrance, sans concurrence, tout ces câlins rien que pour lui et il a adoré ça, une enfance de rêve, sans souci ni contrainte. Il n’était pas bête, ses résultats scolaire était dans la bonne moyenne, il a commencé des études scientifiques qu’il a interrompues sans regrets quand la quantité de travail à fournir est devenue un fardeau trop lourd à porter. A quoi bon ? Son présent et son futur matériels étaient assurés par l’entreprise prospère de Papa dont il n’était absolument pas pressé d’hériter…

C’est l’heure.

Il rejoint un énorme Pick-Up Ford F-450 Super Duty, un des 4x4 en exposition chez Lynchburg Motors pour courir à son rendez-vous. Partout ailleurs dans le monde il ne passerait pas inaperçu dans ce véhicule mais pas à Lynchburg, ce type de voiture y est assez courant. Pour se faire remarquer, ce qu’il ne veut surtout pas faire, il faudrait choisir la star des voitures exposées dans le hall gigantesque, le Mercedes AMG G 63 6x6 par exemple, un monstre de 575 cv et 6 roues motrices… Courir n’est pas le mot juste : voler, planer, transporter serait plus approprié. Il vient de passer son week-end, comme presque tous ses week-end depuis dix ans, à attendre ce moment en lisant des bons polars, présentement il dévore les Scandinaves, ou visionner des bonnes séries sur le câble, depuis l’arrivée de Netflix et de ses concurrents l’offre est pléthorique. Là il se fait un plaisir nouveau, il découvre les films d’animation genre “Love Death and Robots”, des perles en images de synthèse, gores et poétiques. Tout ce qu’il faut pour lui garantir autant que faire se peut le minimum de contacts avec Nelly, sa monstrueuse épouse, cent onze kilos de hargne et de bile et ses enfants, Kevin et James, deux colosses de dix sept et dix huit ans pas encore obèses mais ça viendra, il n’en doute pas, dès qu’ils arrêteront le foot-ball américain ils marcheront fièrement sur la trace à Maman, ils suivent déjà un régime immonde hyper carbohydraté similaire, ingurgité maladivement. Aussi bornés et trumpistes que leur mère, Bob se demande comment il a pu produire ça. Souvent il doute d’être leur père. Hélas Nelly est tellement cul-bénit, croyante fanatisée du pire pasteur évangéliste local qu’on a du mal à imaginer comment elle aurait pu le tromper avec assez de constance pour engendrer non pas un mais deux monstres…Surtout que la…’’chose’’, (il s’interdit depuis longtemps de se dire‘’ma femme’’ en pensant à Nelly), était à l’époque toute enamourée, câline, n’en revenant pas de la chance de s’être faite épouser par ce beau mec potentiellement plein aux as grâce à son futur héritage pour ne pas se risquer à aller draguer ailleurs, bien trop occupée à se faire féconder au plus vite pour sécuriser durablement son avenir…La hargne et l’obésité sont venues par la suite, à l’époque elle était juste agréablement potelée, gentille et plutôt sexy, brune aux magnifiques yeux bleus qui lui faisait irrésistiblement penser à son fantasme cinématographique du moment, Elisabeth Taylor, bien assez attirante pour qu’il se laisse persuader de l’épouser. Lui était d’un caractère indolent, malléable, en fait assez faiblard, peu en accord avec ses traits virils et volontaires qui faisaient illusion, donnaient le change…Il est resté le même, la nouveauté le fatigue, il préfère la routine confortable…Il ne s’est pas méfié de certains traits néfastes pourtant flagrants qu’elle montrait déjà, entre autres sa manière vorace d’ingurgiter des quantités excessives des aliments les plus caloriques et son approche hyper hygiéniste et peu enthousiaste du sexe, rituel obligatoire de nettoyage immédiatement avant et après interdisant toute possibilité de spontanéité, de fantaisie, de baise ailleurs que dans une chambre équipée d’une salle de bain. Seule concession qu’il a réussit à lui arracher : ne pas baiser dans le noir total ce qui ne changeait pas grand chose vu qu’ils faisait en général ‘’ça ‘’ sous les couvertures.

Peut de temps après la naissance de Kevin, leur deuxième, la vraie personnalité de Nelly s’est révélée. Elle a décidé que ça ne valait plus la peine de faire le moindre effort pour empêcher son indice pondéral de passer la barre des 25 et surtout elle a commencé à fréquenter assidûment son église d’illuminés dont le pasteur l’a aisément persuadée que toute sexualité non destinée à la procréation était péché mortel ce qui a mis un terme à leur rapports intimes, lui ne se voyant pas faire carrière dans la procréation effrénée. Elle a décidé qu’il était temps de faire chambre à part et de se débarrasser de la seule contrainte de sa vie, la corvée des rapports sexuels pour lesquels elle avait toujours éprouvés une profonde répugnance. Peu après ça il a découvert qu’elle vidait leur compte en banque au profit des ‘“œuvres” de son église, consistant principalement à payer le train de vie luxueux de son gourou. Plutôt que de gérer courageusement le problème il s’est confié à son père, Robert Witherspoon Senior qui lui s’est chargé de mettre le holà sur ces pratiques pour éviter tout risque de dilapidation de la fortune familiale. Le paternel a verrouillé tous les comptes n’en autorisant l’accès limité qu’à lui même et ses descendants majeurs, en versant une pension confortable mais fixe sur un compte séparé pour Nelly qui du coup s’est montrée beaucoup moins généreuse quand il s’est agit de distribuer son propre argent. Son aigreur chronique est probablement parti de la, son seul but dans la vie devenant l’attente de ce jour lointain où ses enfants hériteront de la fortune familiale. Bien sûr elle est devenue ultra républicaine, animant les “Tea Party” locaux, le plus beau jour de sa vie étant quand son idole Trump fut élu Président. Bob qui ne s’était jamais senti concerné par la politique est allé pour la première fois de sa vie voter Démocrate, se sentant tenu d’essayer de neutraliser par son bulletin la ferveur imbécile de sa femme.

Bob a hérité du commerce paternel quand celui-ci a été tué dans un accident de voiture. Conducteur exemplaire, Robert Senior s’est pourtant retrouvé compressé contre la pile d’un pont dans son 4x4 Dodge réduit à la largeur d’une Nissan Micra par un semi remorque gigantesque conduit par un chauffeur épuisé, forçat de la route endormi au volant après douze heures de conduite non stop. Ce dont Bob n’a pas hérité sont le sens des affaire ni le caractère volontaire et travailleur de Papa. Il n’est qu’un gentil glandeur, épicurien dans l’âme, doué pour profiter sans vergogne des bonnes choses de la vie. Il aime tout ce qui est de qualité, la cuisine, le vin, le sexe, la montagne, la mer, la plaisance, (il possède un superbe voilier en bois de 1947, un 8 mètre JI aux lignes superbes ancré au très exclusif York River Yatch Haven dans Chesapeake Bay sur la cote atlantique )…Il est en forme, ne fait pas ses 51 ans, pas de graisse superflue, il sait se nourrir, à les excès en horreur. Il se surveille, il n’est pas idiot, il sait qu’il est en train de basculer du côté obscur de sa vie, les âges ou les saloperies débilitantes peuvent commencer à se manifester, la vue qui baisse, les boyaux qui ne filtrent ou digèrent plus aussi bien, les érections moins certaines, les micro cancers qui ne demandent qu’à grandir dans leurs organes préférés s’il ne sont pas évacués immédiatement par la machinerie chimique dont sa vie dépend, allant se nicher dans les boyaux, le foie ou la prostate qui ne tardera plus à s’épandre pour bouffer l’espace de sa vessie, les os qui se déminéralisent, le métabolisme un peu plus flemmard qui se contente de convertir les excès de calories en graisse immonde autour du bide…

Et lui il veut DURER, alors il met le paquet, check-up complets hors de prix dans la meilleure clinique de la ville, sport et diététique, c’est en fait son vrai hobby, se maintenir suffisamment physiquement performant pour profiter le plus longtemps possible de…tout ça : cette vie facile, procurée par son aisance financière grâce au commerce prospère légué par Papa, rendu encore plus florissant par ce surdoué de la vente qu’il a eu l’idée de génie d’engager. Enfin n’exagérons rien, en fait il l’a surtout engagé car il est tombé raide dingue de désir quand il a vu sa femme par qui, pour le coup, son mari avait eu, lui, l’idée de génie de se faire accompagner le jour de son entrevue pour un poste de vendeur lui garantissant ainsi son engagement. Quand il l’a vue il a tout de suite su qu’ils allaient fomenter une alliance indéfectible entre eux, mieux qu’un mariage. Un pacte ad aeternam qui allait les lier tous les trois, lui, elle et son mari, financièrement et affectivement.

Putain quel canon !

La comparaison s’imposait, évidente : Marilyn ! Mais au naturel, pas de rectifications à coup de bistouri, les formes plantureuses, le sourire éblouissant, les gestes affables, la fausse ingénuité dissimulant un caractère bien trempé, un tempérament volcanique, une maîtresse femme adorant comme lui la vie dans tous ses aspects. Ils ne pouvaient que se compléter, lui aimant tant ne rien décider et elle faite pour tout contrôler. Il n’a plus eu qu’à se laisser prendre en charge, manipuler, engluer dans sa toile, encoconer pour leur plus grand bénéfice mutuel. Il a employé son sympathique mari qui s’est rapidement révélé la parfaite recrue pour faire prospérer son affaire. Jovial, intelligent et compétant, connaissant les 4x4 et surtout leur clientèle, amateurs de grand air et chasseurs comme lui, capable de discuter avec les ‘’Red-Necks’’ locaux sur un pied d’égalité, de les caresser dans le sens du poil, toutes choses que Bob est bien incapable de faire, il a cette engeance en horreur, pour la plupart des Républicains fervents mariés aux clones de sa femme. Poussé par sa divine maîtresse il a tout délégué : son affaire à son mari qu’il n’a pas tardé à nommer directeur avec un salaire royal, ‘’l’éducation” de ses enfants bornés à sa femme débile, et surtout la plus grande partie de sa vie sexuelle, (il se réserve le droit d’accepter un extra quand il est sollicité, ce qui arrive souvent), à Pamela qui sait si habilement entretenir sa libido. Dix ans que cela dure. Dix ans d’extase glandulaire, quel régal cette femme. Il aime ses volumes parfaits, ses odeurs, la saveur de ses fluides, tout en elle le fait bander. Ils se retrouvent au moins quatre fois par semaine depuis toutes ces années, cinq cent vingt semaines multiplié par quatre, deux mille quatre vingt séances de baise intense…Dix ans ! Ils se doivent de fêter ça…Il lui est venu une idée géniale pour commémorer en beauté cet anniversaire : offrir un beau voyage à son mari, deux semaines pour profiter encore plus de Pamela, deux semaines où ils pourront se rencontrer quasiment chaque jour, les filles ados de Pamela savent s’occuper sans son aide, ils vont pouvoir passer des heures ensemble, vautrés dans des chambres d’hôtel en baisant, picolant des grands crus de champagne, dégustant des denrées de luxe..

Redeker Safari Farm, Afrique du Sud, juin 2019

Le soleil est couché depuis plus d’une heure et Fézékilé décide qu’il peut considérer comme terminée sa journée de travail commencée dès l’aurore treize heures plus tôt. Toutes les bêtes sont nourries, abreuvées, soignées, abritées. Fézékilé n’a que dix-sept ans ce qui ne l’a pas empêché de devenir en quelques années le chef des ‘’keepers’’, les gardiens, du Redeker Safari Farm, attenant au Kgalagadi Transfrontier Park à cheval sur la frontière entre le Botswana et la République d’ Afrique du Sud. Engagé au lendemain de ses douze ans pour nettoyer les déjections de la centaine d’animaux ‘’sauvages’’ il a rapidement progressé pour finir par occuper cette position grâce à son contact privilégié, spontané, avec les bêtes. Fézékilé est un Xhosa du Kalahari quasi illettré mais il possède une compréhension profonde de la nature dans laquelle il a été immergé toute sa jeune vie. Les autres ‘’keepers’’, pour la plupart des immigrés des bidonvilles de Maputo, la capitale du Mozambique voisin, n’aiment pas les animaux voire les haïssent, ne se privant pas pour les maltraiter dès que Fézékilé relâche sa vigilance. Il va passer par les cuisines pour récupérer son repas, probablement une belle portion de Chakalaka mis de côté pour lui par Gugulethu, la chef cuisinière Zulu qui l’a à la bonne. Il dispose de sa case personnelle où il passera pour aller se doucher avant de rejoindre comme presque chaque soir son pote Umbala, le Black Maned Lion (lion à crinière noire du Kalahari) pour passer la nuit à la belle étoile, couché sur une natte en raphia, tête reposant sur le bide souple et chaud de l’animal, lové entre les papattes terribles. Il a sélectionné quelques morceaux de choix parmi les plus gras pour le repas de son ami, il va se munir de son peigne racle-tique pour une séance de soin dont Umbala est friand, un seau d’eau fraîche…il se réjouit à l’avance de l’accueil qu’il est certain de recevoir, gros câlin dans une embrassade puissante qui pourrait le broyer, léchage énamouré…

Fézékilé aime cette vie bien réglée, il n’a pas de gros besoins matériels, d’envies compliquées, il se contente du minimum de contacts avec les autres humains qu’il a du mal à comprendre, à fréquenter, surtout les plus jeunes. Les autres ‘’keepers’’ n’ont qu’une idée en tête, sortir le samedi pour dépenser leur maigre salaire à Upington, la ville la plus proche, s’abrutir en se saoulant avec de la bière Umgomboti au goût d’urine accompagnée de ‘’shots’’ d’alcool Mampoer puis perdre leur derniers Rands avec les putes les plus ‘’cheap’’ de la ville. Lui ne dépense rien de son salaire, il n’a aucun besoin, il est logé et nourri, il est toujours vêtu des mêmes vêtements basiques, bermudas pleins de poches pratiques, t-shirts amples, tongues…Il laisse monsieur Redeker, le propriétaire du domaine, gérer son salaire dont il n’a quasiment aucun usage, en fait envoyer la moitié à sa mère pour l’aider à élever ses cinq frères et sœurs. Ils vivent au milieu du Kalahari, payés une misère par les agences de voyages pour poser déguisés, quasi nus et enduis d’ocre sur les selfies des touristes descendus de leurs 4x4 à air conditionné. Son boss dépose le reste sur un compte épargne qui commence à être bien garni après toutes ces années. Fézékilé a un très vague plan, plutôt un rêve lointain pour utiliser ce magot : devenir vétérinaire, docteur des bêtes. Chaque fois que Mr Vanderpe, le veto attitré du parc, fait ses visites il ne le quitte pas d’une semelle, fasciné par la science du praticien…

Redeker Safari Farm, août 2019,

Dave n’a quasiment pas fermé l’œil de la nuit. Trop excité. Il s’est retourné des dizaines de fois sur son lit king size entre de vagues somnolences sans jamais parvenir à trouver son habituel sommeil réparateur. Pour la énième fois il se lève, va à la salle de bain, urine sans nécessité juste pour dire de justifier son passage dans la pièce, retourne dans la chambre inutilement climatisée car les nuits sont plutôt fraîches en cette saison, ouvre une canette de Capenhagen, dont il ne boit que quelques gorgées…Il sort l’arme superbe qu’il a choisie parmi l’arsenal varié proposé aux clients du safari parc, un incroyable antique fusil Uberti 1874 Sharp, arme de chasse légendaire du célèbre Buffalo Bill en personne, qui a grandement contribué au génocide des bisons pour affamer les populations natives rebelles et faciliter la construction du chemin de fer de la conquête de l’Ouest américain. Une arme de précision, pas question de massacrer sa cible, il chasse “pour le sport”, il tient à “laisser sa chance” à l’animal, il tient à “le tirer” en un seul coup précis et létal, Il aurait honte d’imposer des “souffrances inutiles” à sa proie, il a bien trop de “respect” pour une bête aussi majestueuse.

Un groom va bientôt frapper à sa porte, une heure avant l’aurore pour qu’il ait tout le temps de se préparer pour sa dernière chasse matinale. Les autres jours il a déjà réussi à tuer un buffle, stoppant net la charge du monstre (terrifiant) et deux springboks (extraordinairement difficile, le deuxième abattu en plein bond d’une seule balle, fabuleux !). Quelle chance il a de se retrouver dans un safari, un vrai, le rêve de tout chasseur, tous ses potes ‘’at home’’ en crèvent de jalousie. Cadeau somptueux de son patron préféré pour dix ans de loyaux et forts rémunérateurs services. Aujourd’hui c’est le dernier jour pour l’apothéose, la chasse ultime, la plus dangereuse, la plus difficile, le nec plus ultra en la matière. Tout est prévu dans les moindres détails par l’organisation sans faille du parc, encadré par de purs Boers à l’esprit ordonné, germanique. L’action sera filmée et diffusée en direct sur Internet pour que sa femme, son patron, ses filles chéries et toutes ses connaissances puissent être témoins de son exploit.

Il devrait être aux anges mais une angoisse incompréhensible l’étreint. Il se sent oppressé, mal à l’aise… Cela a commencé dès qu’il a posé le pied ici. Dans l’avion, enfin les avions, Lynchburg-New York-Joahnesburg- Upington, en tous plus de deux journées de voyage, il se sentait très bien, euphorique, excité comme le jour où son père l’a emmené pour la première fois chasser dans les Appalaches.

La chaleur de l’accueil, la qualité des prestations, tout est parfait à la “ferme” grand luxe au service impeccable.

Mais quelque chose cloche.

Déjà il n’aime pas l’endroit, cette sécheresse, ces arbres rachitiques dénuées de toute majesté, ces couleurs ocres et grises, l’air poussiéreux tremblant dans ce soleil trop vif, rendant les lointains flous. La verdure et l’air transparent rincé par la pluie de sa Virginie lui manquent. Aussi la platitude du terrain, l’absence de relief qui limitent le paysage aux éléments les plus rapprochés le dérangent.

Il y a autre chose de plus subtil qu’il a du mal à cerner, qui n’a aucun rapport avec l’environnement mais qui vient du plus profond de lui-même. Un sentiment de culpabilité, de frustration qui le pousse à se ronger compulsivement les ongles pour la première fois de sa vie, envie impérieuse qui le surprend, auto mutilation inconsciente qu’il essaye en vain de réfréner…En fait il comprend que cela tient à ce qu’il est en train de faire, là : chasser…Pourtant il a toujours chassé, initié dès son plus jeune âge par son père, colosse débonnaire qui possédait une petite scierie en bordure de forêt au milieu des montagnes adorées qu’il connaissait par cœur. Aucune espèce animale ou végétale n’avait de secret pour lui. Il lui a appris à chasser en respectant la nature, les cycles de reproduction du gibier, ne tuant que ce qu’ils étaient sûrs de pouvoir consommer à la maison, gibier mijoté ou rôti dans des repas somptueux préparés par sa mère, Lise, experte dans l’art d’accommoder ces chairs vigoureuses.

Adulte il a continué à chasser pour son plaisir, une vrai passion mais toujours raisonnée, respectueuse de l’environnement. Il est un des piliers de l’ Appalachian Outdoorsmen’s Association, fédération de chasse qui gère un territoire immense, imposant les quotas de prélèvement annuel, organisant les patrouilles de Rangers pour traquer les braconniers et éviter autant que possible le massacre des espèces protégées. Accessoirement sa fédération sert aussi à garantir la pérennité du Second Amendment qui donne le droit de port d’arme à tout Américain adulte, en confortant l’implantation locale du Parti Républicain. Mais là il est ici juste pour tuer des bêtes, pour rien, pour le “trophée “, pour prouver qu’il “l’a fait”… Il se sent coupable, un remord vague mais constant le taraude, lui noue les tripes et le cerveau…

Il reste un coin d’ongle sur son pouce gauche, il l’attaque fébrilement. En fait s’il s’écoutait, s’il succombait à son envie profonde il écourterait son séjour, partirait sur le champ. Il imagine son soulagement, en oublie pour un temps de mutiler son pauvre pouce. Hélas il ne peut pas fuir, il ne veut pas décevoir ses proches, ses amis chasseurs bavants de jalousie devant sa chance, son patron qui lui a offert ce cadeau hors de prix…Alors il va faire ce pour quoi il se trouve là mais il va soigner son tir pour en finir au plus vite, d’un seul coup si possible, pour gagner le droit de rentrer fièrement chez lui…Mais plus jamais ça ! On frappe à sa porte.

Une femme de chambre entre et dépose un plateau surchargé de tout les éléments d’un petit déjeuner somptueux. Perdu dans ses pensées moroses il manque le sourire éblouissant, les formes parfaites qui remplissent et tendent la jupe courte et le chemisier noirs bordé de dentelle blanche de la servante. Sans aucun appétit il se sert une grande tasse de café noir, ingurgite machinalement un œuf au plat avec un toast au beurre salé…

………..

Il sort sur la terrasse de son bungalow, l’air est frais, presque glacial, limpide. La lumière rasante du soleil levant éclaire le paysage en traversant la ligne des acacias qui bordent les limites de la ferme. L’amélioration provisoire de l’esthétique des lieux lui remonte un peu le moral. Une drôle de voiture kaki au vague aspect de Jeep, une antique Volkswagen Kurierwagen, en fait une coccinelle ‘‘rhabillée’’ en look tout terrain, est garée en bas des marches. Il s’installe à côté du chauffeur emmitouflé dans une Parka fourrée, écharpe enroulée autour et nouée au dessus de la tête, genre œuf de Pâques.

Dave s’amuse de cette tendance locale à se couvrir exagérément dès que la température descend en dessous de la moyenne. Il s’installe fusil sur les genoux à côté du chauffeur qui démarre dans une grande pétarade et un beau nuage de fumée. Le trajet n’est pas très long, une trentaine de minutes en zigzagant sur des pistes minimales. Dave a l’étrange impression au bout de quelques temps, en se basant sur leur incessants changements de position par rapport au soleil levant que son chauffeur pourrait tracer une route bien plus directe au milieu des acacias. Ils finissent par s’arrêter à côté de trois pick-up 4x4 Toyota. Une grande table de pique nique est dressée avec des Thermos remplis de café, de thé, de lait. Il y a des glacières avec de l’eau fraîche, de la bière incongrue en cette heure matinale. Toute une troupe est déjà sur place, des ‘’rangers’’ en treillis, des techniciens en train de vérifier du matériel vidéo professionnel. Une unité de communication par satellite clignote, surmontée d’une antenne parabolique pointée vers le Nord. Dave note machinalement : le nord, normal, nous sommes dans l’hémisphère sud…

Tout ça ravive son malaise, ce côté cirque, festif, il s’attend à voir apparaître une fanfare accompagnée de majorettes…

Un arpète l’interpelle :

-Coffee Sir ? Tea ? Beer ?

-Nothing Thanks…

Un des techniciens lui fait signe.

-Sir we are on line, you want to say hello ?

Il fait pivoter un écran vers lui, le visage souriant de ses chéries apparaît, trois têtes blondes, sa femme au centre encadrée par ses deux filles.

Dave salue toute sa famille en s’efforçant de faire bonne figure, ne rien laisser paraître de son malaise. Le Technicien fait ensuite apparaître Bob, son patron, qui le congratule chaleureusement puis ses copains chasseurs regroupés dans leur bar préféré qui lui hurlent des encouragements, manifestement éméchés vu le nombre de canettes vides de Bud’s alignées devant eux…

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Un Ranger, probablement le chef vu les galons dorés qui ornent ses épaulettes, s’approche.

-Sir, we have found a prey this morning… not too far, you are lucky, a beautiful male… whenever you’re ready…

Il répond sans enthousiasme

-I am as ready as I will ever be… Let’s get over it…

Le temps que les techniciens s’emparent de leur matériel et la troupe se met en route silencieusement. Les rangers ouvrent et ferment la marche, Dave est au milieu du groupe, constamment filmé par une des deux caméras pendant que l’autre prend des plans plus larges.

Redeker Safari Park, août 2019,

Umbala s’ennuie, une nouveauté pour lui. Il se lève pour retourner vers la ferme en ayant encore une fois oublié que sa patte arrière droite est retenue par un lien qui l’empêche de s’éloigner de la petite clairière au milieu des acacias rachitiques. Il essaye encore de trancher le lien mais la matière au goût de caillou est bien trop dure pour lui. Cela lui revient, Il a aussi essayé de creuser le départ du lien mais il s’est cassé deux griffes sur un énorme rocher enfouis dans la terre. Alors il renonce et se recouche, résigné. Il aurait du se rebeller quand les humains l’ont réveillé en pleine nuit pour l’emmener mais il est tellement habitué à la bienveillance de son ami qu’il s’est laissé guider sans résistance dans une cage en n’ayant qu’une envie : retourner roupiller au plus vite. En plus ils lui ont donné pour le récompenser de sa docilité une belle portion de viande hachée, ingurgitée en trois gorgées voraces malgré son goût douteux, bizarre, un peu comme les feuilles d’herbe qu’il mâche par instinct pour faciliter sa digestion. Après il s’est endormi en quelques instants pour se réveiller ici. En plus il a soif. Et faim…Ça l’énerve ! Il n’a jamais eu à subir ça…il se lève encore une fois pour s’éloigner. Le mince câble souple en acier se tend…

Redeker Safari Parc, août 2019,

Fézékilé est inquiet. Depuis quelques jours rien ne va…

D’abord il y a certains des Keepers qui se montrent nettement plus désagréables qu’à l’accoutumée. Ils se rebiffent ouvertement contre lui, spécialement quand il les empêche de maltraiter les animaux. Ils se moquent de lui quand il sélectionne les bons morceaux de viande pour Umbala, le sens des quolibets proférés dans un créole portugais lui échappe grandement mais ils sous entendent tous qu’il a une relation autre qu’amicale avec son lion…Fézékilé craint qu’ils ne fassent quelque sale blague à son ami et justement la nuit dernière monsieur Redeker a décidé de l’appeler pour l’aider à ranger une immense remise, ça a duré toute la soirée, à la fin il était tellement vanné qu’il s’est écroulé dans sa case sans trouver l’énergie pour rejoindre Umbala. Il s’est levé avant l’aurore pour aller voir son pote mais il n’arrive pas à le trouver, pourtant il a fait le tour de tous les coins préférés de ‘’son’’ lion. Il retourne vers la ferme, croise un des keepers imbécile qui pousse une brouette chargée de déjections. Le gars émet un ricanement sarcastique à son passage.

Fézékilé lui bondit devant, le keeper laisse tomber les bras de sa brouette…

-Qué?

L’autre joint les mains comme pour une prière, se compose un visage larmoyant :

-Meu pobre lionzinho querido… (mon pauvre lionceau chéri).

Fézékilé bondit et, faisant preuve d’une force surprenante décuplée par la rage, tord le bras du keeper derrière son dos, l’obligeant à se plier en deux pour éviter la rupture. Il pousse le gars vers la brouette remplie de merde, appuie sur l’arrière du crâne pour forcer le visage à ras du chargement immonde.

-où est Umbala ? Ou ? Dis moi ou je te noie dans la merde !

L’autre n’est pas du genre courageux, il lâche :

-Ton lion tu le verra plus, l’américain va le flinguer !

Fézékilé appuie sur la tête du gars qui a la mauvaise idée de se mettre à gueule à ce moment là, s’étouffant dans la merde qui lui remplit tous les trous de la gueule…Il s’élance comme un fou vers un rack à outillage, s’empare d’une machette et part en courant vers le bush.

Upington, North Cape, Afrique du Sud, août 2019.

Ramesh s’installe au volant de la Toyota Yaris banale qu’il vient de louer après avoir débarqué au Upington International Airport. Aéroport au trafic modeste pourtant doté d’une piste démesurée de cinq kilomètres de long incongrue pour desservir cette petite ville, sur la Orange River, en bordure du Kalahari. Il allume la radio sans trop d’espoir de capter une station potable dans ce bled qu’en bon habitant de mégapole il préjuge illico comme irrémédiablement paumé. Pourtant son oreille accroche un riff caractéristique. Il monte le son, les premières notes de l’intro de Foxy Lady éclatent, emplissant l’habitacle de la voiture de leur son puissant, lui donnant irrésistiblement envie d’accélérer, de foncer sur la highway quasi déserte en cette fin de soirée. Quel morceau fabuleux ! Il effectue un rapide calcul mental. Plus de cinquante ans ! Cette chanson a plus de 50 ans ! Il se demande quelle chanson actuelle sera encore écoutée dans cinquante ans…Ça n’a pas pris une ride, c’est juste incroyablement parfait. Une pensée l’amuse : les gens de la génération d’Hendrix écoutaient sûrement pas de la musique de…1917 ! Tu parles, ils avaient que l’embarras du choix, eux, pas besoin d’écouter des antiquités.

Mais Il se domine, ralenti, pas question de se faire retarder en se faisant gauler pour un excès de vitesse inutile. Il se remémore les événements mémorables de la journée, commencée bien banalement en se dirigeant vers le centre de Jo’burg sans se presser par obligation, coincé dans un embouteillage interminable provoqué par une énième tranche de ces travaux surprise qui apparaissent sans préavis dans toutes les grandes villes, conséquence directe des baisses généralisées de dépenses publiques dans le monde actuel et à Johannesburg plus spécialement. Pour ne pas perdre son temps il surfait sur les sites de faits divers, source inépuisable de clientèle potentielle et de contrat juteux pour en défendre les victimes dans des procès en dommage et intérêt, sa spécialité.

Un titre éveillât son intérêt :

‘’Young boy save lion while intercepting shot from a hunter’’ (Un jeune garçon sauve un lion en interceptant le tir d’un chasseur.)

Sur le film de bonne qualité on voyait un chasseur en gros plan, de face, en train de viser, puis de derrière, zoom sur sa cible, un magnifique lion tranquillement couché au milieu du bush. Soudain la bête se lève et se retourne, comme alertée par quelque chose, manifestement sur le point de s’enfuir brusquement. On entend le tir juste au moment où une silhouette s’interpose devant le lion, emplissant le champ de la caméra et s’écroule en tas sur le sol comme un pantin désarticulé. Le lion bondit mais ne va pas loin, manifestement une de ses pattes arrière est retenue solidement par un lien invisible, la bête folle de terreur rebondit et retombe lourdement au sol en hurlant à chacune des tentatives pour se libérer. Son salut vient du blessé, un très jeune garçon, qui se redresse péniblement en brandissant une machette qu’il abat en tranchant le lien invisible, libérant le lion qui bondit et disparaît dans le bush sans demander son reste.

La bande son qui accompagne l’action est encore plus éloquente que les images.

On y entend le chasseur, surpris par l’irruption du gars, fort accent américain, s’exclamer:

-What’s the fuck ! What’s That ?

Puis, réalisant la situation :

-Fuck, I shot somebody ! Help, I shot someone !

Cris divers en plusieurs langues, Africaneer, Anglais, Zulu, Portugais dans une confusion générale…puis la voix du chasseur au dessus de la mêlée :

-Are you gonna fucking help him ?

Réponse cacophonique générale :

-The lion… Too dangerous… Shoot him !

-Shoot the lion ? You want me to shoot a lion tied up ? You bastards…

A ce moment la victime du tir se lève machette en main.

-Look, look it’s Fézékilé … he is not dead !

Sur la suite du film on voit le chasseur courir vers le garçon qui est retombé sur le sol après son effort incroyable pour libérer le lion. Il le soulève facilement comme un enfant dans ses bras.

-Call an ambulance !

-No, no we take care of him…

L’américain ordonne en hurlant de rage:

-Call an ambulance motherfuckers !

Le chasseur part en courant en portant sa victime inconsciente tout en continuant d’invectiver le personnel affolé.

-Where is the nearest hospital ?

-No, no, no hospital, go back to farm, go back to farm…

La troupe hurlante s’approche d’un groupe de véhicules garés en bordure d’une vague piste. Le chasseur ouvre la portière arrière d’un 4x4 Toyota, installe délicatement le garçon sur la banquette. Il hurle :

-You drive me to an hospital ! Now!

Un des employés, probablement le chauffeur attitré de la voiture, s’installe au volant. Le plus étonnant est que tout ça continue à être filmé comme un reportage, manifestement, dans la confusion, personne ne lui ayant donné l’ordre d’arrêter de filmer, le cameraman continue vaillamment son travail.

Le chauffeur demande :

-What Hospital ?

-I don’t fucking know, it’s your fucking country…

-Upington ?

-Whatever. The best one ! Drive ! You cunt !

Il n’a pas pris le temps d’en visionner plus, a vérifié la date du film.

Fuck, le matin même ! Et déjà des millions de vues sur internet ! La chance de sa vie une histoire pareille...

Il a fait un demi tour agressif en escaladant le terre plein central de l’autoroute dans un concert de klaxons et d’invectives outrés pour foncer vers l’aéroport où il n’y avait hélas pas d’avion avant le soir pour Upington, avec un billet évidemment hors de prix. Cela lui a laissé tout le temps de réserver une voiture au Hertz local et une chambre à l’hôtel ’’The Oasis’’.

Il ne lui faut pas longtemps pour se garer devant le Harry Surtie Hospital. Il doit user de tout son charme rehaussé d’un beau pourboire de quelques centaines de Rands pour convaincre l’imposante réceptionniste de nuit, au moins cent kilogramme de pure agressivité sous perruque blonde, ongles pailletés de trois cm de longs, faux cils en nylon pour mettre en valeur son regard bovin, de lui communiquer des détails sur l’état du blessé et surtout le numéro de sa chambre. Elle lui apprend que la victime, Fézékilé, est stable, ses jours ne sont pas en danger, la balle n’a atteint aucun organe vital par contre les os de l’articulation de l’épaule droite sont en miettes, le garçon ne retrouvera probablement jamais le plein usage de son bras. Ramesh se réjouit cyniquement, encore une bonne nouvelle, rien de tel qu’un bon handicap permanent pour faire monter les enchères.

Il finit par trouver la chambre après un bon quart d’heure de détours dans le labyrinthe des bâtiments de l’hôpital à l’architecture prétentieuse inutilement compliquée.

Un jeune flic, probablement Zulu estime Ramesh, monte la garde devant la porte de la chambre en pianotant frénétiquement sur un portable. Ramesh tente sa chance, le salut en Zulu…

-Sawubona

Le gars lève les yeux de son téléphone…

-Yebo, sawubona…

Gagné !

Le flic du coup est conquis d’emblée, il le gratifie d’un grand sourire avenant.

-je suis l’avocat de Fézékilé…

-Son avocat …? Ok…

-comment va-t’il ?

Haussement d’épaules

-Je sais pas, il dort depuis des heures…

-Tu vas rester là toute la nuit ?

-Oui, jusqu’à huit heures…

-Tu me préviens en premier s’il se réveille?

Il lui tend sa carte et trois billets de 200 rands pliés en quatre.

Le jeune empoche prestement la carte et les billets.

-Pas de problème…

-Tu peux passer la consigne à ton remplaçant, il y en aura autant pour lui ?

-Compte sur moi, Patron…

Lynchburg décembre 2019,

Dave fait signe à Jenny, la barmaid du Stoney Badger Tavern de lui servir son deuxième whisky. La fille s’approche, tout sourire. Elle aime bien Dave, son gentil client du début de soirée. Grande et très brune, des yeux verts magnifiques, des piercings partout, nez, oreilles, lèvre. La peau très blanche, généreusement dévoilée par des fringues en dentelle noire minimales au décolleté généreux, tendue par une graisse harmonieusement répartie qui adoucit une musculature impressionnante de catcheuse et constellée de tatouages colorés. Dave, plongé dans une cogitation morose ne se rend pas compte de la côte certaine qu’il a auprès d’elle.

Il a pris l’habitude de venir picoler dans ce bar animé après le boulot depuis son retour d’Afrique et l’accident qui a faillit coûter la vie à ce pauvre garçon. Il traîne dans ce bar, complètement indifférent à son environnement, n’importe quel autre troquet ferait l’affaire pour retarder le moment pénible de son retour à la maison, le retour de celui qu’il est devenu bien malgré lui, le boulet absolu, celui qui fout la honte à son entourage, celui avec lequel on ne veut surtout pas être associé, une des plus grandes célébrités de tous les temps sur réseaux sociaux et d’Internet : The Most Hated Man in the World, l’ Homme le Plus Haï du Monde.

Pourtant il ne se sent coupable de rien, au contraire, il trouve que son comportement après le tir fatal a été exemplaire, il a certainement sauvé la vie du jeune garçon que le personnel et les patrons de la ferme auraient bien été capables de laisser crever pour cacher le désastre. Mais évidemment le clip tronqué, complètement édité qui a fait le buzz mondial, plus d’un milliard - Un Milliard ! - de vues c’est juste la séquence du tir fatal suivit du geste véritablement héroïque de l’adolescent pour sauver ‘’Son’’ lion, le reste du film n’est disponible que sur des sites d’infos sérieux bien moins suivis. Cet avocat qui a mis le grappin sur la victime, ce Ramesh diabolique a fait un travail remarquable pour diffuser et rediffuser en rajoutant à chaque parution un nouveau détail choquant. Alors il est là, à picoler du bourbon sans aimer ça, une manière de se punir ? de s’alcooliser mais sans y prendre aucun plaisir pour se donner le courage de rentrer chez lui, pour pouvoir encaisser la gêne de ses filles en sa présence, forcées d’affronter le harcèlement quotidien de leurs (ex) copines de classe sadiques, la nouvelle mauvaise humeur permanente de Pamela qui, elle aussi, s’est mise à picoler cocktail après cocktail, pas question pour elle de se priver du plaisir sucré…Elle ne boit, elle, qu’à la maison, elle n’ose plus se montrer en ville, sa belle énergie s’est envolée, elle ne fait plus la cuisine, se fait livrer des take-away immondes, tout ce qu’elle détestait il y a quelques mois à peine. Elle grossit et se laisse aller. Plus question de baiser non plus, elle s’est installée dans la chambre d’amis et n’en sort que tard dans la matinée bien après le départ de Dave au travail.

Bob, son patron, est le seul qui ne lui a manifesté aucune hostilité, au contraire, il l’a chaleureusement félicité d’avoir sauvé la vie de sa victime. Mieux : il s’est platement excusé d’avoir eu l’idée funeste de l’envoyer dans un pareil traquenard. Il lui a promis de tout mettre en œuvre pour tenter de réparer le désastre qu’il a provoqué pour qu’ils retrouvent tous une vie normale, quoi qu’il en coûte…Dave se sent plein de gratitude envers autant de sollicitude, il n’aurait jamais cru que Bob tienne autant à lui. La il est parti à New York pour négocier conjointement avec l’agence de voyage qui a vendu le safari et les propriétaires du parc une indemnisation suffisante pour calmer les prétentions exorbitantes de Ramesh Fernando et de son jeune client Fézékilé afin d’éviter un interminable procès. L’ambition de Bob est de ne pas hésiter à proposer le montant nécessaire, sans lésiner, pour obtenir un retrait partiel et l’arrêt de la surenchère d’images sur internet, que l’avocat arrête d’alimenter le buzz et qu’ils puissent progressivement retrouver enfin leur vie normale.

New York, décembre 2019.

Ramesh reviens de sa balade dans la ville à son hôtel, ‘‘ The Manhattan ‘’ sur Times Square, impeccablement situé en plein cœur de la ville, belle façade ‘’Art Nouveau’’ qui est en fait tout ce qui a été conservé du bâtiment original, une de ces vieilles bâtisses victimes du ‘’façading’’ qui menace la plupart des plus vieux immeubles de New York, un bâtiment moderne dépassant l’ancien de trois étages a été construit à l’intérieur de la vieille coquille préservée. Malgré ça le meilleur hôtel qu’il peut se permettre pour le moment et à distance de marche du cabinet des avocats de la partie adverse.

Il est temps de réveiller Fézékilé qui roupille comme une souche depuis leur arrivée, écrasé par la fatigue du voyage interminable et le décalage horaire. Ramesh le laisse se reposer, il s’est promis de lui faire découvrir ‘’La Grosse Pomme’’ mais ça peut attendre, ils auront tout le temps quand ils auront réussit à faire cracher leurs adversaires.

Ramesh ouvre la porte de sa chambre, contemple Fézékilé attendrissant dans l’abandon du sommeil. Il ne l’a quasiment plus quitté depuis qu’il s’est réveillé à l’hôpital. Il est devenu très attaché au jeune garçon comme s’il s’était découvert un petit frère inconnu. Il lui a loué une chambre à l’hôtel Riverside à Upington jusqu’à ce qu’il soit suffisamment remis de sa blessure et de la série d’opérations pratiquées par un des meilleurs chirurgiens traumatologue de Jo’burg pour tenter de reconstituer son articulation. Il s’est endetté pour avancer la somme rondelette des honoraires du spécialiste. Ensuite ils sont allés ensemble séjourner plusieurs mois dans la famille de Fézékilé qui vit dans une maisonnette en bordure du Kgalagadi Transfrontier Park, Ramesh ne faisant que de cours séjours à Jo’burg pour continuer son activité au ralenti histoire de générer quelques revenus et surtout alimenter le feuilleton de l’histoire de Fézékilé sur Internet. Il a filmé les progrès de sa réhabilitation et surtout l’interaction privilégiée du garçon avec tous les animaux, domestiques ou sauvages, rien de tel pour émouvoir le public. Le grand moment a été les retrouvailles entre Fézékilé et Umbala, qui, bien incapable de se nourrir seul dans la nature, poussé par la faim et la solitude est venu traîner autour des bâtiments de l’administration du parc national pour quémander de la nourriture et de l’affection. Les images extraordinaires du gigantesque chat jetant ses énormes pattes autour du coup du minuscule, en comparaison, Fézékilé, pour une embrassade énamourée en le gratifiant de grands coups de langue ont fait le tour du monde, des centaines de millions de vues en quelques heures.

Justement Ramesh allume la caméra de son iPhone pour filmer le réveil de son protégé, tant que les négociations ne sont pas conclues à leur avantage il a bien l’intention de continuer à alimenter le Net. La c’est excellent, Fézékilé le visage chiffonné par le sommeil, grimaçant de souffrance non feinte en s’appuyant sur ses avant-bras pour se redresser, les cicatrices de sa blessure et de ses nombreuses opérations bien visibles en premier plan. Il arrête le film avant que le garçon le gratifie comme à chaque réveil d’un éclatant sourire juvénile.

Il lui parle en Xhosa :

-Usale kanjani ekuseni ? (T’as bien dormi ?)

Grand bâillement bruyant en hochant la tête en guise de réponse…

-Ingaba ulambile ? (Tu as faim ?)

-Ndihlala n’exila bile ! (J’ai toujours faim !)

Ramesh appelle la réception et commande un petit déjeuner complet.

-Ok, ça vient, prend toi une bonne douche en attendant, on a rendez- vous dans deux heures, on est pas à la bourre mais on a pas non plus toute la journée…

Fézékilé re-baille et souris, s’étire gracieusement…

Ramesh se régale en contemplant les muscles fins saillir sous la peau somptueusement dorée…Quel beau mec ! Fézékilé écarte le drap et se lève, révélant une érection tenace. Il se dirige tranquillement vers la salle de bain en se grattant impudiquement les fesses, sa bite bien proportionnée oscillant de gauche à droite. Ramesh est Ravi par le spectacle, lui qui s’est pourtant toujours considéré comme pur hétéro se découvre tenté de saisir le membre dans sa main, il imagine le contact agréable, ferme et chaud…Il se ressaisi, se déplace dans la pièce pour couper à la tentation de mater le jeune prenant sa douche sans avoir fermé la porte de la salle d’eau. Pour s’occuper il lui prépare les fringues qu’il pense les mieux appropriées pour leur rendez-vous. Il opte pour une tenue d’ado classique, Jean’s, sweat-shirt, hoodie à capuche, sans marque visible, basquets deux tailles trop grandes, son client ne supporte pas les chaussures serrées.

Fézékilé ressort de la douche et se fringue, gestes lents et précis, tous ses mouvements sont gracieux. On sonne à la porte, un commis pose un plateau sur la table. Fézékilé se jette sur la nourriture, ne laisse rien dans les assiettes.

-C’est bon, tu es callé ?

Rot prolongé et sonore en guise de réponse.

-Bon on va y aller, on va marcher, c’est à vingt minutes à pied.

Ils quittent l’hôtel. Le soleil reflèté par les façades réchauffe agréablement les rues. Fézékilé contemple l’agitation et le paysage autour de lui avec intérêt. Il s’applique a laisser le passage à chaque passant croisé, se faisant rapidement distancer par Ramesh qui doit s’arrêter pour l’attendre plusieurs fois. Pour l’aider l’avocat finit par le guider en posant une main sur son épaule, améliorant ainsi nettement leur progression. Ils se retrouvent bientôt devant un building haut et banal, carré, façade en verre foncée comme il en existe des milliers à New York. Ramesh se tourne vers son client. Il questionne, en réalité probablement plus lui même que Fézékilé :

-Tu es prêt ?

Regard interrogatif, moue dubitative, haussement d’épaules du jeune en guise de réponse… Ramesh se marre devant la mine de son client, ça calme un peu son trac. Il repose la main sur l’épaule de Fézékilé, escalade le perron de l’immeuble, parodiant Dan Ackroyd et Eddy Murphy montant les célèbres marches de Wall Street dans la dernière scène de ‘’Trading Places’’ il lance :

-Allons leur péter le cul !

En guise d’épilogue…

Pendant ce temps au milieu du marché aux animaux, Wuhan, China…

Elle n’a pas de nom, enfin au sens humain du terme. Pourtant, dans le langage strident utilisé pour se chamailler avec ses congénères, suspendues têtes en bas dans les branches de l’arbre géant et pelé où elles se reposent entre deux razzias de fruits succulents, elle est connue par iiii-ii ou quelque chose d’assez proche. Iii-ii est une chauve-souris géante du Tamil-Nadu, au sud de l’ Inde. Une de ses copines lui a refilé une crève carabinée qui ne l’a pas quitté depuis plusieurs jours. Elle éternue comme une perdue et lèche avec sa langue rose les reliquats de morve sur son joli museau de renard. Elle s’est résignée à sa condition de prisonnière dans une cage exiguë depuis qu’elle a été capturée dans un filet jeté au dessus du bananier où elle se gavait de fruits mûrs à point il y a plusieurs jours. Trimballée de cage en cage sans ménagement par des humains brutaux elle se retrouve la, terrorisée, dans cet environnement atrocement bruyant. Des dizaines d’humains défilent dans son champ de vision réduit. Soudain une face hilare apparaît, collée au grillage de la cage. Notons que pour Iii-ii, face hilare n’a aucun sens, pour elle son interprétation en pensée pteropodidaènne serait plutôt : grimaçante. Iii-ii éternue encore une fois précisément à cet instant, projetant des milliers de gouttelettes porteuses de millions de virus extrêmement virulents dans le visage hilare qui lui lance l’ équivalant de ‘’A tes souhaits’’ en Hankou, la variation locale de Mandarin …