Les blaireaux s'énervent 2.
Vooouufff.
Bonnard contemple le paysage par la fenêtre de sa chambre.
Le plateau s'étend devant lui à l'infini,
en courbes douces, l'herbe habituellement drue en cette fin
de printemps est rare, prématurément jaunie, la saison
s'annonce mauvaise pour les paysans, des éleveurs de
vaches laitières pour la plupart. Ils ont majoritairement
délaissé la race rustique d'antan, à la
belle robe roux sombre, pour de banales ''Holstein'',
plus rentables mais fragiles, non seulement incapables de résister
aux froids sibériens de l'hiver mais nécessitant
d'être abritées de l'automne au printemps.
Il a fallu leur construire ces gigantesques étables métalliques
qu'il déteste tant. Bonnard se réjouit de leurs
difficultés actuelles aux pèquenots, il vit au milieu
d'eux depuis toujours mais il peut pas les encadrer.
La sécheresse, le cours du lait au plus bas, les normes sanitaires
européennes qui les obligent à investir toujours plus
dans du matériel ultra moderne, ça leur fait les pieds
! Son rêve secret est de les voir tous disparaître, sauf
les irréductibles comme la Marie-Jeanne qui s'acharne à élever
sa dizaine de vraies ''Salers'', des bêtes
magnifiques dotées de cornes redoutables, nerveuses et bagarreuses,
qui rentrent le soir se faire traire dans une vraie étable,
sous la maison, avec des dizaines de nids d'hirondelles au
plafond, rien de commun avec les pitoyables bêtes écornées,
ultra sélectionnées de son voisin Marcel, le maire
du village, aux énormes mamelles tellement lourdes et gonflées
qu'elles peinent à marcher.
Aussi loin qu'il remonte dans son excellente mémoire
il ne les a jamais aimé, il a toujours été en
bute à leur méchanceté, à leur pingrerie
atavique. A l'école déjà il a du subir
le harcèlement de leurs gosses, tous plus riches (à l'époque)
et surtout plus forts que lui, si petit et si chétif…
Il était le seul enfant unique de la région perdu parmi
les fratries paysannes. Sa mère, Jaqueline, une brave fille
de l'assistance, placée comme bonniche chez des notables,
s'était faite engrosser un soir de balôche ou
des jeunes fermiers l'avaient fait boire avant de se la ''passer'' de
l'un à l'autre…Bien sur il n'était
pas question de parler de viol à l'époque, d'ailleurs
elle était plutôt consentante, naïvement flattée
que des beaux gars s'intéressent à elle, elle
avait juste pas eu de chance…La pauvre du se débrouiller
avec sa maternité, de toutes façons personne n'aurait
pu savoir lequel des garçons pouvait être le père
de son petit. Elle se révéla une excellente mère,
Bonnard ne manqua jamais d'affection ni de rien d'autre,
comme elle était travailleuse, qu'elle n'eut jamais
d'autre enfant et resta célibataire, ils eurent toujours
de quoi vivre dans un confort relatif. Bonnard lui voue toujours
une affection fervente, il lui rend toujours visite plusieurs fois
par semaine, le temps ne semble avoir aucune prise sur elle, à quatre
vingt seize ans elle est en pleine forme. Bonnard aussi est un vrai
roc, certes il est resté plutôt petit et sa démarche
tranquille, ses mains éternellement croisées derrière
le dos ne donne pas la moindre impression de puissance mais il faut
le voir marner pour comprendre la force du spécimen, courbé pendant
des heures pour cimenter des dalles sans la moindre courbature, manipulant
avec aisance des pierres de plusieurs dizaines de kilos.
Il a grandit avec une certitude, une volonté farouche, celle
de ne jamais devenir paysan. A l'époque, faire des études
pour un garçon de la campagne n'était guère
envisageable, pourtant il n'était pas bête, il
apprit à lire et écrire presque tout seul, à l'école
il était bon dans presque toutes les matières, sauf
en dessin et, bien sur, en sport, mais il était le roi du
calcul, il avait le don des chiffres…Il partit donc en apprentissage.
Il aurait pu exercer tous les métiers manuels, la mécanique
ne l'intéressant guère, trop salissant pour lui,
il choisît le bâtiment.
Il y excellât. Il exerça successivement tous les métiers
: maçon évidemment mais aussi charpentier, couvreur
puis il apprit l'électricité et la plomberie.
Il sut tout faire dans une maison à la perfection.
Il devint très vite son propre patron, il s'établit
comme artisan, il ne tarda pas à se bâtir une solide
réputation de compétence et de sérieux. Il ne
manqua jamais de travail jusqu'à la retraite.
Pourquoi resta t'il célibataire toute sa vie ? Mystère.
Peut être parce qu'il développât très
tôt un goût immodéré pour les prostituées,
tout jeune apprenti il fut entraîné au bordel pour être
déniaisé par les ouvriers avec lesquels il travaillait.
Ce fut une révélation, on pourrait presque parler de
découverte de vocation, pour ce timide chronique. Rien à prouver,
pas de compétition avec d'autres mâles, il n'était
pas obligé de faire la conversation ce qui l'arrangeait éminemment,
parler n'était pas son fort, pour pouvoir baiser comme
il voulait, quand il voulait et il en voulait, ça !
Né cinquante ans plus tard il aurait pu faire carrière
dans le porno, insatiable il était le Bonnard, monté comme
un âne en plus, il adorait l'effarement des professionnalités
qui pourtant en avaient vu défiler quand elles découvraient
son engin, il en gloussait de joie.
D'ailleurs ce gloussement est devenu un de ses traits marquants,
il en use tout le temps, pas seulement au claque. Plus ou moins fort,
plus ou moins long, avec toute une gamme d'inflexions variées.
Il peut signifier, l'ironie, le doute, l'approbation
prudente, le contentement selon l'intonation. Le plus définitif
est celui particulièrement sarcastique qu'il utilise
pour signaler un total mépris.
Il est là, assis dans son fauteuil préféré devant
sa fenêtre, peinard, sa chienne Quicounette couchée à ses
pieds, crade et nauséabonde comme toujours mais il s'en
fout, force de l'habitude aidant, il ne perçoit plus
ses effluves délétères depuis lulure. Quicounette
est une Fox Terrier qui a du être blanche et noire il y a longtemps,
maintenant un subtil mélange de gris teintés de nuances
indéfinissables. Maligne comme beaucoup de ses congénères,
elle n'a pas son pareil pour t'explorer une poubelle
dès que tu as le dos tourné.
Bonnard a pris sa retraite depuis quelques années maintenant,
travailler plus à quoi bon, il est plein aux as. Cela ne se
voit pas, il a toujours eu des goûts modestes, il porte toujours
le même genre de fringues simple ou des bleus de travail pratiques
quand il bricole et c'est une activité quasi quotidienne.
Dire que son fric ira à de vagues neveux et à l'état
quand il crèvera mais il serait bien en peine d'arriver à tout
dépenser, ses loisirs se résumant à la chasse,
sa seule passion qui ne lui coûte pas grand chose est niquer,
hors, malgré une incontestable verdeur, l'age venant
il a quand même un peu baissé dans ce domaine et son
budget ''putes'' risque pas d'épuiser
son magot. Par contre s'il se fait gauler cette nuit il risque
d'en avoir besoin de son pognon, pour se payer de bons avocats… Il
adorait picoler aussi, mais après des années d'excès éthyliques
il a du arrêter mais non pour des raisons de santé,
son foi est resté impeccable. En fait, plus d'une fois à la
chasse justement il a faillit faire des cartons sur ses voisins paysans,
pendant des beuveries d'après battue, sa haine contenue
en temps normal révélée par l'alcool qui
le rendait enragé, il a le vin très mauvais le Bonnard…Un
jour il est passé à l'acte, il a tiré sur
un éleveur arrogant, comme la blessure était heureusement
sans gravité, la société de chasse a préféré étouffer
l'affaire mais ses compagnons ont exigé qu'il
suive une cure de désintoxication. Depuis il boit plus que
de la flotte et l'alcool ne lui manque pas plus que ça…Ca
lui profiterait plutôt, il est en bonne forme, du coup pour
s'occuper il fait des gâches lucratives qui lui rapportent
plus qu'il n'arrive à dépenser. La plupart
des maisons du hameau sont dans un sale état, il note chaque
atteinte du temps dans ses balades quotidiennes, Quicounette sur
ses talons. Les magnifiques bâtiments en pierres volcaniques
abandonnés par les éleveurs tombent en ruines par manque
d'entretien, jamais un paysan radin irait payer un Bonnard
pour retaper une bâtisse inutile. Heureusement que parfois
des Marseillais naïfs se lancent dans la restauration d'une
grange, sans se rendre compte de l'ampleur du travail. Le Bonnet
en glousse de joie ironique mais nuancée d'une sincère
empathie intéressée par leurs efforts. En général
il ne faut pas longtemps pour qu'ils commencent à lui
proposer du boulot. En réalité il dit jamais non mais
il adore se faire prier, on a sa coquetterie. Il a une manière
bien à lui de vous faire comprendre que vous aller pas vous
dépatouiller de votre tache, une moue dubitative suivie du
hochement de tête appréciateur et surtout le gloussement
ironique qui scelle votre sort… Très vite, les citadins épuisés
sont trop heureux de laisser un vrai spécialiste prendre en
charge le chantier…
Bref il aurait tout pour être heureux si le Marcel, le maire
de la commune (deux cent habitants permanents à peine, repartis
en une vingtaine de hameaux dispersés sur environ dix mille
hectares du plateau Cézalien), n'avait cédé avec
son conseil municipal d'éleveurs comme lui aux sirènes
du développement, grâce à des recettes fiscales
nouvelles, afin ''d'investir''…Tu
parles ! fulmine Bonnet, pour attirer quel type de couillon à mille
mètres d'altitude en plein Massif central, pas un arbre,
pas un lac, pas un château, juste des prés et des vaches à perte
de vue, des froids sibériens l'hiver, du -25 fréquent
mais hélas souvent pas de neige pour faire du ski de fond,
de la glace ça oui, qui transforme les routes en patinoire.
Impossible non plus de compter sur une belle saison imprévisible,
génératrice d'orages dévastateurs, des
grêlons gros comme des œufs de pigeon destructeurs de
bagnole et de toiture et ce vent, glacial l'hiver, froid même
en plein été…Il faut être né ici
pour aimer ce pays ou être marseillais pour y acheter une maison
secondaire histoire de se rafraîchir quinze jours l'été avant
de redescendre bosser dans la fournaise. Bonnard, lui, adore son
plateau, sa maison, il pourrait pas vivre ailleurs…Ici il
est connu jusqu'à Murat et Saint Flour, il est quelqu'un…Il
aime chaque vieille pierre volcanique de sa maison qu'il a
retapée dans les règles de l'art au fil du temps.
Il a embellit le hameau, il a restauré le vieux crucifix médiéval
et le vieil abreuvoir à vaches en pierres de taille…
Il n'y a pas une maison habitée du village ou il n'ait
effectué quelques travaux. Il possède un immense atelier
rempli de tonnes d'outillage, de matériel accumulé tout
au long des années, il est totalement autonome, il peut quasiment
tout démonter, réparer, remonter.
Il a cette vue imprenable sur le plateau, il pouvait passer des heures à observer
les biches ou les renards aux jumelles, avant…
Bonnard a été le premier à repérer les ''prospecteurs'' dans
le hameau.
Un couple dans une belle bagnole allemande, le type du genre banal,
un binoclard trop bien nourrit, trop propre et trop sûr de
lui, débarquant de son 4x4 rutilant avec un regard conquérant.
Par contre la femme valait le coup d'œil, Bonnard fut ébloui,
de la pouliche de luxe comme on en voie rarement dans ces campagnes,
une vraie citadine tout droit débarquée de Paris ou
d'une grande métropole régionale et pas d'un
bourg local, rien que son parfum l'avait ému au plus
profond du calbute, il en gloussait de concupiscence. Mais quand
elle demanda ou elle pouvait rencontrer le maire, son instinct l'avertit
que toute bandante qu'elle soit elle représentait probablement
un lot d'emmerdes.
Il avait vu juste. Les prospecteurs n'eurent aucun mal à persuader
l'édile, Marcel Tranchard et ses conseillers de saisir
l'opportunité qui se présentait à eux
d'entrer de plein pied dans le vingt et unième siècle,
de profiter du progrès, mieux, d'en être l'avant
garde, surtout quand ils leur parlèrent, chiffres à l'appui
extraits d'un ordinateur portable, des sommes rondelettes que
le ''parc'' pourrait rapporter annuellement à la
commune.
Pour palper autant de fric ils étaient prêts à tout
accepter sans objection, ce qu'ils firent et le ''Parc'' fut
construit en un temps record, seuls quelques anciens hippies échoués
sur le plateau dans les ''seventies'' tentèrent
de protester sporadiquement mais ils étaient bien trop peu
nombreux pour avoir une chance de se faire entendre, n'est
pas le Larzac qui veut !
Depuis, Bonnard doit supporter ces incongruités aussi moches
que des furoncles sur des jolies fesses de fille qui ont poussé sur
les plus hauts ''trucs'' du plateau, des
petites collines herbeuses qui rompent la monotonie du paysage. Elles
sont bruyantes en plus, au début on les perçoit pas
vraiment puis un jour on réalise qu'il y a ce nouveau
son permanent dans l'air, et très vite on entend plus
que ce chuintement, surtout les belles nuits d'été,
quand la brise s'établit du plateau vers le hameau.
Bonnard pour la première fois de sa vie en a le sommeil perturbé,
lui qui adore dormir fenêtres ouverte du printemps à l'automne.
Autre contrariété de taille pour lui, tous les animaux
ont fuit les alentours du ''Parc'', disparus
les troupeaux de biches qui venaient paître dans les prés
au crépuscule, elles ont toutes fuit sur l'autre versant
de la vallée, il ne lui reste plus que l'herbe et les
vaches Du Marcel à observer depuis sa fenêtre, et ces
immenses saloperies, bien sur !
D'instinct, Bonnard a flairé que ces machins ne sont
qu'une arnaque à gogos, son esprit pragmatique et calculateur
a douté d'entrée de leur rentabilité,
sauf pour leur promoteurs, les mairies qui les acceptent sur leur
commune et surtout les propriétaires des terrains ou elles
sont implantées. Il a lu par la suite un tas d'articles
dans des revues scientifiques qui tous ont conforté son opinion,
en démontrant le bilan économique catastrophique de
ces ''Parcs''. Leur fonctionnement est tellement
aléatoire, variable, ça ne peut pas être réellement
utile, ça ne sert à rien. Par contre ça rapporte
un max à ces rats de paysans, surtout au Marcel qui à réussit à s'en
faire construire cinq, sur la vingtaine que compte le''parc'' sur
ses propres terres, dont la plus proche des fenêtres de Bonnard.
Bonnard a rêve pendant des mois de trouver un moyen pour les
détruire mais comment ? l'explosif ? Ha, s'il
pouvait tout faire péter ça serait l'idéal
mais c'est pas son domaine, il y comprend rien et puis il est
pas très courageux, manipuler des matières aussi dangereuses
très peu pour lui ! Il s'est creusé la caboche
pour trouver une méthode plus simple, facile à mettre
en œuvre pour un type seul, sans aide extérieure, à la
Bonnard quoi…
Et il a fini par trouver, un soir en baladant, Quicounette sur ses
talons. Comment l'idée lui est-elle venue ? Mystère,
mais d'emblée il l'a adoptée, il a poussé un
gloussement d'évidence mêlé d'un
rien d'étonnement pour ne pas y avoir pensé plus
tôt…Il n'a plus eu qu'a cogiter chaque détail.
Il a pris tout son temps pour se préparer, à son rythme,
réunissant tout le matériel étape par étape,
discrètement, personne n'aurait pu deviner ce qu'il
tramait..
Bonnard se lève de son fauteuil, le soleil à enfin
disparu à l'horizon, ces premières journées
d'été sont interminables…Etrangement le
spectacle du ''Parc'' l'agresse moins
depuis qu'il prépare son ''intervention''.
La nuit s'annonce parfaitement claire mais sans lune, le vent
frais et soutenu souffle du nord-ouest après les pluies de
la veille, les conditions sont idéales, il est temps de passer à l'action
!
Il rejoint son vaste garage, ouvre les portes arrières de
la Renault Express rutilante malgré son quart de siècle
de bon et loyaux services sans la moindre panne, fidèle mécanique.
Il faut dire qu' il roule à peine 5000 km par an le
Bonnet et il possède deux bagnoles, une Scenic quasi neuve
pour ses virées en ville et l'Express qu'il réserve
au ''travail'' et à la chasse.
Il s'empare d'un pot de graisse et entreprend d'en
badigeonner les tôles du sol de la voiture à l'aide
d'un large pinceau puis il dispose un lourd tapis en plastique
au fond de la camionnette en laissant pendre l'excès
de longueur à l'extérieur. Ensuite il charge
dans la camionnette, sur le tapis, un lourd fût métallique
remplis à ras bord d'une matière noirâtre,
visqueuse, sans effort grâce à un chariot élévateur électrique.
Il roule le reste du tapis à l'arrière du fût
pour bien le caler et il referme les deux battants de porte. Il prend
tout son temps, pas question de s'aventurer dehors avant qu'il
ne fasse nuit noire. Il range posément le reste du matériel
dans l'auto, il déplie un grand sac poubelle et s'en
sert pour fermer le fût hermétiquement, on est jamais
trop prudent et il ne veut laisser aucune trace compromettante, des
fois qu'un cahot projette quelques gouttes hors du bidon. Il
aimerait autant réussir à na pas se faire attraper
après, ne serait ce que pour pouvoir recommencer…
Quand il est à peu prêt sur de ne plus risquer de rencontrer
personne il démarre et sort du hameau, les voisins, eux, sont
habitués à le voir partir tard pour une virée
putassiere.
Il n'a pas à rouler très longtemps, ce putain
de ''Parc'' est décidemment très
prés de sa maison. Le ciel étoilé est magnifique à cette
altitude, la Voie lactée découpe le ciel en deux demi
sphères égales, le spectacle est absolument somptueux.
En quelques minutes il atteint son but, le pied d'une des gigantesques éoliennes,
la plus proche de sa maison. Il a choisit de s'attaquer à celle
la pour commencer, les autres il avisera plus tard, d'abord
il faut vérifier que son plan fonctionne.
Il sort de la voiture. Les immenses pales du moulin géant
passent au-dessus de sa tête avec un chuintement puissant et
en réalité assez gracieux, presque agréable
de près. Bonnard admire le spectacle quelques instants, il
ne peut s'empêcher d'être fasciné par
l'esthétique technique d'une belle machine. Il
se secoue, glousse sarcastiquement pour conjurer sa sensiblerie passagère,
au travail ! Il ouvre les portes arrière en grand. Toute la
partie du lourd tapis en plastique, récupéré sur
le sol d'une ancienne mine d'antimoine de Massiac, qui
n'était pas coincée sous le fut, tombe en se
déroulant et s'étale sur le sol herbeux. Il s'empare
de trois barreaux de fer qu'il a pris soin de meuler en pointe
et cloue solidement le tapis par terre à grands coups de masse.
Il s'installe au volant de l'Express, enclenche la première
et démarre sèchement. La voiture avance brutalement
de quelques mètres, le tapis retenu au sol par les gros clous,
graissé par dessous pour lui permettre de mieux glisser, reste
sur place, entraînant le lourd bidon hors de la voiture sans
effort en amortissant le choc de la chute. Bonnard pousse un gloussement
d'approbation, impec', la première partie du plan
s'est déroulé parfaitement, jamais il n'aurait
pu faire basculer seul une telle masse, ça commence très
bien. Il se frotte les mains, bon, la suite…
Il retourne à la voiture, sort la bobine de cordelette la
plus fine, presque un fil et la dévide sur le sol. Quand il
a fini on a l'impression d'un gros tas embrouillé mais
au contraire, il suffit de tirer sur le bon bout et tout devrait
venir sans effort. Le début de la cordelette est noué à une
sphère de plomb dont le poids idéal a été déterminé après
plusieurs essais et s'il est maintenant à peu prés
sur de son coup, il n'a pu totalement éliminer la part
de (mal)chance mais il pense l'avoir réduite au minimum.
Il déroule ensuite chaque bobine de cordage en les disposant
de la même façon et les relie toutes ensemble, de la
plus faible à la plus résistante. Le dernier tas, une
vraie corde de bonne section en polypropylène est elle attachée à un
anneau métallique qui dépasse de la matières
noirâtre contenue dans le bidon.
Il saisit l'arbalète, un engin redoutable de sa conception,
capable de projeter une lourde flèche en acier à plusieurs
centaines de mètres et remonte le mécanisme de tension à bloc.
Il visse la flèche dans la boule de plomb, l'ajuste
sur l'arme. Il se campe solidement sur ses jambes légèrement écartées, épaule,
vise posément et tire.
La flèche est propulsée dans l'air à une
vitesse fulgurante, entraînant le fil le plus léger
avec elle sans effort. Le risque c'est quelle percute une des
pales de l'éolienne mais il à bien calculé son
coup, elle passe juste derrière une aile montante et disparaît
dans la nuit.
Ca a marché, il en saute de joie comme un gosse, le gloussement
est maintenant continu ! L'éolienne continue sa lente
rotation, entraînant le cordage qui glisse vers le centre de
l'hélice géante et commence à s'enrouler
inexorablement autour de son moyeu. Les tas successifs de fils de
plus en plus costauds se défont et montent gracieusement dans
l'air. Bientôt la plus grosse corde entame son ascension.
Bonnet allume un chalumeau à gaz. Il n'y a plus qu'à attendre
encore quelques secondes…Ca y est, le contenu du fut commence
lui aussi à se dévider. En fait il s'agit d'une
dernière corde mais de chanvre celle-là, baignant dans
un mélange de tout se que bonnard a pu trouver de plus inflammable
pour l'imprégner, du goudron, des graisses de vidange,
du gas-oil pour liquéfier un peu, des colles, des résines
plastique, un incroyable cocktail qu'il a élaboré au
fil des jours…Quand la ''mèche'' est à moitié sortie
du bidon il dirige prudemment la flamme du chalumeau vers le mélange
visqueux. Les gaz dégagés s'enflamment immédiatement
avec une belle déflagration, encore mieux que ce qu'il
avait imaginé. Une magnifique guirlande incandescente commence à s'élever
vers l'éolienne, illuminant la nuit. Pour faire bonne
mesure il vide un bidon de gazole sur le tapis en plastique. Il a
pris soin de le relier au bidon et celui-ci à la fin de la ''mèche'' par
un long câble en acier. Il enflamme le tapis, l'ensemble
ne tarde pas à s'élever aussi dans les airs.
Il ne reste plus rien au sol, il est temps de fuir…Il démarre
la voiture et roule quelques centaines de mètres seulement
sur la départementale puis s'engage dans un chemin qui
se termine en cul-de-sac sur les pâturages, avec une vue parfaite
sur l'éolienne.
C'est magnifique, le centre n'est plus qu'une éblouissante
boule de feu. Déjà des traînées incandescentes
commencent à cheminer sur les pales qui commencent à brûler
elles aussi. Bonnard en était sur, ces saloperies ne demandent
qu'à cramer, fabriquées à partir des matériaux
les plus inflammables, de la fibre de carbone, des résines époxy
ou polyester, des vrais torches potentielles.
Le vent attise les flammes, la chaleur dégagée doit être
devenue infernale. Maintenant les trois pales sont en feu, des grosses
gouttes embrasées sont projetées à des dizaines
de mètres…
Bonnard perçoit les premières sirènes de pompiers…Il
glousse d'amusement, il en pleure même, ha les cons !
Ils peuvent courir pour essayer d'aller éteindre cette
saloperie à cinquante mètres de hauteur !
Il se donne encore une heure de spectacle et puis il ira aux putes
pour fêter ça, elles pourront aussi lui servir d'alibi,
on sait jamais…
Fin.
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